Le 27 septembre 1822, à Paris, Jean-François Champollion (32 ans) expose devant l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ses découvertes relatives aux hiéroglyphes. Deux semaines plus tôt, le 14 septembre 1822, au terme de plusieurs années de recherches harassantes, il était arrivé en effet à déchiffrer l'écriture des anciens Égyptiens...
Hiéroglyphe (du grec hieratikos, sacré, et gluphein, graver) est le mot par lequel les Grecs de l'Antiquité désignaient les inscriptions des monuments pharaoniques, construits 1000 ou 1500 ans plus tôt dans la vallée du Nil. Les Grecs prenaient en effet ces idéogrammes aux formes stylisées d'animaux, d'humains ou d'objets pour des symboles à valeur religieuse et n'imaginaient pas que ce fussent des textes ordinaires.
Dans les faits, les hiéroglyphes constituent un système d'écriture d'environ 5000 idéogrammes conçu pour les besoins de l'administration royale, vers 3100 av. J.-C. ou même plus tôt, vers 3300 av. J.-C. (si l'on en croit les découvertes de l'archéologue Günter Dreyer dans les tombes royales d'Abydos, au nord de Louqsor, en 1998).
Un jeune surdoué
Jean-François Champollion naît le 23 décembre 1790 à Figeac, dans le département du Lot, dans une fratrie de sept enfants. Son père, un colporteur originaire du Dauphiné, a ouvert une libraire dans la ville.
Élève dissipé mais surdoué, Jean-François est très vite appelé à Grenoble par son grand frère Jacques-Joseph, de douze ans son aîné, qui prend en charge son éducation.
Il apprend très tôt de nombreuses langues anciennes, dont le copte d'Égypte, et se prend de passion pour la civilisation des pharaons, mise à la mode par les savants qui ont participé à l'expédition d'Égypte, en 1798-1799, aux côtés du général Bonaparte, futur Napoléon Ier.
Jacques-Joseph, bibliophile passionné et érudit, d'une grande sociabilité, obtient pour lui-même un poste de littérature grecque et reçoit la Légion d'honneur. Il obtient aussi pour son jeune frère un poste de professeur d'histoire à Grenoble.
Tout se gâte à la chute de Napoléon. Victimes de l'intolérance politique du temps de la Restauration, les deux frères doivent retourner à Figeac, où ils frôlent la misère. Jean-François peut heureusement poursuivre ses recherches grâce au soutien dévoué de son frère. En 1817, il peut enfin regagner Grenoble et se marie l'année suivante avec Rosine Blanc, fille de riches gantiers de la ville.
Jacques-Joseph gagne Paris où il devient le secrétaire particulier de l’helléniste Bon-Joseph Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres.
Pétri de reconnaissance, Jean-François lui écrit le 30 octobre 1818 « Il y a longtemps que tu me prouves que moi, c'est toi. Mon cœur m’assure que nous ne ferons jamais deux personnes ». Il se fera plus tard appeler Champollion le Jeune pour ne pas lui porter ombrage. Jacques-Joseph se fera quant à lui appeler Champollion-Figeac pour ne pas affecter la gloire de son cadet.
En 1799, les savants conduits en Égypte par Bonaparte avaient découvert à Rosette, dans le delta du Nil, une pierre en basalte noir d'un mètre de longueur, avec un texte qui rapporte une déclaration des prêtres de Memphis du temps d'un pharaon de l'époque hellénistique, Ptolémée V.
Ce texte a l'intérêt d'être rédigé en trois versions :
• la première en hiéroglyphes, l'écriture sacrée des premiers pharaons,
• la deuxième en démotique, une écriture égyptienne tardive datant du 1er millénaire av. J.-C.,
• la troisième en grec ancien.
La pierre de Rosette est très vite dérobée aux Français par les Anglais de l'amiral Nelson (elle figure depuis lors en bonne place au British Museum). Mais elle excite la curiosité des savants, en particulier du jeune Champollion et d'un physicien anglais Thomas Young, de quinze ans son aîné, qui veut comme lui découvrir le secret des hiéroglyphes.
Thomas Young déchiffre la version démotique de la pierre de Rosette et découvre que les cartouches en hiéroglyphes contiennent les noms de pharaons. Champollion arrive à se procurer une reproduction de la pierre de Rosette et peut lui aussi comparer les trois versions du texte (il lit sans difficulté la version grecque).
Jean-François va plus loin que son rival britannique grâce à sa familiarité avec la culture pharaonique et à sa maîtrise de la langue copte, assez proche, paraît-il, de celle des anciens Égyptiens.
Il observe ainsi que le texte hiéroglyphique de Rosette contient trois fois plus de signes que le texte grec ne compte de mots. Il en déduit que les hiéroglyphes (on en recense environ 5 000) ne sont pas seulement des idéogrammes, contrairement aux préjugés ambiants. Ils peuvent aussi dans un même texte servir de signe phonétique comme nos lettres de l'alphabet.
En appliquant son intuition à une transcription extraite d'un temple, il repère le nom de Cléopâtre. Le 14 septembre 1822, ayant reçu des dessins d'un archéologue, il obtient confirmation de la justesse de sa découverte en reconnaissant les noms de Ramsès et Thoutmosis.
« Je tiens mon affaire ! » s'exclame-t-il devant son frère. L'émotion et le surmenage le font immédiatement sombrer dans un état d'inconscience.
C'est seulement cinq jours plus tard qu'il est en état de révéler sa découverte. Avec l'aide de son frère, il décrit sa découverte dans une lettre de 40 pages qu'il destine au secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Bon-Joseph Dacier, qu'il a en grande estime. Le 22 septembre, il en lit la première ébauche devant l'Académie au grand complet, sous la coupole de l'Institut, sur les bords de la Seine. Son rival Thomas Young a été invité pour l'occasion et toute l'assistance fait une ovation au jeune savant.
La Lettre à M. Dacier relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques est publiée dans son intégralité chez Firmin Didot le 27 septembre 1822. Elle vaut immédiatement au jeune savant une immense notoriété. Il trouve le temps de se marier et d'avoir une fille.
Le duc de Blacas le fait connaître au vieux roi Louis XVIII. Puis, c'est l'apothéose. Son successeur Charles X confie au jeune savant la création d'un musée égyptien dans le palais du Louvre. C'est ainsi que Champollion achète d'un coup les 4000 pièces de la fabuleuse collection du consul anglais du Caire, Salt. Le 15 décembre 1827, le musée est inauguré dans l'aile Sully par le roi qui lui donne son nom et place Champollion à sa tête.
Dès lors, afin d'enrichir les collections de son musée, Champollion va visiter les collections égyptiennes de Turin et, enfin, parcourir en 1828-1829 le pays de ses rêves, l'Égypte, en remplissant ses carnets de notes et de croquis.
Le rêve continue
Jean-François Champollion meurt d'épuisement à 42 ans, le 4 mars 1832, au milieu des honneurs, sans avoir eu le temps d'achever sa Grammaire égyptienne et son Dictionnaire égyptien. Mais son parcours exceptionnel a inspiré de nombreuses vocations d'égyptologues en France.
Le plus célèbre est Auguste Mariette, qui découvre au milieu du siècle la fameuse statuette du scribe accroupi, aujourd'hui au Louvre, et met au jour l'allée des sphinx de Memphis. Il crée aussi le musée du Caire. C'est lui qui écrivit pour Verdi le script de l'Opéra Aïda, joué au Caire en 1871 !
Un siècle plus tard, la fabuleuse découverte de la tombe de Toutânkhamon compléta notre connaissance de la civilisation égyptienne, la première et l'une des plus belles qui furent jamais.
L'Égypte en cartes animées
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