Nombre de nations revendiquent l'invention du football : les Florentins, avec le calcio, jeu traditionnel très violent, les Français avec la soule qui se jouait, là aussi avec brutalité, entre villages, mais c'est incontestablement l'Angleterre qui a vu naître le jeu, au moins sous sa forme moderne, plus civile mais ô combien populaire.
Le football est aujourd'hui à la fois une religion, une industrie et un enjeu politique et financier de première importance.
Depuis sa création en 1928 par Jules Rimet, la Coupe du Monde réunit de quatre ans en quatre ans un public chaque fois plus nombreux et plus enthousiaste, y compris pour le football féminin. La finale de 1998 est devenue un élément de l'identité française, comme celle de 1954 de l'identité allemande. Quant à celle de 2022 au Qatar, elle s'affiche clairement comme l'expression du soft power de l'émirat gazier...
Le XXIe siècle amorce un retournement radical suite à l'arrêt Bosman qui a autorisé les transferts de joueurs et transformé le football professionnel en une gigantesque entreprise commerciale dépourvue d'attaches nationales...
Une origine obscure
Le nom apparaît à la fin du Moyen Âge et se retrouve sous la plume de Shakespeare (dans le Roi Lear, I, 4, le comte du Kent insulte l'odieux intendant en le traitant de « vil joueur de football », avant de lui faire un croc-en-jambe).
Mais c'est dans les public schools huppées et les universités que se développe, au XIXe siècle, le football que nous connaissons. Les sports sont alors un passe-temps favori de l'aristocratie mais le football, alors appelé football-association, va très vite lui échapper, contrairement à sa variante, le rugby - à l'origine on parle de football-rugby - qui reste longtemps une activité de la bonne société.
L'avance britannique
En 1857 est créé le premier club, le Sheffield Football Club. La fédération anglaise suit en 1863, sous le nom de Football Association. Elle est chargée d'unifier le règlement et organise à partir de 1871 sa coupe, puis, en 1888-1889, le premier championnat.
Entre temps, en 1885, le professionnalisme a été adopté, non sans de fortes résistances : les clubs du nord et des régions minières, aux mains d'industriels, en sont des partisans convaincus car il offre aux meilleurs joueurs l'espoir de se consacrer tout entier à leur passion, alors que les clubs du sud, fréquentés par l'aristocratie riche et conservatrice, ne voit pas l'intérêt de rétribuer la pratique d'un sport de loisir, même à haute dose.
Grâce au professionnalisme, l'essor du football va se révéler exponentiel et s'ouvrir aux prolétaires. En 1901, la finale de la Cup accueille environ 110 000 spectateurs dans le centre sportif de Crystal Palace ! À celle de 1923, lors de l'inauguration de l'Empire Stadium de Wembley, se pressent 200 000 personnes.
L'Angleterre n'a durant ces décennies qu'un rival, l'Écosse, contre laquelle elle dispute le 20 novembre 1872 le premier match international officiel de l'Histoire (0-0). Tandis que les Anglais privilégiaient le dribble, hérité du duel chevaleresque, les Écossais pratiquent le jeu de passe qui s'avère bien plus efficace et se diffuse progressivement.
Football et révolution industrielle
La diffusion du football suit les ingénieurs et hommes d'affaires britanniques employés dans les chantiers et ports européens, puis sud-américains. Elle passe aussi par la Suisse, où sont implantées de nombreuses écoles anglaises.
Les clubs fondés par les Britanniques expatriés s'ouvrent progressivement aux étrangers. C'est le cas à Naples ou Gênes en Italie, ainsi qu'au Havre, où naît le premier club français en 1872. Les couleurs « ciel et marine » de ce club sont le fruit d'un délicat compromis entre les anciens étudiants d'Oxford, qui portent encore aujourd'hui les maillots bleu foncé (dark blue), et ceux de Cambridge, adeptes du bleu clair (light blue).
Dans le même temps, de nombreux aristocrates et industriels étrangers créent leur propre club à l'imitation des Britanniques. Mais ils tardent à se structurer. Il faudra toute l'énergie du Français Jules Rimet pour permettre aux différents clubs du monde entier de s'affronter dans le cadre d'une organisation internationale, la FIFA, fondée le 21 mai 1904.
Le premier match international de l'équipe de France est disputé à Bruxelles le 1er mai 1904, contre la Belgique, et se termine par un match nul, 3-3. La première victoire française intervient quelques mois plus tard, contre la Suisse, le 12 février 1905.
Les joueurs ne bénéficient pas alors des égards de leurs actuels successeurs : lors d'un nouveau match contre la Belgique, le gardien, Crozier, appelé sous les drapeaux, doit quitter le terrain avant la fin pour regagner son régiment à temps ! Si la France peut résister à certaines équipes continentales, elle ne fait pas le poids face à l'Angleterre, qui en 1906 l'étrille 15 à 0, avant de recommencer en 1908 (12-0) !
Convaincus de leur supériorité, les Britanniques se tiennent à distance des organisations internationales qui se mettent en place. Ils ne rejoignent la FIFA qu'un an après sa création et ne manquent pas de protester contre l'amateurisme pratiqué pendant les tournois organisés à l'occasion des Jeux Olympiques et auxquels leurs joueurs professionnels ne pouvaient participer. Ils boycotteront également la FIFA en 1920 pour protester contre la réintégration de l'Allemagne et de l'Autriche, jugée prématurée.
C’est en Angleterre que l’on recense le premier match de football féminin de l’Histoire, en 1881 : il oppose l’Écosse à l’Angleterre. L’édition du Glasgow Herald de l’époque décrit un match non-officiel, arrêté précipitamment à cause de l’invasion du terrain par plusieurs spectateurs. Ce match raté illustre combien le développement du football pour les femmes sera chaotique. Pierre de Coubertin, père fondateur des Jeux Olympiques modernes, est un bon exemple de la mentalité de l’époque concernant les femmes et le sport : « Le rôle de la femme reste ce qu'il a toujours été : elle est avant tout la compagne de l'homme, la future mère de famille, et doit être élevée en vue de cet avenir immuable. »
Il n'empêche que les Anglaises, très vite, s'engagent dans ce sport, y voyant plus qu'un divertissement : un moyen de faire avancer leurs revendications politiques. Si le premier match officiel opposant deux équipes féminines anglaises a lieu en 1895, il faut attendre 1917 pour que soit organisée la première rencontre féminine en France, entre deux équipes du club parisien Femina Sport. Le championnat de France est mis en place l’année suivante et, en 1920, une sélection des meilleures joueuses tricolores s’envole vers Angleterre pour affronter les Dick Kerr's Ladies. C’est le premier crunch féminin de l’histoire, remporté 2-0 par les Françaises devant 25 000 spectateurs (le crunch désigne, surtout au rugby, une compétition entre les « ennemies héréditaires » que sont la France et l'Angleterre).
L’essor du foot féminin est néanmoins brisé après la Première Guerre mondiale et tour à tour interdit dans plusieurs pays. En France, il est proscrit par le régime de Vichy, qui encourage néanmoins les femmes à pratiquer le sport. Il ne renaîtra de ses cendres que les années 1950-1960, de façon amateure. Ce n’est qu’en 1970 qu’il sera reconnu et intégré à la Fédération Française de Football. Deux décennies plus tard, en 1991, est organisée la première Coupe du monde féminine par la FIFA. Depuis, le football féminin reprend sa progression.
On recense en France en 2019 près de 165 000 licenciées pour 2 millions de licenciés. C'est encore très peu en comparaison du handball (180 000 licenciées pour 310 000 licenciés) et du volley-ball où l'on compte presque autant que femmes licenciées (66 000) que d'hommes (75 000).
Le football, devenu en quelques décennies le sport le plus populaire de la planète, a été dès avant la Première Guerre mondiale un enjeu national, politique et idéologique.
Après que la FIFA eut admis parmi ses membres les trois principales « nations » de l'Autriche-Hongrie : l'Autriche, la Hongrie et la Bohème, cette dernière en a été exclue sous la pression de Vienne et Budapest. C'est qu'à l'époque, Autrichiens et Hongrois co-dirigeaient l'Autriche-Hongrie sur le dos des Slaves et en particulier des Tchèques de Bohême ! Les composantes du Royaume-Uni (Angleterre, Écosse, Pays de Galles, Irlande) avaient obtenu quant à elles sans difficulté leur affiliation à la FIFA dès 1910, preuve d'une plus grande ouverture de Londres à la diversité politique.
En 1928, Jules Rimet se rallie au professionnalisme et crée une compétition mondiale distincte des Jeux Olympiques mais qui se déroulera comme eux tous les quatre ans : la Coupe du Monde. La première édition est organisée en 1930 en Uruguay, ce qui a l'heur de plaire aux Sud-Américains. L'Uruguay s'honore aussi en ne réservant pas la compétition aux blancs.
Dans les pays totalitaires, le football est très vite récupéré par les dirigeants. Cela commença avec Mussolini, qui obtint au forceps l'organisation de la 2e Coupe du Monde à Rome en 1934. L'équipe italienne ne put faire moins que remporter la Coupe. Elle renouvela l'exploit à l'édition suivante, à Paris, en 1938, pour la plus grande gloire du Duce.
Pour l'occasion, la Squadra Azzura délaissa le maillot bleu pour un maillot noir, à l'image des « chemises noires » fascistes. Elle triompha en finale de la Hongrie, au stade de Colombes, près de Paris, sous les yeux du président Albert Lebrun.
Nous étions alors le 19 juin 1938. Trois mois plus tôt, l'Allemagne hitlérienne avait annexé l'Autriche. En Espagne, la guerre civile était en passe d'aboutir à la victoire de Franco.
L'opinion publique, en Europe, ne se faisait plus beaucoup d'illusions sur la paix et la démocratie. Ce sentiment d'inquiétude se reflète curieusement dans l'affiche officielle du Mondial, conçue par l'artiste français Henri Desmé (ci-contre).
Deux ans plus tard, l'Europe s'embrase et la France est envahie. Sous l'Occupation, le sport en général et le football en particulier devinrent des enjeux idéologiques majeurs. Le professionnalisme, jugé corrupteur, fut interdit et les footballeurs professionnels durent en 1943 devenir des « joueurs-moniteurs » fonctionnaires ou exercer un autre métier. Le régime de Vichy les affecta dans une des quatorze équipes fédérales remplaçant les clubs.
Dans les dictatures communistes d'après-guerre, les clubs deviennent l'émanation des différentes administrations et services : ainsi en Roumanie le Steaua Bucarest devient-il le club de l'armée et son grand rival, le Dinamo Bucarest, celui du ministère de l'Intérieur. Les transferts y font l'objet d'une surveillance très politique.
La chute du nazisme marque plus généralement un retour à la normalité et une authentique planétarisation du foot. Au Brésil, en 1950, la Coupe du Monde est remportée une nouvelle fois par l'Uruguay cependant que l'Angleterre est vaincue par les États-Unis ! Il y a longtemps alors que le football n'est plus une affaire de gentlemen d'Oxford ou Cambridge...
Enfin, en 1954 à Zurich, les Allemands de l'Ouest voient dans la victoire miraculeuse de l'Allemagne le retour de leur pays à la normalité.
Beaucoup plus tard, en 1986, les Argentins s'offrent avec Maradona une revanche symbolique sur l'Angleterre qui les a humiliés dans la guerre des Malouines.
La victoire de la France en 1998, avec une équipe multicolore « black-blanc-beur », témoigne de l'ouverture du peuple français... sans pour autant remédier aux difficultés d'intégration des minorités issues de l'immigration africaine.
Et en 2010, l'organisation de la Coupe du Monde pour la première fois en Afrique, dans la « Nation Arc-en-ciel » de Mandela, mit en exergue les promesses du continent noir.
En Amérique latine, ce ne sont plus les cathédrales qui rassemblent les foules mais les stades, comme ci-dessus à Lima (Pérou). Ils sont le lieu d'expression de la nouvelle religion du ballon rond...
C'est que, du rio Grande à la Terre de Feu, le football est l'une des rares voies d'ascension sociale ouvertes aux enfants pauvres. Tous, rêvent du destin de Maradona ou du « roi Pelé ». Né en 1940, celui-ci a ainsi offert à la Seleção trois victoires en Coupe du Monde en 1958, 1962 et 1970.
Les défaites sévères de l'Argentine de Messi, du Brésil de Neymar, du Mexique et de l'Uruguay, lors du Mondial 2018 en Russie, illustrent à leur manière l'entrée du continent latino-américain dans un nouveau cycle dépressif, après la relative euphorie des années 2000.
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DEFEBVRE (12-06-2018 08:07:55)
Ce n'est pas seulement dans les pays totalitaires que le foot est récupéré par les dirigeants. Dans les pays dits démocratiques, il est accaparé par les puissances d'argent et par les politiques ... Lire la suite
JPL (07-06-2016 18:35:05)
Bizarre jeu ! 23 bonshommes (ou bonnes femmes !) courent derrière une balle et quand l'un(e) l'a attrappée... il (elle) tape dedans pour l'envoyer au loin ! Et de plus (je l'ai vu !) l'un des 23 peu... Lire la suite
Senec (14-06-2010 08:53:01)
Une des particularités qui font le succès du foot est qu'il favorise toutes les qualités de l'homme. Il ne faut pas courir le plus vite, sauter le plus haut, être le plus costaud ou que sais-je en... Lire la suite