22 janvier 2019

Aix-la-Chapelle : faut-il se mettre en couple pour moins s'opposer ?

« Tout nous oppose et nous nous opposons sur tout : industrie, commerce, diplomatie, nucléaire, défense, institutions, immigration et même droit matrimonial... Nous nous marions en faisant le pari que le contrat de mariage nous obligera à surmonter nos divergences ! » Voilà le raisonnement paradoxal des gouvernants français et allemands à l’heure du traité d’Aix-la-Chapelle, ce 22 janvier 2019 (note)...

Voulu par le président Macron, le nouveau traité est signé le même jour que le traité de l’Élysée entre de Gaulle et le chancelier Adenauer. Il témoigne du phénoménal retournement géopolitique qu’a connue l’Europe en 56 ans et plus spécialement dans le dernier quart de siècle.

Le traité de 1963 portait sur les échanges de jeunes, le jumelage de villes et quelques autres questions secondaires. Sa portée était essentiellement symbolique. Venant moins de vingt ans après la chute de Hitler et la Libération de la France, conclu entre deux géants de la Résistance, de Gaulle (72 ans) et Adenauer (87 ans), il exprimait la volonté sincère de l’un et de l’autre d’effacer plusieurs générations de guerres meurtrières.

En filigrane, le traité traduisait aussi le désir de l’Allemagne fédérale de devenir un partenaire respecté du camp occidental, dans le cadre de la guerre froide entre États-Unis et URSS, et le désir antinomique du général de Gaulle de créer autour du « couple franco-allemand » un pôle plus ou moins équidistant de Moscou et Washington.

Le préambule interprétatif ajouté cinq mois plus tard au traité par les députés du Bundestag allait sacrément doucher les espoirs du président français. Mais on continua néanmoins à évoquer avec des trémolos dans la voix le « couple » né de la rencontre de l’Élysée...

De quelle Allemagne parle-t-on ?

Dans les faits, le couple allait perdurer pendant trois décennies, jusqu’à la chute du Mur de Berlin et la réunification en 1991 des deux Allemagnes, la RFA (Ouest) et la RDA (Est) nées de la guerre froide.

- L'Allemagne rhénane, capitale Bonn :

En 1963 et jusqu'en 1991, l’Allemagne fédérale était cantonnée pour l’essentiel à la Rhénanie et à la Bavière, majoritairement catholiques, avec pour capitale la ville natale de Beethoven (Bonn) ; elle apparaissait comme l’héritière de la Confédération du Rhin, fondée par Napoléon en 1806 pour faire barrage à la Prusse.

D’ailleurs, le chancelier Adenauer lui-même, après la Première Guerre mondiale, du temps où il était maire de Cologne, avait publiquement milité pour l’autonomie de la Rhénanie  !

Il n’est pas anodin d’observer que le traité de l’Élysée (Paris) rapprochait deux grandes nations de taille similaire, dont l’une, délivrée du militarisme prussien, retrouvait la frénésie culturelle et romantique qui avait séduit Germaine de Staël 150 ans plus tôt, tandis que l’autre avait regagné après l’Occupation un rôle géopolitique à la mesure de son Histoire : force de dissuasion nucléaire, siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, diplomatie active en Afrique et au Moyen-Orient...

- L'Allemagne prussienne, capitale Berlin :

La nouvelle Allemagne, 80 millions d’habitants, capitale Berlin, n’a plus grand-chose à voir avec la République Fédérale d’Allemagne. Elle s’inscrit dans la continuité de la Prusse de Frédéric II et du IIe Reich de Bismarck, qui ont tant séduit les « élites » françaises, de Voltaire aux présidents d’aujourd’hui.

Ses industriels, soudés comme l’étaient les Junkers prussiens, ont placé la fierté nationale dans leurs exportations. Leur réussite dans ce domaine est éclatante avec un excédent commercial de 6% du PIB qui profite de l’absence de barrière monétaire dans la zone euro et du déficit « nationaliste » chez leurs voisins (un Français tire fierté de s’équiper d’une voiture allemande, tandis qu’un Allemand rougirait d’acheter français).

Il n’est pas anodin non plus d’observer que le nouveau traité franco-allemand est signé à Aix-la-Chapelle (Aachen), capitale de l’empereur Charlemagne (Karl der Grosse), duquel s’est inspiré Otton, fondateur du Ier Empire allemand (962).

Il met en présence deux nations dont l’une écrase de son arrogance l’Union européenne, jusqu'à susciter en Italie et en Grèce des références appuyées à l’époque nazie, tandis que l’autre, tétanisée par son déclin économique et politique, cherche désespérément à gagner les bonnes grâces de sa puissante voisine.

Le chouchou de la classe

Notons qu’en 1963, le traité de l’Élysée rapprochait les deux grandes puissances de la Communauté Économique Européenne, sans qu’aucun des autres membres de la CEE (Benelux et Italie) puisse se sentir lésé. L'Italie elle-même, encore marquée par son passé fasciste, évitait de la ramener.

Rien de tel avec le traité d’Aix-la-Chapelle. Dans une Union à 27, avec des États pas tout à fait négligeables comme l’Italie, la Pologne ou l’Espagne, la tentative de séduction française à l’égard de la chancelière contribue à distendre un peu plus les liens communautaires. Comment justifier auprès des Italiens ou des Espagnols le lien privilégié que la France prétend entretenir avec Berlin ?...

Par un fait remarquable, le nouveau traité ne comporte aucun engagement contraignant de la part de Berlin, rien qui puisse heurter la fibre nationale des députés du Bundestag ou des juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. On y lit tout au plus la promesse d’encourager le bilinguisme des deux côtés du Rhin.

Même pas un geste en direction des Français(es) qui, en cas de séparation d’avec leur conjoint allemand, se voient systématiquement enlever la garde de leurs enfants par les tribunaux allemands ! Et bien sûr aucune référence à l’excédent commercial allemand, bien que celui-ci viole allègrement les prescriptions de Bruxelles et tue l’agriculture et l’industrie françaises.

Il n’en va pas de même par contre pour les Français. Ainsi ceux-là s’engagent-ils à partager avec les Allemands les rares domaines dans lesquels ils bénéficient encore d’un avantage : la diplomatie onusienne, la défense et le nucléaire, la recherche scientifique.

L’Allemagne a obtenu un droit d’accès à tous ces domaines, ce qui n’est pas sans conséquence, étant entendu que dans tous ces domaines et bien d'autres, ses intérêts s’opposent à ceux de la France :
• En matière diplomatique, l’Allemagne est tournée vers l’Est et n’a que faire du tropisme africain et méditerranéen de la France (note).
• À l’ONU, l'Allemagne vote plus souvent que de coutume contre la France, par exemple sur l’entrée de la Palestine à l’UNESCO.
• Côté énergie, l’Allemagne a résolument choisi le charbon contre le nucléaire, au contraire de la France.
• Dans l’industrie, l’Allemagne n’a plus grand-chose à prendre à la France si ce n’est la construction ferroviaire, mais elle pourrait être attirée par sa recherche publique.
• En matière commerciale, l'Allemagne est prête à un compromis avec les États-Unis pour sauver ses exportations automobiles, au grand dam de la France qui voudrait taxer les GAFA (internet).
• Confrontée au défi migratoire, en 2015, la chancelière a ouvert ses frontières à un million de réfugiés sans prendre la peine d’en avertir ses partenaires européens, pas même son « ami » le président français !

La réalité est décidément cruelle pour qui se gargarise de mots doux sur le « couple franco-allemand » : il n’y a aucun point de rencontre entre la grande Allemagne de Merkel et la France souffreteuse des « Gilets jaunes ».

Après soixante-dix ans d’efforts laborieux, on n’observe de fait aucune solidarité effective entre Européens si ce n'est avec la politique agricole commune (PAC) de 1962 (note). La construction européenne s'est, depuis l'Acte Unique de 1986, traduite presque exclusivement par la levée des obstacles à la libre circulation des marchandises et des capitaux.

Aujourd'hui plus que jamais, faute d'élan politique et d'intérêts partagés, les égoïsmes nationaux reprennent le dessus. Il n’y a aucun indice que le traité d’Aix-la-Chapelle renverse la tendance.

Joseph Savès
Les « fake-news » ont bon dos

Pour éviter de débattre du bien-fondé du nouveau traité franco-allemand, les médias institutionnels ont trouvé une échappatoire pratique : la dénonciation des « fake-news » ou bobards qui fleurissent sur les réseaux sociaux !
Il suffit qu’un crétin lâche sur sa page facebook une ineptie du genre : « les Allemands vont nous reprendre l’Alsace-Lorraine » pour qu’aussitôt elle fasse en boucle les Unes, du Figaro à L'Obs, Libé et Mediapart. Le même procédé a été utilisé face aux « Gilets jaunes », pour disqualifier les contradicteurs et éviter les débats sur le fond. On peut craindre qu’il devienne la règle.
Ainsi, sur France Inter, le chroniqueur Thomas Legrand s'en est pris aux rumeurs concernant le traité d'Aix-la-Chapelle et le traité de Marrakech sur l'immigration en disant que ces traités n'avaient « rien de conséquent ». Mais il faudrait alors qu'il explique pourquoi ces traités ont été signés, s'ils ne servent à rien...


En savoir plus avec Texte intégral du traité d'Aix-la-Chapelle (22 janvier 2019)

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