Les infréquentables frères Goncourt

Détestables mais fascinants

Les frères Edmond et Jules de Goncourt, photographiés par Nadar - Félix Tournachon - dans les années 1860A priori, ils n’ont rien pour plaire. Ils sont misanthropes, misogynes, vaniteux, réacs, antimodernes, « génies autoproclamés », provocateurs, un brin paranoïaques... et antisémites comme une bonne part des intellectuels de leur époque.

C’est pour cela que leur biographe, Pierre Ménard, les a qualifiés « les infréquentables frères Goncourt » (Tallandier, 413 p, 21,90 euros).

A-t-il pour autant tracé d’eux un portrait à charge ? Non, car les deux intéressés revendiquent pleinement ces traits de caractères qui les conduisent à mépriser leur époque et leurs congénères dans lesquels ils n’auraient pas le mauvais goût de se reconnaître.

Témoins acerbes de leur temps

Voici deux frères nés à huit ans d’intervalle (Edmond en 1822 et Jules en 1830) qui ont vécu dans une sorte de gémellité stupéfiante jusqu’à ce que la mort les sépare. Pas même une femme n’est parvenue à troubler leur vie fusionnelle. « Pourquoi s’embarrasseraient-ils d’une femme qui ne pourrait que briser leur paisible union ? Leur amour-propre leur rend difficile l’amour d’autres qu’eux-mêmes, aussi chacun se satisfait-il de la prolongation de sa propre personne trouvée dans son frère », constate subtilement l’auteur.

Heureux rentiers qui ont eu la liberté de ne pas travailler grâce aux économies réalisées par leur mère et les rentrées d’argent d’un fermage hérité du père, ancien valeureux soldat de l’armée napoléonienne, les Goncourt ont habité ensemble, voyagé ensemble, mondanisé ensemble. Ils ont partagé un temps une même maîtresse, la même passion pour le XVIIIe siècle, les collections d’œuvres d’art et le japonisme.

Plus étonnant encore, ils ont réussi l’exploit d’écrire à quatre mains – exercice toujours périlleux -, romans, pièces de théâtre, livres historiques, ainsi qu’une partie de leur fameux Journal.

Ce n’est qu’en 1877 que le succès s’attache au nom de Goncourt avec la publication de La Fille Elisa, roman sur la prostitution et les maisons carcérales pour femmes. Enfin la reconnaissance pour Edmond ! Certains de ses confrères comme Mirbeau, Maupassant, Huysmans, le sacrent comme l’un des trois maîtres de la littérature contemporaine avec Flaubert et Zola.

Le roman La Fille Elisa publié en 1877 par Edmond de Goncourt et illustré en 1896 par Toulouse-Lautrec, Librairie de France, 1931, Fac-simile tiré à 200 exemplaires, DR.

Eugène Carrière, Edmond de Goncourt sur son lit de mort en 1896, Paris, musée d'Orsay.Peu avant sa mort (16 juillet 1896) Edmond de Goncourt, compatissant envers les jeunes écrivains désargentés, crée une académie à son nom, légataire de sa fortune, de ses collections et de ses droits d’auteur ; il la veut composée de dix hommes de lettres recevant une pension annuelle de 6000 francs leur garantissant de vivre de leur plume « sans être forcés de perdre leur temps et leur talent dans le travail d’un ministère ou dans les œuvres basses du journalisme ».

Ainsi naît l’Académie Goncourt qui, initialement devait donc donner leur chance à de jeunes littérateurs. Une orientation qui n’a pas toujours été respectée par la suite... Mais cette institution perdure depuis plus d’un siècle et a essaimé à travers d’autres prix littéraires. Si aujourd’hui, on ne lit plus guère les œuvres des Goncourt hormis leur Journal, leur nom reste attaché à leur renommée de diaristes corrosifs, et à une Académie à la réputation internationale.

Publié ou mis à jour le : 2020-03-28 18:03:07

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