Le 22 août 1717, le prince Eugène de Savoie entre triomphalement à Belgrade à la tête des troupes autrichiennes.
Le traité de Passarowitz conclu avec les Turcs l'année suivante, le 21 juillet 1718, confirme à l'Autriche la possession du banat de Temesvar (Timisoara), la Valachie ainsi que la Serbie du nord avec Belgrade. Avec ce nouveau succès face aux Turcs ottomans, le prince Eugène se range parmi les plus grands chefs de guerre de l'Histoire.
Le prince Eugène est né à Paris, le 18 octobre 1663. Il est le fils d'Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, comte de Soissons, et d'Olympe Mancini, une nièce du Premier ministre Jules Mazarin réputée « la perle des précieuses ». Louis XIV avait apprécié dans sa jeunesse sa compagnie et son charme. Il l'avait même courtisée...
Le prince Eugène fréquente le meilleur monde et devient l'intime de François-Louis de Bourbon, prince de Conti. En tant que cadet de famille, il devrait se destiner à une carrière religieuse, d'autant que sa santé est fragile et qu'il est bossu et de modeste stature. Pour ne rien arranger, on lui prête des penchants homosexuels. Mais à 20 ans, il ne rêve que de combats !
Une entrevue désastreuse
En juin 1683, le jeune Eugène se présente en audience à Versailles parmi d'autres jeunes gens de bonne famille et sollicite une charge militaire.
Les guerres sont continuelles et le royaume a grand besoin de toutes les bonnes volontés. Mais le roi, qui en veut à sa mère pour son implication dans l'« affaire des poisons», ne fait pas à Eugène l'accueil qu'il espère. Qu'à cela ne tienne. Le jeune homme a entendu dire que l'armée du grand vizir approche des murs de Vienne. Le pape a lancé un appel à tous les princes d'Europe à se porter au secours de l'archiduc d'Autriche, également empereur d'Allemagne sous le nom de Léopold Ier.
Maudissant le roi et son ministre de la Guerre Louvois, le prince décide de s'enfuir du royaume. Quelques jours plus tard, le 26 juillet 1683, à la nuit tombée, Eugène et le prince de Conti franchissent la porte Saint-Denis sous un déguisement et s'éloignent au galop vers la frontière d'Allemagne. Les gens du roi se lancent à leur poursuite dès le lendemain, mais ne peuvent les rejoindre qu'à Francfort, en territoire étranger.
Le jeune Bourbon se laisse convaincre de rentrer à Paris. Quant à Eugène, il poursuit son voyage et se met derechef au service de Léopold Ier, lequel est alors réfugié à Passau, en Bavière...
Premiers succès contre les Turcs
Eugène arrive à point nommé. Les nobles de la « Hongrie royale », soumise aux Habsbourg, se sont soulevés quelques mois plus tôt à l'appel du comte Thököly et ont obtenu le soutien intéressé des Ottomans, qui dominent le reste de la Hongrie et notamment la Transylvanie.
Le pacha Kara Moustapha, grand vizir du sultan Mohamed IV, a entrepris dès le mois de mai le siège de Vienne. En vue de la contre-offensive menée avec le concours du roi Jean III Sobieski de Pologne, le duc Charles V de Lorraine offre à Eugène un régiment. À la tête de ce régiment, le prince d'à peine vingt ans fait ses preuves.
Le jeune colonel se distingue un peu plus tard, en 1688, dans la prise de Belgrade. Il est nommé feld-maréchal à 29 ans en 1692. Enfin, il prend le commandement en chef de l'armée autrichienne et remporte en 1697 la victoire mémorable de Zenta, en Hongrie, sur l'armée turque. Son étoile monte au zénith avec le traité de Karlowitz, en 1699, consacrant les conquêtes immenses de l'Autriche en Hongrie et Transylvanie.
Guerres européennes
Le prince mène avec brio les guerres de la Ligue d'Augsbourg et de la Succession d'Espagne en Allemagne et en Italie contre la France et les princes protestants.
Bien que l'armée de Louis XIV ait acquis la réputation d'être la plus redoutable d'Europe, le prince Eugène triomphe du maréchal de Catinat à Carpi (1701) puis du duc de Villeroi à Crémone (1702). Par un audacieux coup de main sur la forteresse lombarde, il s'empare de Villeroi lui-même.
En 1704, il se joint au duc de Marlborough (ancêtre de Winston Churchill) et contribue à son illustre victoire de Blenheim ou Höchstädt, en Bavière, sur les troupes françaises.
L'année suivante le retrouve en Italie, opposé à son cousin Louis Joseph de Vendôme à Cassano. Par sa victoire de Turin, le 7 septembre 1706, il fait rentrer le Milanais et la Lombardie sous l'autorité impériale.
En 1707 toutefois, il échoue dans sa tentative d'invasion en Provence que Vauban a remarquablement fortifiée.
Retrouvant Marlborough dans les campagnes de Flandres, il met une nouvelle fois les Français en déroute par ses victoires de Oudenaarde (1708) et Malplaquet (1709). Paris est maintenant à sa portée. Mais le Roi-Soleil fait appel au maréchal de Villars (69 ans) qui remporte la journée de Denain (1712) et redresse in extremis la situation de la France.
Les négociations de paix s'ouvrent à Utrecht et Rastätt tandis que les opérations continuent en Rhénanie.
En 1714, Eugène est chargé par l'empereur Charles VI de négocier la paix avec une France épuisée. Il est ensuite nommé gouverneur des Pays-Bas autrichiens puis vice-roi d'Italie.
La guerre ayant repris avec les Turcs, il regagne les Balkans pour ses plus prestigieuses campagnes. Elles lui valent les victoires de Petrovaradine et Belgrade, le 22 août 1717.
Ses succès débouchent sur le traité de Passarowitz, le 21 juillet 1718, qui attribue à l'Autriche des gains inespérés en Europe centrale et dans les Balkans.
Le prince se voit alors confié l'administration des nouvelles conquêtes. Il organise les Confins militaires, dans les régions frontalières de l'empire ottoman, en y installant des familles de colons et de militaires en échange d'exemptions fiscales. Ces Confins (Krajina en croate) seront au coeur des guerres yougoslaves dans les années 1990.
Septuagénaire, le prince Eugène prend encore le commandement suprême au cours de la guerre de Succession de Pologne, quoique avec moins de bonheur que dans sa jeunesse. Il se laisse enlever Philippsbourg (actuel département de la Moselle) et conclut la paix avec la France sans trop attendre.
Il s'éteint à Vienne, dans son palais du Belvédère, le 24 avril 1736.
Prince cosmopolite, plus européen d'esprit que la plupart de nos contemporains, Eugène se faisait appeler Eugenio von Savoie (trois langues pour un nom !). Son allemand reste toujours grossier et c'est en français qu'il mène contre Louis XIV un combat de 30 ans.
Promoteur inspiré de la « Vienna gloriosa », le prince Eugène fait construire sur une colline des faubourgs de Vienne la fabuleuse résidence du Belvédère pour abriter des collections fastueuses et des fêtes splendides. Les plans en sont dressés par Johann Lukas Hildebrandt.
Homme de distinction, resté célibataire, Eugène correspond avec Voltaire et Leibniz, qui lui dédie sa Monadologie... Mais, de toute sa vie, il ne put remettre les pieds à Paris !
Guerres
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