14 juin 2023. Jusqu’au 13 août 2023, le musée des Beaux-Arts et le musée des Antiquités de Rouen vous proposent l’exposition temporaire Normands, migrants, conquérants, innovateurs, qui retrace toute l’épopée des Vikings, puis des Normands, de la fin du VIIIe siècle au début du XIIIe siècle.
Le musée de Normandie de Caen pour sa part, avec Des Vikings et des Normands, imaginaires et représentations, met jusqu’au 1er octobre 2023 l’accent sur la fabrication d’un mythe autour de ces peuples du Nord, rendant leur légende plus forte que leur histoire !
Les Vikings à l’assaut du monde
Face à Montpellier, Clermont-Ferrand et Bourges, la ville de Rouen ambitionne de devenir en 2028 Capitale européenne de la culture et multiplie en conséquence les événements de très grande qualité.
En attendant la cinquième édition du festival Normandie impressionniste l’année prochaine - qui a désormais acquis une dimension planétaire et concernera l’ensemble de la région -, ces Normands, migrants, conquérants, innovateurs nous entraînent loin dans le temps, nous font voyager en de nombreux recoins du globe et nous convient à une plongée dans les arts anciens.
Pour respecter la ligne chronologique, nous vous conseillons de débuter par le musée des Antiquités, ce qui constituera au passage un excellent prétexte pour en découvrir les riches collections permanentes. Le premier volet de l’exposition temporaire nous emporte aux IXe et Xe siècles, quand les anciens Scandinaves, jusque-là plutôt discrets dans l’Histoire, bousculent le continent européen. On les retrouve commerçant ou pillant dans les îles Britanniques, dans l’Empire franc, en Espagne…
Certains d’entre eux s’aventurent en Méditerranée et posent le pied en Afrique ; d’autres tournent le regard plus à l’ouest, colonisent l’Islande, s’installent au Groenland et filent vers le mythique Vínland, ni plus ni moins que le continent américain. À l’Est cette fois, les Varègues – généralement, mais pas toujours, des Suédois - sillonnent les grands fleuves russes, fondent des comptoirs à Novgorod ou Kiyv, atteignent les mers Noire et Caspienne, commercent avec les peuples musulmans ou avec Mikligarðr (la « Grande Ville »), c’est-à-dire Constantinople.
Pour illustrer le propos, quantité d’artefacts ont été empruntés aux grands musées de Scandinavie ou d’Allemagne, monnaies arabes ou byzantines découvertes sur des sites Vikings, stèle sculptée de l’île de Gotland où figurent un vaisseau et deux guerriers s’affrontant, bouclier d’Agder, girouette ou pavillon de navire, fibules en forme de carapace de tortue et toutes sortes de bijoux… Et puis il y a cette minuscule mais iconique Tête de Viking, sculptée au XIe siècle dans un bois de cervidé, qui a fait le voyage depuis le musée de Sigtuna, en Suède.
Des Vikings aux Normands
Le second volet de l’exposition est donc à découvrir au musée des Beaux-Arts. Là encore, les objets, empruntés ou appartenant aux collections locales (bibliothèques, musées, archives), sont remarquables.
L’une des célèbres pièces d’échec de Lewis (Écosse, XIIe siècle), représentant un guerrier armé d’une épée et d’un bouclier, est descendue d’Édimbourg pour l’occasion. La grande vitrine dans laquelle elle est placée souligne sa fragilité, quand une impression de force et de violence se dégage de son regard perçant.
On admirera là des manuscrits de sources indispensables à la compréhension de ce temps, tels le De moribus et actis primorum Normanniae ducum (Des mœurs et actes des premiers ducs de Normandie) rédigé autour de l’an mille par le chanoine Dudon de Saint-Quentin, sans lequel nous ne saurions presque rien du Xe siècle en Normandie, ou de la Chronique de Fontenelle, qui détaille les premiers raids perpétrés par les Vikings en val de Seine.
Un diplôme de l’empereur Louis le Pieux (814-840) datant du 16 mars 819, autorise les moines de Noirmoutier, réfugiés à Déas (aujourd’hui Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, Loire-Atlantique) à cause des « attaques des barbares qui fréquemment ravagent ce monastère », à détourner à leur profit l’eau de la Boulogne. À la vue des armes présentées, haches ou épées, on perçoit toute la brutalité d’un strandhögg (littéralement « coup sur le rivage »), en d’autres termes d’un assaut viking.
Et voici que nos pillards s’assagissent et s’implantent, avec la bénédiction du Carolingien Charles le Simple (898-923) sur ce qui deviendra la Normandie, la « terre des hommes du nord ». Les Normands ont gardé de leurs bouillants ancêtres un dynamisme qui les emporte au loin. Par-delà la Manche d’abord, quand le duc Guillaume II (1035-1087) décide de se lancer à la conquête de l’Angleterre. Une borne tactile permet d’admirer et de faire défiler la fabuleuse Tapisserie de Bayeux, chef-d’œuvre emblématique de ce XIe siècle.
Nos Normands se lancent aussi à la conquête de l’Italie méridionale, où ils fonderont divers États appelés à devenir au XIIe siècle le brillant royaume de Sicile. Là encore, de nombreux artefacts, comme la couronne dite « de Roger II », ont fait un long voyage depuis la Méditerranée, permettant de mieux appréhender la civilisation originale née de la rencontre des Normands, des Arabes, des Lombards et des Byzantins.
Tout un pan de l’exposition est par ailleurs consacré aux Plantagenêts, cette dynastie née de l’union scellée en 1128 entre une princesse normande, Mathilde l’Emperesse, et le futur comte d’Anjou Geoffroi le Bel. Émaux champlevés, croix reliquaire du Valasse ou crosses épiscopales témoignent du haut degré artistique atteint à cette époque.
Particulièrement émouvant, le coffret en plomb qui contenait en la cathédrale de Rouen le cœur de Richard Cœur de Lion. Ce roi d’Angleterre et duc de Normandie - parmi quantité d’autres titres - entré dans la légende de son vivant, avait en effet demandé agonisant à ce que ses entrailles soient ensevelies à Chalus (Haute-Vienne), là où il allait trépasser, que son corps repose aux côtés de celui de son père, Henri II, à l’abbaye royale de Fontevraud, et que son cœur soit inhumé dans la métropole seinomarine.
Rien pour l’Angleterre… Et de Richard aux croisades, auxquelles les Normands participèrent activement, le lien est tout trouvé : le dernier chapitre nous emmène donc sous le chaud soleil du Proche-Orient.
Bref, pour résumer, ces Normands, migrants, conquérants, innovateurs ont tout pour séduire les passionnés les plus exigeants, mais aussi les férus d’arts anciens ou tout simplement les curieux amateurs de beaux événements.
La naissance d’un mythe
Direction Caen maintenant, pour profiter Des Vikings et des Normands, imaginaires et représentations. Disons-le d’entrée : cette superbe exposition est complémentaire de celle de Rouen et permettra de conclure parfaitement un séjour thématique.
Organisée par le musée de Normandie, elle se tient à la salle du Rempart, dans l’enceinte multiséculaire de la forteresse médiévale. À deux pas de la salle de l’Échiquier et des vestiges du palais de Guillaume le Conquérant, nous pénétrons cette fois dans un univers à la frontière entre le réel, la légende, le fantasme…
Aux XVIe et XVIIe siècle, la période médiévale et tout ce qui en émane sont considérés avec répugnance par les élites politiques et intellectuelles d’Europe occidentale. On se souviendra de Giorgio Vasari qualifiant de « gothique » le travail des maîtres d’œuvre des cathédrales et autres abbatiales d’antan, le rejetant comme « monstrueux et barbare ». Et on se rappellera aussi de Nicolas Boileau, assénant ces vers aussi célèbres que dédaigneux : « Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers, / Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers. »
En Scandinavie au contraire, la Renaissance coïncide avec la (re)découverte de l’héritage ancien. Les souverains suédois notamment, favorisent la résurgence d’un passé enfoui depuis longtemps dans l’inconscient collectif, alors qu’ils entendent jouer un rôle de plus en plus important sur la scène géopolitique européenne.
Leur but est de forger des origines glorieuses à leur dynastie, d’exalter leur omnipotence en utilisant la matière historique à des fins de propagande, pratique ô combien habituelle encore de nos jours. Quant à la mythologie scandinave, avec son panthéon de personnages étonnants, elle devient une sorte de pendant septentrional aux aventures des dieux gréco-romains de l’Olympe.
L’imprimerie joue un rôle considérable dans le processus, avec la diffusion à plus grande échelle d’œuvres comme la Gesta Danorum (Geste des Danois) de Saxo Grammaticus, dès 1514, ou de l’Historia de Gentibus Septentrionalibus (Histoire des peuples du Nord) d’Olaus Magnus, en 1555.
Au XVIIIe siècle en revanche, les royaumes nordiques entrent dans une phase de déclin, face à la montée d’États comme la Prusse ou la Russie. On continue cependant à magnifier les glorieux ancêtres, cette fois davantage par nostalgie de la puissance perdue.
De l’archéologie à l’art dragon
Jusque-là, on ne parle pas encore de « Vikings », terme que les anciens Scandinaves utilisaient pour désigner ceux qui, parmi les leurs, s’engageaient dans des expéditions au long cours.
Mais en 1811, alors que se font déjà sentir les prémices du romantisme, un poème intitulé Vikingen (Le Viking) est publié par le Suédois Erik Gustav Geijer. On y lit ceci : « Au milieu des combattants, j’allai de nouveau épier l’approche du navire dans un azur lointain. Si c’était un vaisseau de Viking, le sang devait couler ; si c’était un vaisseau de marchand, il pouvait s’éloigner. » Ainsi apparaît le légendaire guerrier assoiffé de pillages.
Le mot « Viking » connaît dès lors une fortune invraisemblable, au point d’être appliqué à toute la période s’écoulant de la fin du VIIIe siècle au milieu du XIe siècle. Il apparaît en français au milieu du XIXe siècle et connaît le même succès fulgurant au XXe siècle.
Tout cela s’effectue sur fond de multiplication des trouvailles archéologiques, qui ne manquent pas d’imprimer les esprits au point de susciter un nouveau courant artistique, appelé « art dragon ». Des pièces d’orfèvrerie assez fabuleuses, réalisées dans cette veine, ont été prêtées pour l’occasion par la cour royale de Suède : un Bateau viking réalisé en 1882, une Corne à boire de 1837, ou encore une Épée avec son fourreau (1819)…
Particulièrement surprenant, un coffret à documents, réalisé par l’orfèvre Johan Lund, offert à Louis Pasteur par « ses admirateurs de Norvège » en 1892 ! On retrouve cette tendance en peinture, avec des œuvres comme Idunn et Bragi, de Nils Johan Olsson Blommér (1846), Le squelette en armure, de Walter Crane (1883), et même en France avec Pirates normands au IXe siècle, d’Évariste Luminais (1894)…
Des Normands avant les Vikings
Si, en Scandinavie, les Vikings sont au firmament de la gloire dès la fin du XIXe siècle, leur souvenir est à cette époque plutôt effacé en Normandie. Ce qui intéresse, sur les côtes de la Manche, c’est d’abord la figure héroïque de Guillaume le Conquérant, le vainqueur de la bataille d’Hastings, le fondateur d’une dynastie qui règne encore sur l’Angleterre.
On le représente contemplant fièrement sa flotte prenant le large, triomphant au milieu de ses guerriers, ou dans des moments importants de sa vie, de la naissance à la mort. On s’intéresse aussi à sa femme, la reine Mathilde, que l’on fixe brodant la Tapisserie de Bayeux, telle une Pénélope à la sauce médiévale.
Un événement va cependant tout changer : les commémorations du millénaire de la fondation de la Normandie, en juin 1911. On exhume à cette occasion les origines scandinaves de la province, tout en veillant à ne pas dépasser les limites acceptables du régionalisme dans une France républicaine et jacobine.
Au cours d’un défilé historique, on met en avant la figure de Rollon, que l’on fait arriver par la Seine sur un drôle de bateau vaguement influencé par les vaisseaux scandinaves. Pas question toutefois d’évoquer, dans le cadre des manifestations officielles, le baptême de ce même Rollon, alors que l’on s’est écharpé peu auparavant sur la loi de séparation de l’Église et de l’État.
Mais la graine est plantée dans l’esprit de certains Normands, désormais désireux d’exalter leur particularisme, comme le feront le poète Louis Beuve (1869-1949) ou, plus tard, le controversé et sulfureux Jean Mabire (1927-2006).
De nos jours, les Vikings se sont emparés du grand et du petit écran, avec des films comme Les Vikings de Richard Fleischer (1958), ou plus récemment des séries telles que Vikings (2013-2020), The Last Kingdom (2015-2022) ou Viking Valhalla (2022-encore en cours). Ces dernières connaissent un succès retentissant et, nonobstant les libertés prises avec l’histoire, contribuent à la réhabilitation des anciens Scandinaves en leur donnant un visage moins « barbare ».
On les retrouve dans la publicité, en bande dessinée (Hägard the Horrible, Thorgal…), le jeu vidéo (Assassin’s Creed : Valhalla en 2020) et même… la musique, avec le Viking metal, sous-genre du heavy metal qu’incarnent des groupes comme Bathory ou Amon Amarth… Le parcours s’achève par une évocation des compagnies de reconstitution historique qui, avec beaucoup de sérieux, tentent de retrouver savoir-faire artisanaux, techniques et modes de vie d’antan.
En images, l’exposition caennaise raconte donc tout cela, et bien plus encore, histoire de tordre le cou à maintes idées reçues. Non, les Vikings ne voguaient pas sur des « drakkars », terme inventé de toutes pièces par des auteurs français au XIXe siècle ; non, les Vikings ne portaient pas de casques à cornes, comme dans Astérix et les Normands ! Tout cela n’empêche nullement de laisser intact le souffle épique d’une épopée du fond des âges, en offrant à chacun le loisir d’y trouver sa part d’aventures rêvées !
- Normands, migrants, conquérants, innovateurs (premier volet), jusqu’au 13 août 2023
Musée des Antiquités
198 rue Beauvoisine
76 000 Rouen
En vente sur place, au prix de 12 €, un hors-série de la revue L’objet d’art (n° 167) entièrement consacré à l’exposition.
- Normands, migrants, conquérants, innovateurs (second volet), jusqu’au 13 août 2023
Musée des Beaux-Arts
Esplanade Marcel-Duchamp
76000 Rouen
- Des Vikings et des Normands, imaginaires et représentations, jusqu’au 1er octobre 2023
Musée de Normandie
Château de Caen
14000 Caen
Le catalogue de l’exposition est en vente sur place. Éditions Ouest-France et musée de Normandie, Rennes, 2023 – 208 pages – 30 €.
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Jacmé (15-06-2023 07:41:13)
Sans omettre, parmi "...quantité d'autres titres..." celui de Duc d'Aquitaine que notre Alionor, mère de Richard, lui légua. Ce Duché, que ce soit par son étendue, sa population ou sa richesse (n... Lire la suite