Les Romains ont adopté une attitude très différente de celle d'Athènes dans leur rapport à la citoyenneté.
En effet, alors qu'à Athènes, le droit de cité était concédé à très peu d'hommes, dans l'empire romain, il a été largement répandu, mais toujours uniquement aux hommes libres. La citoyenneté romaine est même devenu le ciment de cet empire gigantesque, qui incluait des peuples très différents par leurs cultures et leurs traditions.
Il faut souligner que de très nombreux statuts ont existé. Rome a été pragmatique et n'a pas tenté d'uniformiser d'un coup l'administration de son empire. En revanche, elle s'est toujours efforcée de faire partager son idéal civique et citoyen aux habitants de son territoire.
Traditionnellement, les Romains ont une attitude comparable à celle des Athéniens : ils souhaitent limiter au maximum l'octroi de la citoyenneté et la restreindre à quelques individus. La société romaine est très hiérarchisée, avec des esclaves, des affranchis, des pérégrins (hommes libres provenant des cités sous domination romaine) et des citoyens.
Avec César, puis son successeur Auguste (né en 63 avant notre ère, mort en 14 après Jésus-Christ), la République romaine disparaît, et un nouveau régime se met progressivement en place : l'Empire. Dans un premier temps, cependant, Auguste prétend agir dans la continuité de la République et revenir à la situation antérieure. Il refuse donc de donner la citoyenneté romaine à trop de gens afin de maintenir la domination de la ville de Rome et de ses habitants.
Ceux-ci craignent en effet d'être submergés par des Orientaux (Grecs, Égyptiens...), qu'ils considèrent comme dépravés, ou par des Gaulois et Germains qu'ils perçoivent comme non-civilisés. De plus, les citoyens pauvres de Rome ont droit à des distributions gratuites de nourriture et ne veulent être pénalisés si la citoyenneté est étendue à des groupes nouveaux.
Toutefois, les habitants de l'Italie conquise par Rome ont déjà obtenu au Ier siècle avant notre ère, à la suite de plusieurs guerres, de devenir tous des citoyens romains, à condition qu'ils soient des hommes libres : on parle de «cités de droit latin», car ce droit est attribué dans le cadre des cités. Elles sont exemptées du tributum, l'impôt foncier. Leurs membres peuvent servir dans la légion, réservée aux citoyens romains, et dans la garde prétorienne (corps d'élite).
Les colonies constituent un autre type de cités. Elles sont fondées pour les vétérans des armées et sont autant de foyers de diffusion de la romanité, dans la mesure où ce sont des petites Rome, avec les mêmes types de monuments et les mêmes institutions qu'à Rome.
Par la suite, la qualité de colonie est souvent donné à des villes déjà existantes, à titre honorifique...
C'est ainsi que les Romains accordent la citoyenneté de manière très sélective, dans le cadre des cités.
Dans la plupart des cas, seuls les anciens magistrats des cités deviennent. citoyens romains : on parle alors de municipes. Cette pratique offre plusieurs avantages : elle laisse à tous les hommes libres du municipe l'espoir de devenir citoyen romain et favorise leur implication dans la vie politique.
Mais ces honneurs ne sont pas sans inconvénient car les magistrats des cités doivent financer avec leur propre fortune les cérémonies et les grands monuments, pour des sommes parfois considérables (on appelle ce phénomène «évergétisme»). Il faut donc susciter des vocations.
Il en va de même avec les soldats : après leur service (24 ans), les anciens auxiliaires deviennent citoyens romains. C'est là un moyen de recruter des soldats dont Rome a bien besoin, dès lors que les campagnes militaires se déroulent loin de l'Italie, dans des contrées inhospitalières.
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Cette carte montre l'empire romain dans sa plus grande extension (fin du Ier siècle après Jésus-Christ). Au centre de cet immense empire était la mer Méditerranée, que les Romains appelaient avec orgueil et non sans justesse Mare Nostrum (Notre mer). Cet empire est aujourd'hui éclaté en États rivaux que divisent la langue, la politique, la religion, la société et l'économie.
Après Auguste, les empereurs continuent d'étendre la citoyenneté à des catégories nouvelles, selon leur caractère et les circonstances. C'est ainsi que Claude (41-54) offre aux notables gaulois d'obtenir la citoyenneté romaine et de pouvoir siéger au Sénat.
Dans un discours prononcé au Sénat, l'empereur Claude souligne le fait que les Gaulois ont autant le droit que les Italiens de devenir sénateurs.
Ce discours a dû avoir un grand écho en Gaule puisqu'il a été retrouvé gravé sur une plaque de bronze monumentale, à Lyon, capitale des Gaules, en 1528 : ce sont les «tables claudiennes» (on utilise le pluriel parce que la plaque est cassée en deux).
Leur forme n'a rien d'exceptionnel : les cités gravent en effet leur principes de gouvernement dans le bronze et les exposent en leur centre, sur le forum ou à proximité. En revanche, leur contenu est plus difficile à interpréter, même si l'historien Tacite en fournit une version modifiée, dans ses Annales.
Il semble que les sénateurs romains se soient opposés dans un premier temps à la nomination de sénateurs gaulois, et que les tables fassent état de ce problème tactique plus que d'une question de droit, puisque les Gaulois concernés étaient déjà de fait citoyens romains.
Après la mort de Claude, le grand philosophe Sénèque écrit une satire acerbe de son règne et se moque de celui qui «avait décidé de voir en toge les Grecs, les Gaulois, les Espagnols et les Bretons» (la toge est le vêtement réservé aux citoyens). Il traduit ainsi les très fortes réticences des Romains face à cette extension de la citoyenneté.
Pourtant, l'empereur Vespasien (69-79) poursuit cette politique en accordant le droit latin à l'Espagne entière, et chaque cité a une constitution propre, mais elles sont reprises d'un même modèle, légèrement adapté.
D'autres cités obtiennent également le droit latin, si bien que la composition du Sénat se modifie progressivement.
Alors qu'il était presque uniquement composé de Romains sous Auguste, il comprend au début du IIe siècle de nombreux Italiens et de plus en plus de provinciaux.
Et sous le règne de Marc Aurèle, à la fin du IIe siècle, qui marque l'apogée de l'Empire, les Orientaux en viennent à constituer la majorité du corps sénatorial.
Au IIIe siècle, début de ce qu'il est convenu d'appeler le «Bas Empire», les empereurs sont eux-mêmes de moins en moins latins ou Italiens, et c'est un empereur issu de Libye par son père, de Syrie par sa mère, Caracalla (211-217) qui accorde à tous les hommes libres de l'Empire le statut de citoyen en 212.
Aussi surprenant que cela puisse nous paraître, les documents du temps ne nous fournissent quasiment aucune information sur ce texte. Il est possible que ses motivations soient fiscales : seuls les citoyens romains paient l'impôt du vingtième (5%) sur les successions.
Plus généralement, les divers statuts ont alors de moins en moins de sens, puisque les différences entre eux se sont estompées avec le temps, tout en posant des problèmes aux administrateurs. Il est dès lors logique d'accélérer leur convergence par cette décision, qui renforce également l'unité de l'empire.
Avec le temps, le sens donné à la citoyenneté romaine a beaucoup évolué, tout en gardant cependant quelques caractéristiques.
Dans son traité Des lois, Cicéron explique que les Romains qui ne sont pas de Rome ont deux patries, une naturelle, leur «petite patrie» d'origine, l'autre politique, Rome, où «[l] petite est contenue», qui «est nécessairement l'objet d'un plus grand amour, elle est la république, la cité commune ; pour elle nous devons savoir mourir, nous devons nous donner à elle tout entiers, tout ce qui est de nous lui appartient, il faut tout lui sacrifier». Cicéron reflète bien ici la philosophie romaine. Être attaché à sa petite cité, ce n'est pas se méfier de Rome, bien au contraire : c'est par cet attachement même qu'on est citoyen romain.
C'est au sein de la cité que s'exerce la citoyenneté et même qu'elle s'acquiert. Les institutions des cités sont souvent calquées sur celles de Rome. C'est en particulier le cas des colonies et des municipes, qui possèdent un Sénat et des magistrats élus comme à Rome.
À titre d'exemple, on a conservé à Pompéi des inscriptions, ancêtres de nos affiches électorales, assez savoureuses : «Je vous prie d'élire Caius Iulius Polybius. Il fait du bon pain !». «Les loubards demandent Vatia comme édile». Sans oublier l'extraordinaire : «ô mur, je m'étonne que tu ne sois pas tombé en ruine à supporter les bêtises de nombreux écrivailleurs».
La vie religieuse s'organise également dans le cadre de la cité, qui renforce ce lien avec Rome, puisque la religion romaine est diffusée dans tout l'Empire. Le culte que l'on rend à l'Empereur renforce cette cohésion.
Apparemment, l'Empire a repris les institutions de l'époque républicaine et les a étendues sur tout son territoire. Ainsi, la fonction de consul demeure le sommet de la carrière d'un important citoyen romain.
En réalité, cette hiérarchie est transformée par des évolutions irréversibles :
- L'empereur concentre les pouvoirs et accroît la puissance de ses propres services.
- Le peuple n'a plus de rôle politique direct à jouer. La plupart des magistratures perdent de leur importance et deviennent avant tout honorifiques, comme le consulat.
- Le Sénat n'a plus de rôle législatif puisque ce sont l'empereur et son entourage qui prennent les décisions, mais en revanche il acquiert des pouvoirs juridiques.
Dans les cités italiennes, des hommes nommés par l'empereur, les iuridici, peuvent intervenir contre l'avis des magistrats élus. L'accroissement du pouvoir impérial et du personnel administratif qui entoure l'empereur contribue donc à modifier les fondements traditionnels de la vie civique : ce ne sont plus les citoyens et leurs représentants élus qui décident de leur sort, c'est l'empereur.
En conséquence, de plus en plus de notables refusent de se faire élire à des charges qui leur coûtent cher, puisqu'ils doivent payer des monuments et des jeux, mais ne leur rapportent pas assez de prestige et ne leur donnent pas de réels pouvoirs.
Ainsi, le choix fait par Rome d'une attribution large de la citoyenneté a été de pair avec un affaiblissement du contenu politique de cette dernière. La participation des citoyens à la vie publique est à cette époque concevable dans le cadre d'une ville, mais ne peut être étendue à l'échelle d'un empire entier, d'où l'importance des différentes cités comme relais de Rome.
Si la citoyenneté romaine a perdu de son sens politique, elle a permis d'unifier culturellement l'Empire et de faire partager à tout le monde sa culture et son mode de vie : plusieurs siècles après la chute de l'Empire romain, on trouve encore en Gaule des hommes qui se prétendent «sénateurs», tant ils sont marqués par les valeurs romaines.
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