L'essai Femmes de dictateur (éditions Perrin, janvier 2011, 356 pages, 21 euros), par Diane Ducret, normalienne et journaliste, a le mérite d'éclairer les arrière-cours des grands régimes autoritaires du XXe siècle, par principe secrètes et hermétiques au monde extérieur.
Plus que tout autre, le dictateur contrôle son image et veut donner une impression quasiment parfaite de son foyer, ou de son intimité. Ou à tout le moins, de la faire coïncider avec sa doctrine et son idéologie. En dévoilant la vie privée des tyrans, on déboulonne les statues.
En cherchant les femmes, on découvre bien souvent un autre homme, complexe dans ses amours, tiraillé par ses contradictions... Antonio Salazar, par exemple, l'ancien séminariste qui joue les Pères-la-Vertu devant les Portugais, tout en collectionnant les conquêtes dans les palaces. Après un dîner chez le cardinal de Lisbonne, il n'est pas rare de le voir rejoindre illico sa maîtresse - une danseuse au serpent.
Hitler, grand maniaque affectif, qui incite les Allemands à fonder des familles pour repeupler le Reich, lui-même étant incapable de mener une relation stable avec une femme - il épouse Eva Braun un jour avant de se suicider. Lénine, défenseur de l'émancipation des camarades bolcheviques, mais surtout pas dans son foyer où il se révèle un bigame heureux en entretenant un ménage à trois jusqu'à la prise du Kremlin. Tous ont menti pour régenter à leur guise une vie privée dont seule la violence ou la dureté reste une constante.
Le magnétisme des hommes d'action
Difficile en tout cas de dresser des portraits types de ces compagnes ou maîtresses qui ont accepté de suivre ou d'aimer de tels personnages.
Il y a l'amour, bien sûr, en tout cas lorsqu'elles sont les premières sur la liste, celles qui ouvrent les premiers chapitres du destin. Et c'est tout le mérite de Diane Ducret de leur redonner une place dans la saga de l'Histoire, même si la mort les attend vite au tournant. C'est le cas de la pauvre « kato », épouse éphémère du « gangster Staline » dont les cavales lui seront fatales, ou encore Yang Kaihui, la femme de Mao qui est décapitée en 1930 sans que le révolutionnaire n'intervienne...
Beaucoup seront en tout cas attirées par l'aventure ou fascinées par l'énergie animale, le magnétisme, le regard hypnotique que ces hommes dégagent, tel Mussolini, sans doute le plus grand collectionneur dans sa catégorie : « La foule, comme les femmes, est faite pour être violée » avait-il coutume de dire.
Le Duce attire ces dames, mais il a également besoin d'elles, notamment dans la première partie de sa vie, pendant laquelle Margherita Sarfati, une belle juive vénitienne, va le mettre en avant, lui écrire ses discours, le pousser à marcher sur Rome en 1922 alors qu'il se montre hésitant...
Hitler, de son côté, recevra plus de lettres que Mick Jagger et les Beatles réunis. Car l'attirance, la séduction, est l'un des ressorts du pouvoir absolu, son moteur même, et les dictateurs ont besoin de l'adhésion des femmes pour enrôler leur peuple. Comment ensuite ne pas piocher dans le rang des premières groupies ? Mao met ainsi en place un véritable système de tri - à la fin de sa vie, il est gourmand de très jeunes militantes -, qui n'a rien à envier aux harems des satrapes orientaux.
L'attrait du pouvoir
Enfin, certaines viennent par goût du pouvoir, pour satisfaire une ambition démesurée au côté d'un homme qui leur apporte ce qu'elles désirent plus que tout. Deux femmes émergent ainsi du lot, Helena Ceausescu et Jiang Qing, dont les destins sont par ailleurs assez similaires : deux femmes au passé léger ou sulfureux (illettrisme pour la première, début d'actrice ratée pour la seconde) qu'elles prendront bien soin d'effacer après leur main mise sur le pouvoir, en accumulant titres et diplômes mensongers et honorifiques. Elles auront cette même vanité affichée et cette terreur organisée vis-à-vis de leur peuple. « Le sexe est attirant au début, expliquait la dernière épouse de Mao, mais ce qui compte, à la longue, c'est le pouvoir ».
Inutile de dire que l'ambiance est parfois électrique dans les palais, et c'est tout le mérite de Diane Ducret d'avoir retrouvé des témoignages d'amis, des lettres écrites ou de rapporter des extraits de journaux intimes. Car ces femmes de dictateurs, au tempérament souvent bien trempé, ne s'en laissent pas toujours compter, surtout quand elles se découvrent trahis par leurs maris.
« Fils de porc, espèce de bon à rien qui ne pense qu'aux catins » lance à Mao Zedong sa troisième épouse, la camarade He Zizchen, quand elle découvre qu'il fréquente une jeune actrice. Le Grand Timonier a toujours battu en retraite face aux crises de jalousie ou de colère de ses différentes épouses ou maitresses, à la différence d'un Staline, violent, qui traite régulièrement sa seconde épouse de « schizophrène et d'hystérique ».
Adolf Hitler croit pouvoir régenter et dominer la vie d'Eva Braun, « sa bécasse » comme il la surnomme. Elle doit sans cesse l'attendre au pied levé, porter quasiment les mêmes tenues et coiffure (Hitler déteste le changement), écouter ses diatribes qui l'assomment, « l'ennuient prodigieusement » et l'obligent à ouvrir le dictionnaire.
Mais « la bécasse » se rebiffe, et lui tient tête : elle boit de l'alcool, mange de la viande, se maquille (tout ce que Hitler déteste), elle dévalise les boutiques, se moque de sa fameuse mèche qu'elle n'aime pas, compare sa casquette à celle d'un facteur, et lui impose la présence de scottish-terriers au Berghof, son chalet bavarois, face au berger allemand préféré du despote, Blondie, obligée de battre en retraite dans la chambre. « Ta chienne est un veau » lui lance Eva. Vexé, Hitler refusera toujours de poser avec les chiens de sa compagne...
Plus près de nous, dans les années 1970, Bokassa se plie bon gré mal gré aux exigences de l'impératrice Catherine, qui doit supporter une armée de concubines : l'éphémère empereur de Centrafrique respecte des couvre-feux pour ses sorties et mesure sa consommation d'alcool...
La mort au rendez-vous
On retrouve en tout cas une constante dans tous ces destins croisés : la mort est inextricablement liée à l'amour lorsqu'on fréquente un dictateur. Presque toutes seront sacrifiées, exécutées, massacrées ou finiront par se suicider, comme Eva Braun justement, au côté de Hitler, dans leur bunker de Berlin, ou encore Jiang Qing, condamnée en 1981, qui choisit de mettre fin à ses jours dix ans plus tard. « Ce sont des héroïnes tragiques, explique l'auteur, amoureuses des pires criminels, fragiles et dérangées, parfois touchantes et courageuses. Mais ce ne sont pas des victimes : elles choisissent leur destin. »
Le grand mérite de Diane Ducret est d'éclairer une autre facette des despotes du XXe siècle, sans céder à la frivolité ni tomber dans une psychologie de comptoir. L'intimité se mêle souvent à la grande Histoire et le livre, découpé par tranches de vie, se lit très bien.
À travers leurs sentiments, leurs passions, leurs élans, ces dictateurs sont plus vrais que nature, lâches et humains, débarrassés d'un uniforme aseptisé, nus devant l'histoire et le regard voyeur du lecteur, et presque toujours effrayants. Un éclairage en biais salutaire, instructif, et historique.
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