La citoyenneté dans le monde antique

Citoyenneté et démocratie à Athènes

Si Athènes est, comme on le dit souvent et à juste titre, à l'origine de la démocratie, il ne faut pas pour autant croire qu'elle ressemble aux démocraties que nous connaissons. Sa conception de la citoyenneté est en particulier très éloignée de la nôtre.

Athènes et son empire

Cliquez pour agrandir
Au Ve siècle av. J.-C., Athènes prend l'ascendant sur les autres cités de la péninsule grecque. Par la qualité de ses dirigeants et sa force guerrière, par la vigueur de ses institutions démocratiques, elle porte la culture grecque à son apogée.

L'organisation de la démocratie athénienne
- la lutte contre l'oligarchie

La démocratie athénienne est le fruit d'une longue histoire. Elle a connu de nombreuses évolutions avec le temps. Comme d'autres cités, Athènes était jusqu'au début du VIe siècle avant notre ère une oligarchie, c'est à dire un régime où le pouvoir était réparti entre les hommes les plus riches. Après de très fortes tensions et un demi-siècle de tyrannie, la démocratie est restaurée en 510 et organisée en 507 par les réformes de Clisthène.

Ce dernier sait bien que les plus puissants des Athéniens veulent restaurer une oligarchie, et qu'ils risquent de le faire en exerçant une pression sur les Athéniens de la campagne pour arriver à leurs fins. En effet, Athènes est une cité, c'est à dire plus qu'une ville : elle a un territoire rural important. Clisthène décide donc de répartir les Athéniens en une centaine de dèmes, la circonscription territoriale la plus petite. C'est dans son dème que chaque citoyen est inscrit sur un registre, et les dèmes sont gérés par des magistrats, les démarques.

Clisthène répartit ensuite ces dèmes en trois espaces : ville, intérieur, rivage, puis il en fait dix tribus. Chaque tribu comprend des dèmes de la ville, de l'intérieur et du rivage, car cela doit permettre un brassage de la population et des opinions, et ainsi rendre plus difficile les mouvements de foule du type « ceux de la campagne contre ceux de la ville ». Cette précaution montre que la démocratie athénienne doit toujours résister aux pressions et qu'elle s'adapte aux différentes menaces qui se présentent.

- un nombre très restreint de citoyens

Le statut de citoyen était réservé à une minorité, puisque les femmes, les mineurs, les esclaves et les métèques, c'est à dire les étrangers, en étaient exclus. Au total, il y avait un peu plus de 40 000 citoyens sur plus de 400 000 habitants !

En raison des avantages qui allaient de pair avec le fait d'être citoyen, les Athéniens se sont toujours efforcés de limiter le nombre de gens qui pouvaient le devenir. En 451, Périclès, le grand dirigeant athénien, fait voter une loi exigeant d'être né d'un père citoyen athénien et d'une mère fille de citoyen, mariés, pour devenir citoyen athénien : jusque là il suffisait d'un père citoyen, mais le nombre de citoyens augmentait trop vite. Cette mesure montre aussi que les femmes, bien qu'elles ne soient pas citoyennes de plein droit, font néanmoins partie de la communauté civique.

- les institutions athéniennes

Le fondement de la démocratie athénienne est l'idée que tous les citoyens sont égaux devant la loi et qu'ils doivent participer à la vie politique. Toutes les institutions athéniennes sont conçues en fonction de ce principe.

L'application concrète de ce principe est l'assemblée de l'Ekklesia, qui rassemble en théorie tous les citoyens, mais en pratique environ 6000 - ce qui représente déjà une foule considérable ! Chacun a le droit de s'exprimer, et dispose pour cela du même temps que les autres, mesuré par la clepsydre.

L'assemblée a plusieurs fonctions très importantes : elle vote les lois. Elle décide aussi de la paix et de la guerre, reçoit les ambassadeurs des autres cités... Enfin, elle élit les stratèges (voir plus bas) et plusieurs fonctionnaires, et contrôles les juges. Elle peut aussi exiler pour dix ans un citoyen qui constitue une menace pour la démocratie : c'est l'ostracisme.

Ostracisme

Voici un bulletin de vote façon athénienne, dénommé ostrakon (d'après un mot qui désigne une huître, car les premiers bulletins de cette sorte n'étaient rien d'autre que des coquilles d'huître). Il s'agit ici d'un morceau de terre cuite sur lequel on inscrit le nom des citoyens et magistrats qu'on se propose d'exclure de la cité. Cette mesure d'exclusion a donné le mot ostracisme.
Le bulletin ci-contre porte le nom de Thémistocle, grand général exilé en 482 sous la pression de la cité rivale de Sparte.

L'Ekklesia est aidée par la Boulè, ou conseil, composé de 500 membres, 50 par tribu, qui sont tirés au sort : le tirage au sort est en effet considéré comme le principe démocratique par excellence, car il n'y a aucune triche, aucune corruption possible. Le conseil doit préparer les lois pour l'Ekklesia, et surveille les comptes publics. Il contrôle également certains magistrats.

Les dix stratèges sont élus chaque année. Ils doivent mener la guerre, gérer les impôts, dirigent la police, et peuvent avoir un rôle politique important, en demandant par exemple la convocation extraordinaire de l'assemblée. Les stratèges sont les hommes politiques les plus importants d'Athènes : le grand Périclès est ainsi réélu quinze fois de suite. Il existe également des magistrats (c'est à dire des hommes, tirés au sort, chargés de certaines attributions, qui n'ont souvent rien à voir avec la justice), et des tribunaux.

Les deux plus importants sont l'Aréopage, où siègent d'anciens magistrats importants, qui juge des crimes contre les citoyens, et l'Héliée, tribunal populaire, où sont tirés au sort chaque année 6000 jurés (des nouveaux tirages au sort viennent ensuite limiter le nombre de jurés pour chaque séance, mais ils sont tout de même plusieurs centaines). L'Héliée a un très grand rôle politique, d'autant que ses décisions sont sans appel.

Les citoyens dans la cité
- le service militaire

Comme toutes les cités grecques, Athènes a connu de nombreuses guerres, et elle attendait que ses citoyens la défendent. Entre 18 et 20 ans, d'abord, le futur citoyen doit accomplir l'éphébie, une sorte de service militaire, puisqu'il s'entraîne au maniement des armes dans des camps en dehors de la ville, avant d'être affectés à des tâches comme la surveillance des frontières. Il est impossible de devenir citoyen si on n'a pas accompli l'éphébie.

Mais le service militaire ne se limitait pas à cette période. Athènes attendait de ses citoyens qu'ils la défendent en cas d'attaque, en participant au combat. À l'origine, la guerre est terrestre uniquement : les soldats combattent en unités qu'on appelle des phalanges, les uns au contact des autres. Ce mode de combat nécessite une bonne coordination, car si certains prennent peur, tout le groupe (on parle de phalange) est en danger.

De plus, comme les citoyens paient leur équipement, les plus pauvres ne participent pas au combat. Ce sont les phalanges athéniennes qui remportent la victoire de Marathon contre les troupes perses, bien supérieures en nombre, en 490 av. J.-C.

Le premier marathonien

Pour annoncer cette victoire inattendue à la ville, un soldat court jusqu'à Athènes et meurt d'épuisement à l'arrivée : c'est en son honneur qu'a été créé le marathon, lors des premiers Jeux Olympiques de l'ère moderne, à Athènes en 1896.

Lorsque les Perses reprennent la guerre (on parle alors de seconde guerre médique), les Athéniens décident de construire une marine de guerre. Les citoyens les plus pauvres deviennent alors des rameurs durant la guerre. En 480, cette flotte remporte une nouvelle grande victoire, à Salamine, grâce au grand chef militaire qu'est Thémistocle.
Ces deux grandes victoires donnent un très grand prestige à Athènes et à son régime, et lui permettent de dominer les autres cités grecques.

- les cérémonies religieuses

Tout est fait à Athènes pour renforcer le sentiment d'appartenance collective des citoyens, depuis les dèmes jusqu'à l'éphébie. La vie religieuse participe également à ce phénomène. Selon la légende, Athènes aurait été fondée par la déesse Athéna, à laquelle les habitants rendent donc un culte. Ils lui construisent ainsi un ensemble de monuments sur l'Acropole, dont le temple du Parthénon est le plus important. Ils organisent des grandes fêtes en son honneur, les Panathénées.

Les autres cérémonies religieuses importantes, qui mobilisent également toute la cité, sont les pièces de théâtre : elles prennent place dans le cadre de cérémonies en l'honneur de Dyonisos, dieu du vin, de l'ivresse et des arts, sous la forme d'un concours. Chaque auteur doit présenter quatre pièces, trois tragédies et une comédie, qui sont représentées durant une journée complète. Ces pièces sont un moyen pour la cité de se mettre en scène, et sont donc très surveillées par les autorités.

L'historien Hérodote raconte que Phrynichos, un auteur dont les pièces ont aujourd'hui disparu, choisit pour sujet de sa pièce la révolte de la cité grecque de Milet, en Asie Mineure, contre les Perses, qui avait été écrasée dans le sang en 494 av. J.-C. Les Athéniens, traumatisés par l'événement et honteux de n'avoir pas apporté une aide conséquence à Milet, qui de plus était une colonie d'Athènes, fondent en larmes en voyant la pièce, et condamnent l'auteur à une énorme amende de 1000 drachmes, interdisent la représentation de sa pièce et toute nouvelle pièce sur le sujet.

Plus tard, au IVe siècle, le grand auteur comique Aristophane se sert de la comédie pour mettre en scène les problèmes de la démocratie athénienne.

Une démocratie fragile

Pourtant, les tensions n'ont jamais disparu à Athènes. De nombreuses cités grecques avaient des régimes oligarchiques et pouvaient appuyer ceux qui désiraient restreindre le pouvoir du peuple. De plus, le régime démocratique a connu des évolutions qui ont mis à mal la démocratie.

- riches contre pauvres

Les plus riches personnages doivent financer des liturgies, c'est à dire payer par exemple les cérémonies religieuses, le gymnase, ou financer l'équipement d'une trière, un navire de guerre très coûteux.

Il ne s'agit pas d'un impôt, mais d'une contribution à l'origine volontaire, en réalité réglée par les magistrats, qui apporte un grand prestige à ceux qui la font. La cité leur consacre des inscriptions honorifiques et des récompenses solennelles. Il s'agit là d'un moyen de faire étalage de sa richesse et de s'élever au-dessus du lot, donc de recréer une hiérarchie.

Les plus riches se servent en effet de leur fortune pour acheter les faveurs des plus pauvres, et on raconte que c'est pour lutter contre ce phénomène que, autour de 450, Périclès, qui ne disposait pas d'une fortune suffisante, aurait créé le misthos, une indemnité pour tous ceux qui exercent des charges publiques, afin de les dédommager pour le temps perdu.

Au IVe siècle, cette indemnité est étendue à ceux qui participent à l'ekklesia (et même aux premiers arrivés) : elle devient progressivement une sorte d'allocation pour les plus pauvres, qui ne peuvent plus vivre sans.

Les plus aisés considèrent qu'il y a là un dévoiement de la démocratie et que l'assemblée vote n'importe quoi selon l'humeur du moment : il n'y aurait donc aucune continuité de l'action politique. De plus, ces versements constituent une très lourde charge pour Athènes, qui doit trouver de nouvelles sources de revenus pour les financer (en général, Athènes, qui domine de nombreuses autres cités, leur impose le versement de lourds tributs).

- la tyrannie des Trente

Entre l'époque de Périclès et le IVe siècle, ces tensions ont abouti à une disparition provisoire de la démocratie : alors qu'une guerre sanglante contre Sparte (guerre du Péloponnèse) dure depuis plus de 20 ans, un groupe de quatre cents hommes prend le pouvoir en l'absence des marins, les plus pauvres des citoyens, rappelons-le : il décide d'exclure de l'ekklesia les hommes les plus pauvres, et de supprimer le misthos.

À leur retour, les marins restaurent la démocratie, mais, après de nouvelles défaites et avec le soutien de Sparte, un nouveau coup d'État porte au pouvoir trente hommes en 404 : ils vont encore plus loin que les Quatre-cent en concentrant le pouvoir entre leurs mains et en exécutant leurs adversaires politiques. Là encore, le peuple se révolte et obtient le retour de la démocratie, après avoir voté une loi d'amnistie, qui prévoit que chacun « oubliera » tout ce qui s'est passé durant cette période, afin de mettre un terme définitif aux volontés de vengeance.

Cependant, la guerre du Péloponnèse laisse des traces : Athènes est affaiblie et traumatisée. En 399, le philosophe Socrate est condamné à mort pour avoir corrompu la jeunesse. Ce jugement révèle la crispation et la très forte tension qui règne alors.

Dans les décennies qui suivent, Athènes reconstitue un empire, vital entre autre pour continuer à payer le misthos. Le rôle du peuple dans les institutions s'accroît, mais aussi celui des grands orateurs qui savent l'influencer. Cependant, Athènes n'est pas capable de résister à Philippe II de Macédoine, père d'Alexandre le Grand, qui la conquiert en 338.

Conclusion

La démocratie athénienne représente donc une tentative tout à fait originale d'unir la communauté des citoyens. Malgré les crises, elle a subsisté durant presque deux siècles, mais a toujours souffert des tensions entre riches et pauvres. C'est précisément au moment où Athènes s'appauvrit à cause de la guerre du Péloponnèse, que ces tensions aboutissent au renversement de la démocratie. Mais le peuple y est trop attaché pour accepter d'être ainsi marginalisé.

Comme le disait Périclès, du moins dans le discours que lui prête l'historien Thucydide, dans La guerre du Péloponnèse : «L'État démocratique doit s'appliquer à servir le plus grand nombre ; procurer l'égalité de tous devant la loi ; faire découler la liberté des citoyens de la liberté publique. Il doit venir en aide à la faiblesse et appeler au premier rang le mérite. L'harmonieux équilibre entre l'intérêt de l'État et les intérêts des individus qui le composent assure l'essor politique, économique, intellectuel et artistique de la cité, en protégeant l'État contre l'égoïsme individuel et l'individu, grâce à la Constitution, contre l'arbitraire de l'État (...). Loin d'imiter les autres peuples, nous leur offrons plutôt un exemple». 2500 après, l'exemple athénien continue de faire réfléchir.

Yves Chenal
Publié ou mis à jour le : 2024-02-13 17:36:25

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net