1095-1291

Bilan des croisades

L'épopée des croisades a débuté en 1095 avec l'appel du pape Urbain II et s'est étiolée après la bataille de Hattîn, en 1187.

Cette période clé du Moyen-Âge a connu par ailleurs l'épanouissement de l'art roman et de l'art gothique, ainsi que l'émergence de la bourgeoisie. Elle s'est caractérisée par une exceptionnelle poussée démographique de l'Europe avec peut-être un quasi-triplement de la population en trois siècles.

C'est cette croissance démographique qui a rendu possibles les croisades. Ces dernières ont-elles contribué à l'essor de l'Occident ? L'ont-elles au contraire desservi ? Ont-elles affecté le monde islamique ?

André Larané
Les croisades en Terre Sainte

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Le 27 novembre 1095, à Clermont, le pape Urbain II appelle les guerriers d'Occident à délivrer le Saint-Sépulcre et secourir les chrétiens d'Orient. En deux siècles, les croisades vont mettre en branle plusieurs centaines de milliers de personnes...

Byzance sauvée !

Les croisades ont mis en branle dès 1095 plusieurs centaines de milliers de personnes (150 000 pour la première expédition militaire, 200 000 pour la malheureuse expédition de renfort de 1101, sans compter les pèlerinages populaires et les départs par petits groupes). Ces effectifs ont représenté environ 2 à 3% de la population adulte de l'Europe occidentale (environ 30 millions d'âmes) et une proportion beaucoup plus forte encore de la noblesse et de la chevalerie.

Les gens du peuple, pauvres paysans, ont quitté leurs foyers et risqué leur vie pour un pèlerinage d'une durée indéterminée en un pays inconnu et lointain.

Ils sont partis pour prier sur le tombeau du Christ, mûs par une foi profonde, sincère et naïve, aujourd'hui difficile à comprendre.

Les guerriers se sont croisés en 1095 pour le même motif mais aussi et avant tout pour sauver l'empire byzantin, menacé d'être submergé par les Turcs Seldjoukides après leur victoire de Malazgerd.

Ils y sont parvenus dès leur première expédition et ce succès a eu d'immenses répercussions sur la chrétienté et la civilisation européenne.

En effet, les défaites subies par les Turcs d'Anatolie ont offert aux Byzantins un répit qu'ils ont pu mettre à profit pour transmettre aux Occidentaux l'héritage hellénistique.

Faillite des États francs de Palestine

Pour le reste, le succès des croisades est mitigé. En un demi-siècle, les Francs sont arrivés à fonder en Palestine des États de type féodal en symbiose avec l'Orient (mariages, amitiés...).

Toutefois, les mésententes entre les barons et les maladresses des nouveaux arrivants, peu au fait des réalités du terrain, ont vite compromis cet équilibre fragile.

En 1146, l'union de la Syrie musulmane sous l'égide d'un seul souverain a placé les croisés sur la défensive. Un quart de siècle plus tard, en rassemblant Syriens et Égyptiens sous sa coupe, le sultan Saladin a pris en tenaille les États francs et s'est donné les moyens de reconquérir Jérusalem.

Les croisés voulaient enlever la Terre sainte et le tombeau du Christ aux musulmans. Ils n'y sont parvenus que le temps de trois générations !

Les croisades, première entreprise occidentale de « colonisation », ont finalement abouti à un échec et se sont soldées qui plus est par de nombreux combats, massacres et atrocités.

Mais il ne faut pas exagérer ceux-ci compte tenu de l'époque, qui a aussi connu la djihad (guerre sainte) arabe et les ravages des Turcs et des Mongols... et relativement à notre XXe siècle qui n'a pas de leçon à donner en matière d'humanité.

Paradoxe : les croisades, en dépit de leur faillite, ont sans doute eu sur la chrétienté occidentale un effet très bénéfique en détournant vers l'Orient un grand nombre de jeunes chevaliers, cadets de famille désargentés et brutes de tout poil !

Débarrassés de ces gêneurs, les monarchies européennes ont pu mettre fin aux guerres privées et instaurer des relations plus pacifiques entre les seigneuries féodales. Cette paix civile toute relative a ouvert la voie à un développement quasi-ininterrompu jusqu'au XXe siècle.

Un modèle d'intégration !

Le chroniqueur Foucher de Chartres (1059-1127) a assisté au concile de Clermont en 1095 et suivi le comte Baudouin de Flandre jusqu'à Jérusalem. Dans son Historia Hierosolymitana (Histoire de Jérusalem), il témoigne avec emphase de l'acclimatation des Francs à l'Orient :
« Considérez, je vous prie, et méditez sur la manière dont Dieu, à notre époque, a transféré l’Occident en Orient. Car nous, qui étions occidentaux, sommes maintenant devenus orientaux. Celui qui était romain ou franc est devenu, sur cette terre, galiléen ou palestinien. Celui qui était de Reims ou de Chartres est désormais citoyen de Tyr ou d’Antioche. Nous avons déjà oublié nos lieux d’origine ; nombre d’entre nous les ignorent déjà, ou en tout cas n’en parlent plus. Certains possèdent ici des demeures et des serviteurs qu’ils ont reçus par héritage. Certains ont épousé une femme venant non pas de leur peuple, mais de celui des Syriens, ou des Arméniens, ou même de Sarrasins ayant reçu la grâce du baptême. Certains ont dans ces peuples des beaux-pères, ou des beaux-fils, ou des fils adoptifs, ou des pères adoptifs. Il y a ici, aussi, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants. L’un cultive la vigne, l’autre les champs. Les expressions et les tournures les plus éloquentes de différentes langues se mêlent dans leur conversation. Des mots pris à chacune sont devenus le patrimoine commun à tous, et ceux qui ignorent leurs origines se trouvent unis dans une même foi. Comme il est dit dans les Écritures, « le lion et le bœuf mangeront de la paille ensemble ». Celui qui est né ailleurs est maintenant presque indigène ; et celui qui était de passage est maintenant un compatriote ».

Fossé culturel entre Orient et Occident

Deux siècles de croisades n'ont abouti en Orient à aucune construction viable.

– Ressentiment arabe

Les croisades ont pu élargir le fossé entre musulmans et chrétiens et susciter en Orient un ressentiment à l'égard des Occidentaux. C'est ce que les Frères musulmans ont affecté de croire au XXe siècle pour justifier leur rejet de l'Occident. Mais n'exagérons rien : l'impuissance politique des Arabes doit infiniment plus aux invasions turques et mongoles et à leurs propres carences qu'à la brève équipée des croisés.

– Ressentiment grec

Les croisades ont par ailleurs creusé un abîme d'incompréhension entre la chrétienté grecque d'Orient et la chrétienté latine d'Occident, avec des répercussions durables pour la construction européenne. À la désastreuse IVe croisade revient la responsabilité de la rupture définitive entre ces deux pans de la chrétienté.

Pour l'historien Jacques Le Goff, le seul bénéfice des croisades (à l'exclusion de la première) s'inscrit en creux dans l'Histoire de l'Europe. Par leur échec, elles ont détourné les Européens de Jérusalem et des illusions de l'Orient. « À cet égard, l'échec des croisades fut une condition très favorable à l'unité de l'Europe », écrit-il (note).

Une épopée malgré tout

En conclusion, les croisades ont conservé une allure d'épopée, selon le titre du beau livre de René Grousset. Elles ont permis à la chrétienté occidentale de se libérer de son trop-plein d'énergie et d'hommes jeunes.

Elles ont aussi donné à quelques grandes personnalités des deux camps l'occasion d'épanouir leurs qualités chevaleresques et morales. On pense à Godefroy de Bouillon, au roi lépreux Baudouin IV, à Saladin ou encore à Saint Louis.

Elles se sont signalées par le rôle prééminent des princesses franques, héritières parfois mal avisées, amoureuses entêtées ou sages régentes (Mélisende, Aliénor, Sibylle, Constance...)

Pierre L'Ermite prêchant la première croisade, par Francesco Hayez (1791-1882)

Notons que les croisades n'ont jamais suscité de haines entre chrétiens et musulmans, encore moins de « racisme » au sens moderne du mot. Elles ont simplement induit des rivalités guerrières ou chevaleresques avec tous les débordements auxquels celles-là pouvaient conduire.

Après tout, les Francs n'étaient, après les Turcs, que des intrus de plus dans un Orient habitué aux invasions, les précédents ayant été les Turcs. Leur foi catholique n'était elle-même pas dépaysée sur une terre où cohabitaient encore de très nombreuses religions : musulmans sunnites, chiites, ismaéliens, etc., chrétiens de rite grec, latin, monophysite, arménien, etc., juifs...

Notons aussi que les croisades n'ont guère affecté les échanges commerciaux et culturels entre les deux parties de la Méditerranée, ces échanges s'étant développés à l'initiative des marchands italiens en marge des expéditions guerrières.

Les croisades revisitées

Les croisades offrent un bel aperçu de la manière dont nous réécrivons l'Histoire d'une génération à la suivante, en fonction de nos préjugés du moment. En 1952, l'historien orientaliste René Grousset publie à l'adresse du grand public un récit joliment intitulé : L'épopée des croisades. Un titre aussi flatteur serait impensable dans l'Europe repentante et contrite du XXIe siècle. Significatif de cette évolution est l'ouvrage célèbre d'Amin Maalouf, romancier d'origine libanaise : Les croisades vues par les Arabes.
Dans la dernière édition de cet essai (édition J'ai Lu, octobre 2005), on lit en 4e de couverture (au dos) : « Ils [les croisés] resteront deux siècles en Terre Sainte, pillant et massacrant au nom de Dieu. Cette incursion barbare de l'Occident au cœur du monde musulman marque le début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme. Elle est ressentie aujourd'hui encore, en Islam, comme un viol » !
Le contenu du livre, écrit en 1985, est à la vérité beaucoup plus nuancé. L'auteur, dans son épilogue, souligne les infirmités dont souffrait l'Orient dès avant les croisades, en particulier l'absence d'État de droit, qui allait entraver son développement jusqu'à nos jours (note).

Publié ou mis à jour le : 2022-06-01 16:35:50

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