Petit-fils de la militante féministe Flora Tristan, le peintre français Paul Gauguin est le maître du postimpressionnisme et le précurseur de l'art moderne. Le 4 avril 1891, au sommet de sa gloire, il s'embarque pour Tahiti à la recherche de nouvelles sensations. Retour sur la vie de ce peintre de génie à la personnalité trouble...
Primauté à la couleur
Paul Gauguin est né le 7 juin 1848 au foyer d'un journaliste républicain. Il a pour grand-mère maternelle Flora Tristan, une militante ouvrière qui revendique une origine péruvienne et se prétend même fille adultérine de Bolivar. Son père étant contraint à l'exil après le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, la famille va d'ailleurs séjourner à Lima de 1849 à 1855 et, fort de cette expérience, le peintre cultivera toute sa vie de supposées « origines incas ».
En 1865, le jeune homme s'engage dans la marine pour six ans puis devient agent de change et épouse en 1871 Mette Gad, une Danoise. Tout en menant son travail d'employé modèle, Gauguin a la satisfaction de voir sa toile Paysage de Viroflay acceptée au Salon de Paris en 1876.
En 1883, il quitte son emploi à la Bourse et part avec sa femme et leurs cinq enfants à Rouen puis à Copenhague. Deux ans plus tard, laissant sa famille se débrouiller seule au Danemark, il rentre à Paris avec la volonté à 38 ans de se consacrer à plein temps à la peinture !
Admiratif de son aîné Camille Pissaro, il participe aux derniers feux de l'impressionnisme. Puis il s'engage dans l'art symboliste et décoratif.
En quête de nouvelles sensations et en manque d'argent, il s'établit en 1886 à Pont-Aven, un « petit trou pas cher » sur la recommandation de son ami le peintre breton Armand-Félix Jobbé-Duval. Dans ce modeste village de Cornouaille (sud du Finistère), sur les bords d'une ria, l'Aven, il retrouve d'autres peintres d'avant-garde.
L'année suivante, il effectue un voyage aventureux en Amérique du Sud, à Panama et à la Martinique avec un jeune peintre, Charles Laval (1861-1894).
Simplifiant son dessin et ses couleurs, abandonnant le modelé et la perspective, Gauguin s'éloigne de l'imitation de la nature. Sa réflexion sur les estampes japonaises (la mode est alors au « japonisme »), la statuaire médiévale, les vitraux et les arts populaires l'amène à pratiquer les aplats de couleurs franches, juxtaposés dans un espace sans profondeur et cernés d'un trait noir.
Sa leçon est adoptée par les jeunes artistes de l'école de Pont-Aven, qui va faire jusqu'à nos jours la notoriété du village et sera à l'origine du mouvement des Nabis (« prophètes » en hébreu).
Les plus connus de ces artistes sont Émile Bernard (1868-1940) et Paul Sérusier (1864-1927).
Revenu de Martinique, Gauguin rencontre Sérusier en septembre 1888 près de Pont-Aven, dans le bois dit d'Amour. S'ensuit la « leçon » ci-après : « Comment voyez-vous cet arbre ? avait dit Gauguin dans un coin du Bois d'Amour : il est bien vert ? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette ; et cette ombre plutôt bleu ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleu que possible » (Maurice Denis, Du symbolisme au classicisme, Théories, 1912).
Le lendemain, Paul Gauguin se voit proposer par Vincent Van Gogh de le rejoindre à Arles, dans la maison où l'artiste projette de créer un « Atelier du Midi ». La rencontre est ponctuée de disputes au point que Van Gogh, dans un moment de désespoir, en vient à se trancher le lobe de l'oreille.
« La chair est triste »...
L'artiste, de retour à Paris, se voit empêcher d'exposer dans les galeries de la mémorable Exposition universelle de 1889. Faute de mieux, il organise avec ses jeunes amis de l'école de Pont-Aven un accrochage de leurs oeuvres au Café des Arts, ou café Volpini, du nom de son directeur, tout près de l'Exposition.
Là-dessus, après un troisième séjour à Pont-Aven puis au village voisin du Pouldu, il profite de la vente de quelques oeuvres pour organiser son départ pour Tahiti...
Proche du symbolisme, il met en pratique à sa manière un célèbre poème de ce mouvement :
« La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux ! »
(Stéphane Mallarmé, Brise marine)
À Tahiti, colonisée depuis peu par la France, le peintre cherche auprès des indigènes maoris de nouvelles sources d'inspiration. Mais la réalité triviale le déçoit et il revient en Europe en juillet 1893.
Après un quatrième et dernier séjour à Pont-Aven, il repart deux ans plus tard à Tahiti puis en août 1901 aux îles Marquises, encore païennes et tenues à l'écart de la civilisation occidentale. C'est là qu'il s'installe, sur l'île d'Hiva Oa.
Dans ses refuges polynésiens, Gauguin se comporte en colon ordinaire, vindicatif à l'égard de l'administration, méprisant pour les indigènes, porté sur l'alcool et gavé de chair juvénile rémunérée. Sa compagne ordinaire, Tehamana, a 13 ans lors de leur rencontre. Ses autres relations ne sont guère plus âgées.
Ses peintures et ses sculptures représentent l'amour triste et les yeux vides des indigènes. Ponctuées de points d'interrogation (« D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »...), elles traduisent les affres d'une culture en crise ; la culture indigène ou la culture occidentale. À chacun de se faire son opinion.
Mort de misère, de syphilis et d'alcoolisme le 8 mai 1903 aux Marquises, Gauguin fait figure de précurseur de l'Art nouveau.
Une oeuvre, une époque
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