Depuis près de deux cents ans, historiens danois et norvégiens s'écharpent à coups de pamphlets ou de gros volumes, pour estampiller le nom de leur nation sur « l'acte de naissance » du premier maître de la Normandie, le Viking Rollon ou Hrólfr.
Pour étayer leurs affirmations, les Danois s'appuient essentiellement sur la tradition normande, qui présente dès le XIe siècle Rollon comme le fils d'un vénérable noble dace, terme commodément traduit par Danois.
À sa mort, Rollon et son frère, Gurim, se retrouvent en butte à l'animosité de l'irascible roi du Danemark. Ce dernier n'a de cesse de les persécuter. À force d'expéditions militaires et de traîtrises, il parvient finalement à avoir la tête de Gurim et pousse Rollon à prendre la fuite.
L'infortuné exilé entame alors un long périple par delà les mers, qui le mène d'abord en Angleterre où il conclut un traité avec le roi Alstemus. Des songes ne cessent cependant de lui annoncer sa grandeur future, sa vocation à fonder un État au royaume des Francs (l'empire carolingien) et sa conversion prochaine au christianisme.
Il reprend la mer mais est rejeté par une violente tempête sur les côtes de la Hollande. Même s'il accomplit là d'autres prouesses militaires, sa destinée doit s'accomplir ailleurs. Il arrive sur la Seine en 876, participe à une grande attaque sur Paris, ravage bien des terres, conquiert finalement un pays à la pointe de son glaive et se convertit au christianisme.
Dans tous ces récits, Rollon est présenté comme un « bon » Viking, une sorte de chrétien qui s'ignore, prisonnier d'une écorce païenne inéluctablement appelée à voler en éclats.
Le Hrólfr des Norvégiens jaillit tout droit de l'univers fabuleux des sagas islandaises. Écrites pour la plupart au XIIIe siècle, elles reposent sur une très longue tradition orale dont les origines se perdent dans la nuit des temps.
Dans son Histoire des rois de Norvège, le scalde islandais Snorri Sturluson raconte vers 1230 que Hrólfr est le fils du jarl (que l'on pourrait traduire par « duc ») Röngvaldr de Møre. Il se comporte en grand Viking et il est d'une taille telle qu'aucun cheval ne peut le porter. On le surnomme en conséquence Hrólfr le Marcheur.
Après avoir commis un raid de pillage dans la baie d'Oslo, il est condamné au bannissement par le roi Haraldr à la Belle Chevelure. Il s'agit chez les Scandinaves d'une peine terrible. Sa mère se lamente :
« Tel un loup, vous chassez du pays,
Le frère sage de grands paysans.
Ô roi, pourquoi agissez-vous ainsi ?
Il est mal de traiter en ennemi,
Ô guerrier, semblable au loup,
Qui point ne sera clément pour les troupeaux
Du roi, s'il court au bois. »
Après un détour par les Hébrides, il atteint le Valland (Gaule) et s'y forge une principauté.
Alors Rollon, danois ou norvégien ? La question ne trouvera jamais de réponse définitive et continuera à déchainer les passions sur les rives de la Baltique. Les auteurs anciens du royaume des Francs en tout cas, ne s'embarrassent pas de tels détails géographiques et ne le regardent jamais autrement que comme le « pyratorum dux », le chef des pirates.
Dieppe la valeureuse
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