Notre époque a vu évoluer les rapports entre le chat et l’espèce humaine. D'animal tantôt divinisé, tantôt diabolisé, il est devenu le compagnon prisé de personnages illustres. Têtes couronnées, écrivains, célébrités s’entichent du petit félin, réconfort de tous les instants ou complice d’une démarche artistique.
Son caractère indépendant, qui lui a valu tant de faveurs et tant d’avanies, en est venu à symboliser notre temps épris de liberté.
Sous Louis XV, l’angora blanc règne
Les Lumières libèrent l’homme du poids de la religion et le chat en profite. La connaissance des races animales progresse avec les naturalistes, mais face au petit félin domestique, un combat inégal oppose deux grands noms de la science : Buffon et Moncrif.
François Augustin Paradis de Moncrif (1687-1770), acteur, chanteur, musicien, libertin, courtisan et amoureux des chats, est le premier auteur de leur réhabilitation. Un brin philosophe et prophète en son pays, il assure : « N’en doutez point, dans les sociétés, aux spectacles, aux promenades, aux bals, dans les académies même, les chats seront reçus, ou plutôt recherchés. »
Sous forme de onze lettres à la marquise de B., sur le modèle des Lettres Persanes de Montesquieu, son Histoire des Chats (1727) raconte les heurs et malheurs de l’animal et sa place dans la mythologie, l’art et la société. Illustrée par Coypel et rééditée, elle devient un succès de librairie. Il y a beaucoup d’esprit dans cette apologie du chat, pimentée de parodie contre la pédanterie.
Le succès de Moncrif fait des jaloux. Voltaire le rebaptise Mongriffe, puis « grand historiogriffe du royaume », quand il brigue la place d’historiographe royal.
Reçu à l’Académie française en 1733 (appuyé indirectement par le roi contre Marivaux !), un plaisantin lui gâche sa cérémonie en lâchant un chat dans la salle.
Le public se déchaîne en miaulements. Son discours de réception est parodié : Le Miaou, signé du seigneur Raminagrobis, publié « À Chatou, chez Minet, Au chat qui écrit, 1734. » En dépit de ces moqueries, Moncrif continua d’aimer les chats... à la différence notable de Buffon.
Naturaliste à la plume leste, ce dernier n'est pas avare de poncifs. Son discours sur la fausseté des chats, leur propension à faire le mal alors que le chien est toute sincérité, franchise et attachement au maître, relève d’un anthropocentrisme peu scientifique : « Le Chat est un domestique infidèle, qu’on ne garde que par nécessité ».
La suite reste un modèle du genre, certes bien écrit et plaisant au second degré, mais à ne pas suivre, quand on prétend à la rigueur. L’amateur de chat appréciera avec un certain sourire ce portrait psychologique à charge.
« Quoique ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la gentillesse, ils ont en même temps une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers, que l’âge augmente encore, et que l’éducation ne fait que masquer. De voleurs déterminés, ils deviennent seulement, lorsqu’ils sont bien élevés, souples et flatteurs comme les fripons ; ils ont la même adresse, la même subtilité, le même goût pour faire le mal, le même penchant à la petite rapine ; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissimuler leur dessein, épier les occasions, attendre, choisir, saisir l’instant de faire leur coup, se dérober ensuite au châtiment, fuir et demeurer éloignés jusqu’à ce qu’on les rappelle. Ils prennent aisément des habitudes de société, mais jamais des mœurs : ils n’ont que l’apparence de l’attachement ; on le voit à leurs mouvements obliques, à leurs yeux équivoques ; ils ne regardent jamais en face la personne aimée ; soit défiance ou fausseté, ils prennent des détours pour en approcher, pour chercher des caresses auxquelles ils ne sont sensibles que pour le plaisir qu’elles leur font. »
Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière. Tome VI, Les Animaux domestiques, 1756.
Dans une citation connue, Buffon fait dire une absurdité à son illustre confrère et rival, le naturaliste suédois Carl von Linné : « Classer l’homme avec le singe, le lion avec le chat, dire que le lion est un chat à crinière et à queue longue, c’est dégrader, défigurer la nature, au lieu de la décrire et de la dénommer. »
De tous les rois de France, Louis XV le « Bien-Aimé » est celui qui aima le plus les chats. Comme Richelieu, il a un faible pour l’Angora blanc, race naturelle, originaire d'Angora, en Turquie (aujourd'hui Ankara).
Ce chat à la fourrure mi-longue, si différent des européens à poil court, importé en Occident au siècle précédent par le poète et aventurier italien Pietro Delle Valle, est devenu le chat roi à la cour, prisé de tous les nobles et furieusement à la mode dans la bonne société des Lumières.
Chaque matin, Louis XV fait venir son Angora dans sa chambre. Il le regarde aussi jouer sur la table du Conseil, pendant les réunions. Il s’ennuie dans ce métier de roi si peu fait pour sa nature et se divertit comme il peut, avec des chats joueurs et tendres comme avec des maîtresses jeunes et belles.
Le roi interdit aussi pour de bon les bûchers de chats à la Saint-Jean, « tradition barbare », mais durable au-delà de toute raison !
L’histoire continue et la vie de chat va changer avec l’intérêt soutenu que lui porte désormais le public. Il devient un véritable fait de société. Un siècle plus tard, sa réhabilitation est consommée...
Le premier grand romantique du XIXe siècle, René de Chateaubriand, évoque dans ses Mémoires d'outre-tombe son passé de diplomate sous la Restauration et sa vie parisienne, rue d’Enfer (aujourd'hui Denfert-Rochereau) avec Micetto, alias Petit Minet, authentique bâtard : « J'ai pour compagnon un gros chat gris-roux à bandes noires transversales, né au Vatican dans la loge de Raphaël : Léon XII l'avait élevé dans un pan de sa robe où je l'avais vu avec envie lorsque le Pontife me donnait mes audiences d'ambassadeur. Le Successeur de saint Pierre étant mort, j'héritai du chat sans maître (...). On l'appelait Micetto, surnommé « le chat du Pape ». Il jouit, en cette qualité, d'une extrême considération auprès des âmes pieuses. Je cherche à lui faire oublier l'exil, la chapelle Sixtine, et le soleil de cette coupole de Michel-Ange sur laquelle il se promenait loin de la terre. »
Chateaubriand parle en connaisseur et en amoureux ! « J’aime dans le chat ce caractère indépendant et presque ingrat qui le fait ne s’attacher à personne, et cette indifférence avec laquelle il passe des salons à ses gouttières natales. (…) On le caresse, il fait le gros dos, mais c'est un plaisir physique qu'il éprouve, et non, comme le chien, une niaise satisfaction d'aimer et d'être fidèle à son maître, qui le remercie à coups de pied. Buffon a maltraité le chat. Je travaille à sa réhabilitation, et j'espère en faire un animal à la mode du temps. ». Mission accomplie.
XIXe, le « siècle du chat »
Le chat séduit les auteurs, artistes, intellectuels et autres amateurs sous son charme. Compagnon idéal, il dort beaucoup mais veille la nuit, s’agite et « parle » peu. Après Chateaubriand, il séduit et inspire les poètes du siècle.
Charles Baudelaire rend aussi hommage à ce félin. Il l’évoque maintes fois dans son recueil Les Fleurs du mal (1857) qui fera couler tant d’encre et donnera lieu à un procès :
« Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires. »
Édouard Manet, ami du poète, rend tout autant hommage au chat dans de nombreux chefs-d'oeuvre, depuis Olympia (1863) qui lui vaut d'être désigné comme le « peintre au chat noir », jusqu'au très délicat portrait de Madame Manet (la Femme au chat).
L’auteur de Cyrano de Bergerac savoure quant à lui la douce présence de cet animal à sa table d’écriture :
« C'est un petit chat noir effronté comme un page,
Je le laisse jouer sur ma table souvent.
Quelquefois il s'assied sans faire de tapage,
On dirait un joli presse-papier vivant. »
(Edmond Rostand, Les Musardises , 1887-1893)
Le chat noir lui-même est réhabilité et devient l’emblème d’un célèbre cabaret montmartrois, haut-lieu de rencontre du Tout-Paris et symbole de la vie de bohème que chante Aristide Bruant :
« Je cherche fortune
Autour du Chat Noir
Au clair de la lune
À Montmartre, le soir. »
Le « siècle du chat » renoue avec la ferveur qui entourait cet animal du temps des pharaons. Il préfigure aussi sa popularité contemporaine.
L’Angleterre donne l’exemple, avec l’exposition féline de 1871, organisée au Crystal Palace de Londres par Harrison Weir, peintre anglais : « Les chats, allongés sur des coussins écarlates, offrent au regard de chacun la beauté de leurs robes. Ils ne font aucun bruit, tout juste un léger ronronnement, lorsqu’ils lapent le lait qu’on leur apporte. »
Plus de 170 chats sont réunis, classés en deux catégories : British Shorthair - vedette de l’expo, croisement de chats régionaux à poil court - et Persan - race exotique à poils longs, chérie par la reine Victoria et future star féline.
La mode des expositions félines gagne les USA en 1898 (au Madison Square Garden de New York), puis les principaux pays du monde. La France suit en 1925, avec son Cat Club (créé en 1913).
Les premières reproductions sélectives aboutissent à la création de nouvelles races. Le marché est « porteur », les associations félines se multiplient, le snobisme s’en mêle… et la nature est complice : la génétique des chats favorise les mutants.
Événement rare, la découverte d’une nouvelle race : le Siamois aux yeux bleus, venu du Siam (actuelle Thaïlande), vénéré des moines et des rois, gardien du temple depuis le XIVe siècle.
Le major Owen Gould, ambassadeur à Bangkok, parvient à importer un couple. Il faut ensuite que la race survive au climat d’Europe occidentale… Le Siamois vivra son nouveau destin de « Prince des chats », à partir de 1930.
Chaque race a une légende, celle des Siamois est charmante. Ces chats appartenaient aux princesses de Siam. Ils accompagnent les jeunes filles allant au bain, jusqu’à la rive. Chacune se débarrasse de ses bagues et autres bijoux, enfilés à la queue du chat qui l’enroule entre ses pattes, en lieu sûr… Un jour, voyant revenir sa maîtresse, un chat se dresse trop vite, les bijoux roulent dans l’eau et se perdent. Le lendemain, les princesses prirent soin de faire un nœud au bout du porte-bijou et après le bain, on défait le nœud. Mais à force de nouer et dénouer la queue, il s’y forma une nodosité qui est demeurée depuis.
Autre légende plus lointaine, autre histoire de queue : celle du Manx, chat de l’île de Man… qui n’en a pas (de queue). Dans sa hâte d’avant le déluge, Noé aurait refermé la porte de son arche sur la queue du Manx, à jamais coupée. Ce chat étonnant à voir serait arrivé sur l’île de Man (d’où son nom) lors du naufrage de l’invincible Armada en mer d’Irlande.
L’absence de queue est une dégénérescence spontanée, conséquence des accouplements consanguins répétés, favorisés par l’isolement géographique de l’île.
XXe siècle, le chat, enfin ami de l’homme
Le chat a finalement triomphé de la haine issue des superstitions et retrouvé un public d’adorateurs comme au temps des pharaons ! Animal de compagnie préféré à son rival le chien, il génère un marché florissant. Il inspire des œuvres à son image et à sa gloire. Voilà sans nul doute le grand gagnant du bestiaire historique.
« Le chat est le seul animal qui soit arrivé à domestiquer l’homme », peut joliment écrire l'anthropologue Marcel Mauss.
Pour citer des auteurs fans de chat, on a l’embarras du choix. Pour n’en citer qu’un, le choix est simple. Le chat habite la vie et l’œuvre de Madame Colette.
Surnommée « Minet-Chéri » par Sido sa mère, entourée de chats dans son village natal de Bourgogne, elle sera souvent prise en photo avec des chats, dans la rue, au jardin, à sa table de travail.
Elle incarne La Chatte amoureuse dans une pantomime au Ba-Ta-Clan (1912).
Elle invite le chat dans Claudine à l‘école, fait converser un Angora gris, Kiki-la-doucette et un Bulldog, Toby-chien dans Dialogues des Bêtes. Elle eut un chat sauvage venu du Tchad, Bâ-Tou, parfaitement apprivoisé. On retrouve Saha, chatte de Colette, dans son roman La Chatte.
« À fréquenter le chat, on ne risque que de s’enrichir. Serait-ce par calcul que depuis un demi-siècle, je recherche sa compagnie ? » (...) « Je n’eus jamais à le chercher loin : il naît sous mes pas. Chat perdu, chat de ferme traqueur et traqué, maigri d’insomnie, chat de librairie embaumé d’encre, chats des crèmeries et des boucheries, bien nourris, mais transis, les plantes sur le carrelage; chats poussifs de la petite bourgeoisie, enflés de mou; heureux chats despotes qui régnez chez Claude Farrère, sur Paul Morand - et sur moi. », Colette, Amours, Les Vrilles de la vigne (1908). Colette resta sans chat à la mort de Chatte Dernière, son Chartreux - sa race préférée. Mais à la fin de sa vie, on la voit assise sur le trottoir devant chez elle, jardin du Palais-Royal, entourée de chats errants, authentiques « gouttières ».
Le chat est vedette dans les dessins animés, avec Félix le Chat qui naît en 1917. Tom et Jerry (gros chat domestique gris, souris brune et importune) font couple depuis 1940, en 163 courts métrages d’animation, 7 Oscars et une foule de produits dérivés. Citons aussi Fritz le chat, Le chat du Rabbin… Le Chat tout court (signé Geluck) n’en finit pas de faire son retour depuis trente ans.
Hollywood a inventé des Oscars félins (souvent attribués aux roux, qui crèvent l’écran), des films le mettent en vedette (Le Chat de Granier-Deferre, d’après Simenon), mais le chat est moins présent au cinéma et à la télévision que le chien. Raison évidente : il est impossible à dresser.
On l’utilise comme figurant admirablement photogénique, simple passant, fantôme suggéré, ou faisant ce qu’il fait naturellement : laper du lait (dans La Nuit américaine de Truffaut), chasser un oiseau, cracher, s’étirer, dormir… et grimper aux rideaux.
Cette expression connue est devenue le titre et le thème d’un téléfilm dont - fan de chat - l'auteur de ces lignes a écrit le scénario (1980). Le producteur et le réalisateur ont pris le risque d’un tournage avec deux animaux (du chenil Lesourd) en covedette avec deux sociétaires (de la Comédie-Française), Gisèle Casadesus et Robert Manuel. Le mastiff (80 kilos) bavait, bougonnait, bêtifiait à l’envi et crevait l’écran. Quant à l’Angora, la star et sa doublure, l’une prenait des pauses de statue ou de coquette, l’autre adorait plus que tout grimper aux rideaux et retomber sur ses pattes. Effet garanti. Le public applaudit, la critique aussi.
La multiplication des races de chat, initiée au XIXe siècle, correspond à une forte demande. Sur une centaine de races, quelque 60 sont reconnues par le fameux LOOF (Livre Officiel des Origines Félines) qui veille jalousement sur les standards (morphologie, couleur) assortis d’une échelle de points détaillés à l’extrême, avec l’indispensable pedigree pour être un vrai « chat de race », donc, de prix. Une façon de reconnaître la valeur marchande du chat, mais aussi ses qualités, l’intérêt affectif qu’on lui porte.
Après avoir culminé vers 1950, la popularité du Siamois aux yeux bleus, tête ronde et corps robuste, a connu un déclin. Pour suivre la nouvelle norme du standard et gagner des points, on l’a rendu longiligne et anguleux. Ce physique d’anorexique a compromis la survie du Prince des chats. On revient aujourd'hui au Siamois traditionnel, selon Le Livre d’or des chats (EDL).
Autre cas, le Sphynx, avec un « y » et sans poil ni moustache. En 1966 à Toronto, une gouttière noir et blanc met bas un petit chat nu. On s’empresse de fixer la race, en croisant la mère et le fils. On favorise la reproduction en croisant avec le Rex Devon, porteur d’un gène similaire. Le « PFGM » (petit félin génétiquement modifié) est baptisé, mis sur le marché. Air de vieillard décharné, tête de E.T., peau plissée sur la couche de gras qui lui permet de vivre, malgré sa frilosité.
Dans son Dictionnaire amoureux des chats (2008), Frédéric Vitoux s’indigne avec raison : « L’énigme que pose ce sphynx, c’est au fond celle de l’insondable bêtise, sinon de la perversité, de certains éleveurs de chats. »
Parmi les plus rares, le Savannah, un tigré entre 2000 et 5000 €, et le Bengal, allure de petit léopard, 1000 à 3000 €. Très séduisants, mais un « gouttière » tigré l’est aussi.
L’Ashera, le chat le plus cher du monde, ne figure pas encore au LOOF. Issu d’un croisement entre un léopard d’Asie, un serval africain et un chat domestique, il peut atteindre 14 kg. Prix minimum, 22 000 $, le type hypoallergénique avec des marques inhabituelles montant à 125 000 $. Est-ce bien raisonnable ?
Saluons l’Européen à poil court, reconnu comme race à part entière en 1983, et en 2007 par le LOOF qui lui assigne des standards et le rebaptise EuropeanShortair – « so smart ». Reste le vrai bâtard aussi beau que le primé hors de prix, plus résistant, naturellement épargné par la consanguinité… Il attend qu’on l’adopte, dans un refuge.
Malgré la multiplication des races, le chat reste un chat. Il ne subit pas les mêmes excès que les 340 races de chiens (dont les nains, les toys), les vaches (laitières obèses), les poules (pondeuses en batterie), toutes les bêtes à viande (industriellement productives). En cela aussi, il est privilégié.
Nourri et soigné comme jamais, son espérance de vie augmente régulièrement. « Les chats savent faire la différence », énonce ce slogan publicitaire de Whiskas. Rien n'est moins sûr ! D’abord, c’est le maître qui achète. Et comment faire la différence entre une cinquantaine de marques (grand public ou vétérinaires, aliments médicalisés ou spécifiques) vendues dans les grandes surfaces ou sur des sites dédiés, en ligne ?
Marché de la nourriture et des produits de santé pour animaux : 54 milliards d'euros en 2013, pour le monde. En France (record d’Europe), le « petfood » atteint un milliard d’euros pour nos 12 millions de chats - et 623 millions pour les 7,4 millions de chiens. La segmentation du marché rend perplexe : croquettes spéciale « chatons », « chat stérilisé », « chat sensible », « chat d'intérieur » parfois rebaptisé « tigre de salon ». Les seniors ont leur régime, et les obèses, leurs produits light. Le chat étant toujours raffiné ou gourmand, les « coffrets traiteur », « recettes du chef », « double délice » s’alignent.
« Au cours des siècles, le chat édifia toute une civilisation basée sur l’invention, la production et la consommation intensive. Civilisation qui n’avait en réalité qu’un seul but secret : offrir au chat le confort, le gîte et le couvert. C’est dire que l’homme inventa des millions d’objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement les quelques objets indispensables au bien-être du chat : le radiateur, le coussin, le bol, le plat à sciure, le pêcheur breton, le tapis, la moquette, le panier d’osier et peut-être aussi la radio puisque les chats aiment la musique (…)
Mais, de tout cela, les hommes ne savent rien. À leurs souhaits. Bénis soient-ils. Et ils croient l’être. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes des chats. »
Jacques Sternberg, Contes glacés (1974).
XXIe siècle, l’aventure continue
Quelques repères sont autant de preuves et de raison d’espérer en la belle et longue vie du chat.
1. Notre sensibilité à l’animal est de plus en plus vive, en contrepartie d’une vie trop mécanisée ou virtuelle. La loi de 2014 améliore le statut des ex « biens meubles ». Des lanceurs d’alerte (associations et autres) dénoncent les abus devenus insupportables au public : expérience sur les animaux, trafics et traitements indignes.
En mai 2016, les banquets de chats et de chiens en Chine ont choqué les Chinois qui vivent de plus en plus nombreux avec ces animaux de compagnie. C’est un cercle vertueux, on ne mange pas son ami, on ne le maltraite pas.
2. L’attrait de l’homme pour le mystère et la spiritualité du chat est tout à l’honneur des deux intéressés. La ronron-thérapie est reconnue, en passe de devenir une branche de la naturopathie pour les malades, y compris les enfants (autistes) et les gens âgés, les adultes déprimés... Quel beau mariage d’amour et de raison !
3. Un chat bien né, pas (trop) génétiquement modifié ni surprotégé, ne craint pas le réchauffement climatique (ni le froid si le Gulf Stream faiblit) : sa fourrure isolante, sa résistance naturelle, sa remarquable capacité d’adaptation en témoignent depuis la préhistoire.
4. Le chat court partout sur le Net depuis quelques années. Animal totem, phénomène du « lolcat », vidéos et trucages à gogo. Ça plaît. Mais est-ce bien l'animal lui-même qui crée cet engouement ?
Pour finir en beauté et en majesté cette histoire de bientôt dix mille ans, retrouvons les auteurs qui ont rendu hommage au chat.
« Le chat ne nous caresse pas, il se caresse à nous. »,
Rivarol, Anecdotes et bons mots (1812), aristocrate de l’esprit, amoureux de la langue et des chats.
« De tous les animaux, les femmes, les mouches et les chats sont ceux qui passent le plus de temps à leur toilette. »,
Charles Nodier, Maximes et pensées, cité dans le Dictionnaire universel de la langue française (1835)
« J'ai beaucoup étudié les philosophes et les chats. La sagesse des chats est infiniment supérieure. »,
Hippolyte Taine, Vie et opinions philosophiques d’un chat, Voyage aux Pyrénées (1858), historien.
« Lorsqu'un chat accorde sa confiance à un homme, c'est sa plus belle offrande. »,
Charles Darwin, naturaliste anglais du XIXe s, bien inspiré par la lecture de notre Buffon national.
« On explique l'amour que certains personnages politiques portent aux chats par le mépris qu'ils ont des hommes, qu'a peu d'exceptions près ils tiennent pour des animaux rampants. »,
Champfleury, Les Chats : histoire, mœurs, observations, anecdotes (1869), ami d’Hugo et des chats.
« Si l'on pouvait croiser l'homme avec le chat, ça améliorerait l'homme mais ça dégraderait le chat. »,
Mark Twain, Note book (posthume), romancier, journaliste, homme d’affaires et humoriste anglais.
« Je ne suis pas un ami et je ne suis pas un serviteur. Je suis le Chat qui s’en va tout seul, et je désire entrer dans votre Grotte. »,
Rudyard Kipling, Histoires comme ça (1902), premier lauréat anglophone du Nobel littéraire en 1907.
« Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre. »,
Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire (1911), poète.
« Le temps passé avec un chat n'est jamais perdu. »… « Il n'y a pas de chat ordinaire. »,
Colette, pour mémoire, pour le plaisir… et au bonheur des chats.
« Avec les qualités de propreté, d'affection, de patience, de dignité et de courage que possèdent les chats, combien d'entre nous, je vous le demande, pourraient devenir des chats ? »,
Fernand Méry, Sa Majesté le chat (1956), vétérinaire vedette et fan du Siamois.
« Si je préfère les chats aux chiens, c’est parce qu’il n’y a pas de chat policier. »,
Jean Cocteau, voisin et ami de Colette au Palais-Royal.
« Chaque fois qu'une maîtresse me quitte, j'adopte un chat de gouttière : une bête s'en va, une autre arrive. »,
Paul Léautaud, Journal littéraire (1954 à 1966). Ce misogyne a hébergé 300 chats dans sa longue vie.
« Il y a deux moyens d'oublier les tracas de la vie : la musique et les chats. »,
Albert Schweitzer, Prix Nobel de la Paix (1952), médecin, musicien et théologien.
« Et quand je vois passer un chat je dis : "Il en sait long sur l'homme" »,
Jules Supervielle, Le Jeune homme du dimanche et des autres jours (1952), poète.
« Un chat c’est l’ensorcellement même, le tact en ondes… c’est tout en brrt, brrt de paroles… Bébert en brrt il causait, positivement… Maintenant il brrt , brrt pour lui seul… il monologue sur lui-même… comme moi-même… il est abruti comme moi-même… »,
Louis-Ferdinand Céline, Féérie pour une autre fois I et II (1952 et 1954), écrivain et médecin, maître de Bébert le chat.
« Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. »,
Alberto Giacometti, Écrits (posthume), artiste peintre et sculpteur.
« Le chat est à nos côtés le souvenir chaud poilu, moustachu et ronronnant d'un paradis perdu. »,
Léonor Fini, Miroir des chats (1977), artiste peintre, entourée de 17 chats de toutes races et couleurs.
« Un chien, un chat, c'est un cœur avec du poil autour. »,
Brigitte Bardot, TF1, 1991. Star au cinéma, elle crée en 1986 la Fondation à son nom et milite pour la cause animale : « J'ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes ; je donne ma sagesse et mon expérience aux animaux. »
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Voir les 4 commentaires sur cet article
PATRICK (12-12-2020 18:29:51)
Bien, très bien même sans vouloir noter. Facile d'accès et immédiat ; j'ai pu répondre à mes petits enfants dans l'instantané avec des éléments de qualité.
AlbanB (01-04-2020 14:17:20)
Félicitations pour ce très bel article, richement illustré. Au XXème siècle, on pourrait également citer le peintre Foujita, qui a beaucoup mis en scène le chat dans ses tableaux. Bien cordi... Lire la suite
siska (11-12-2016 18:33:06)
Nous avons eu un chien qui a vécu 19 ans, chat de gouttière sans signe particulier sinon celui de nous aimer et nous suivre sans cesse. Il a "démenagé" 4 fois avec toujours une capacité d'adapta... Lire la suite