20 octobre 2011. Après l'avoir sermonnée à propos du Tibet, les dirigeants européens appellent aujourd'hui la Chine à leur aide. Par ce retournement historique, le Vieux Continent tourne le dos à 60 ans de prospérité et peut-être à plusieurs siècles de suprématie planétaire...
L’Europe tend la sébile à la Chine. Celle-ci et d’autres pays émergents comme le Brésil sont invités à déposer des devises dans un fonds créé à leur intention en vue de combler la dette publique de la Grèce et d’autres États européens en difficulté.
À l’issue du marathon bruxellois du 20 octobre 2011, le président Nicolas Sarkozy a téléphoné à son homologue chinois Hu Jintao pour l’encourager à secourir le Vieux Continent. C’est un retournement sidérant et quelque peu humiliant trois ans après ses remontrances « droitdelhommistes » suite aux émeutes de Lhassa. Le président français a rassuré ses concitoyens : « Jusqu’ici, tout ne va pas si mal… ».
Son lointain prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing a renchéri : « La Chine, ce n’est jamais que le tiers du PIB européen » [PIB : produit intérieur brut ou richesse nationale]. Mais aux rythmes de croissance actuels, il faudra moins de quinze ans à la Chine pour rattraper l’Europe. Si d’ores et déjà, sans réelle nécessité, les soliveaux en charge de l’Union bradent leur souveraineté et font fi de leur fierté et de leur amour-propre, qu’en sera-t-il alors ?
Il y a deux cents ans, une mission britannique obtenait de commercer avec l’Empire du Milieu. Celui-ci était alors à son apogée sous la dynastie mandchoue (Qing). Sa population était en croissance rapide et ses régions les plus avancées, sur le bas Yangzi, autour de l’actuelle Shanghai, n’avaient rien à envier à l’Angleterre de l’époque.
En une quarantaine d’années, avec la connivence de quelques intermédiaires chinois (les « compradores »), les Britanniques allaient ruiner cette fragile prospérité. Ils allaient même faire la guerre aux Chinois pour obtenir le droit de leur vendre de l’opium.
Au milieu du XIXe siècle, il ne restait plus rien de l’ancienne prospérité. Le pays était plongé dans une horrible guerre civile qui allait causer plusieurs dizaines de millions de victimes (sur 420 millions d’habitants). La population redécouvrait la misère et la famine.
Et pour « aider » le gouvernement chinois à rembourser ses dettes, les Occidentaux plaçaient obligeamment des « conseillers » à ses côtés et obtenaient pour eux-mêmes de nouveaux avantages commerciaux. Ils procédaient de même avec des pays de moindre importance : Tunisie, Égypte, Turquie…
Pour le gouvernement de Pékin, l’asservissement volontaire des Européens a un goût de revanche, cent cinquante ans après la mise à sac du Palais d’Été, une humiliation que nous avons oubliée mais dont le souvenir est enraciné dans la mémoire de tous les Chinois éduqués. Autant dire qu’il serait naïf d’attendre compassion et altruisme de sa part . Il s’est saisi de la perche que lui ont obligeamment tendue les Occidentaux pour rendre au Vieux Continent la monnaie de sa pièce.
La faute originelle des Occidentaux fut d’admettre la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) alors qu’elle ne répondait à aucun critère libéral et, en particulier, manipulait sa monnaie grâce à la mainmise de l’État sur le système bancaire.
Une fois dans l’OMC, la Chine s’est vue ouvrir les marchés occidentaux au détriment d’autres pays pauvres plus respectueux du libre-échange. Ainsi, l’industrie textile des pays méditerranéens a été en partie ruinée par la concurrence chinoise. Et cela sans profit pour les consommateurs européens car les différences de coût ont été récupérées par les actionnaires de la grande distribution.
Cette faute originelle n’est pas le fruit de la fourberie ou du hasard. Elle a été rendue possible par la pression des grands industriels (Alcatel…) et des grands distributeurs occidentaux (Walmart, Carrefour, Leclerc…), désireux de maximiser leurs profits en achetant en Chine des composants et des marchandises à des prix « chinois » et en les revendant dans leur pays à des prix « européens ». De ce point de vue, l’opération s’avère un succès. Les nouveaux « compradores » affichent des taux de profit à deux chiffres (supérieurs à 10%) qui détonnent avec l’état général de leur « patrie ».
Désormais, aucun Européen n’ira chercher noise à Pékin à propos de son action au Tibet ou ailleurs, par exemple en Afrique, dont la mise en coupe réglée au profit de la Chine a commencé avec une redoutable efficacité, à faire pâlir d’envie les anciens coloniaux européens.
Après l’accord du 20 octobre, on peut penser que la Commission de Bruxelles se montrera plus accommodante quand des entreprises chinoises à capitaux d’État voudront acheter des champions européens dans les technologies de pointe. Une tentative concernant le leader hollandais des câbles optiques Draka a échoué de peu il y a quelques mois. Parions que la prochaine tentative réussira.
Il ne fait guère de doute non plus que les fonctionnaires, vétérinaires et douaniers grecs sauront fermer les yeux quand les cargos déchargeront au Pirée les conteneurs en provenance de Shanghai. Ils ne s’attarderont pas sur les normes sanitaires, les normes de sécurité et les certificats de provenance des jouets, des équipements électriques ou de la charcuterie en provenance de l’Empire du Milieu.
Déjà, nul n’a protesté à Athènes comme à Bruxelles quand le président Hu Jintao a promis l’an dernier un crédit exceptionnel aux armateurs grecs pour s’équiper en nouveaux cargos… sous réserve que ceux-ci soient commandés à des chantiers navals chinois. Ce prêt sous condition est une violation caractérisée des règles européennes de « concurrence libre et non faussée » mais qui se hasarderait à le dénoncer ?
Il n’est pas dit cependant que la Chine dominera bientôt le monde comme autrefois le Vieux Continent.
À la différence des États européens quand ils étaient stimulés par leurs rivalités, l’Empire du Milieu, centralisé et rigide, n’a jamais pu soutenir très longtemps une expansion au-delà de ses frontières traditionnelles. Régulièrement, comme au XVe siècle après les expéditions de la Flotte des Trésors dans l’Océan indien, la résurgence des tensions internes l’a obligé à un repli sur lui-même.
Qui plus est, la Chine pourrait pâtir d’ici une génération de la chute très forte de sa fécondité, du vieillissement de la population et du déséquilibre des sexes (élimination des fillettes par avortement ou infanticide).
Mais d’ici là, à défaut d’un sursaut encore improbable, il est à craindre que l’Europe ait irrémédiablement perdu les savoir-faire industriels et le potentiel éducatif et créatif qui ont fait sa grandeur et sa prospérité pendant les derniers siècles.
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