Afonso de Albuquerque (1453 - 1515)

Le Lion des Mers

Portrait de l'amiral Afonso de Albuquerque, Lisbonne, bibliothèque nationale portugaise. Agrandissement : Afonso de Albuquerque, école moghole, vers 1615, San Diego Museum of Art.Moins célèbre aujourd’hui que Vasco de Gama ou Bartolomeu Dias, Afonso de Albuquerque n’en est pas moins le véritable architecte de l’empire portugais.

Génie militaire, navigateur, explorateur et homme politique, il aura réussi en quelques années à mettre en place un réseau de comptoirs stratégiques permettant de verrouiller les accès à l’océan Indien. Celui-ci demeurera pendant un siècle une « mare clausum » portugaise.

Damien Dos Santos

Officier dans l’armée royale

Afonso de Albuquerque voit le jour en 1453, à Alhandra, près de Lisbonne. Il appartient à la noblesse portugaise et compte parmi ses ancêtres le roi Denis Ier. Fils d’un haut fonctionnaire à la cour d’Alphonse V, le jeune Afonso bénéficie d’une éducation très soignée aux côtés des enfants de la haute aristocratie, comme le prince Jean, futur roi Jean II.

Afonso de Albuquerque, vice-roi de l'Inde portugaise(d'après Titien), vers 1545, William Larkin, Lisbonne, musée national d'art ancien. Agrandissement : Alphonse V, roi du Portugal, Paris, BnF. Son rang le mène logiquement vers une carrière militaire. Officier dans l’armée royale, Albuquerque accompagne Alphonse V au Maroc et participe en 1471 à la prise d’Asilah et Tanger.

Trois ans plus tard, la péninsule ibérique est déchirée par une guerre de succession opposant deux prétendantes au trône de Castille. D’un côté Jeanne, la fille unique du défunt roi Henri IV ; de l’autre sa sœur Isabelle. La première est l’épouse d’Alphonse V du Portugal et est alliée au roi de France Louis XI. La seconde, mariée à l’héritier du trône d’Aragon, le futur Ferdinand II, est soutenue par la noblesse castillane.

Albuquerque et l’aristocratie portugaise prennent part aux combats du côté de Jeanne mais le conflit tourne à l’avantage des « isabellins ». La sœur d’Henri IV sera finalement reconnue reine de Castille en 1479.

Pendant une vingtaine d’années, Albuquerque va lutter contre les Ottomans en Méditerranée et œuvrer à la défense des places fortes portugaises au Maroc.

Élévation de la croix par Barthélemy Dias en 1488, XVIIIe siècle, Afrique du Sud, Iziko William Fehr Collection. Agrandissement : Vasco da Gama devant le Zamorin, Veloso Salgado, 1898, Collection Sociedade de Geografia de Lisboa.

Les Portugais découvrent la route des Indes

À la fin du XVe siècle, les navigateurs portugais avancent à grands pas dans l’exploration des côtes africaines. En 1484, Diogo Cao découvre l’embouchure du Congo. Quatre ans plus tard, Bartolomeu Dias atteint le cap de Bonne-Espérance et arrive dans l’océan Indien. Enfin, en 1498, Vasco de Gama atteint Calicut, sur la côte de Malabar, à l’ouest de l’Inde, après avoir contourné le continent africain.

Pedro Álvares Cabral, École portugaise, XIXe siècle.La découverte de la route maritime du cap de Bonne-Espérance est un bouleversement économique et géopolitique. L’océan Indien, zone prédominante du commerce mondial, est désormais directement accessible aux navires portugais. Une occasion rêvée pour Lisbonne de briser le monopole des marchands arabes sur les épices et les produits asiatiques.

Dès le retour de Vasco de Gama, une deuxième expédition portugaise est chargée de rejoindre Calicut pour y établir un comptoir commercial. Elle est commandée par Pedro Alvares Cabral. Durant sa traversée de l’Atlantique, le Portugais découvre le Brésil avant de poursuivre sa route et d’atteindre Calicut. Mais sur place, les Portugais sont mal accueillis, les marchands arabes voyant d’un très mauvais œil cette nouvelle concurrence.

En représailles, Cabral fait bombarder la ville durant une journée entière. Ce coup de force, acte de naissance de ce qu’on appellera plus tard « la diplomatie de la canonnière », fait plier le zamorin de Calicut qui concède l’établissement d’un premier comptoir portugais en Inde.

À Lisbonne, le nouveau roi, Manuel Ier, perçoit immédiatement le potentiel économique de la route des Indes. Se proclamant « seigneur de la conquête, de la navigation et du commerce d’Éthiopie, d’Arabie, de la Perse et de l’Inde », il confie à Albuquerque la mission d’établir de nouveaux comptoirs.

Déouverte du Brésil par Pedro Álvares Cabral, Aurélio de Figueiredo, 1900, Brésil, musée national des Beaux-Arts. Agrandissement : débarquement de   Pedro Álvares Cabral à Porto Seguro, Oscar Pereira da Silva, 1922, São Paulo, musée Paulista.

La mise en place des comptoirs

Âgé de 50 ans, le Portugais prend donc la route des Indes aux commandes de trois navires. Après quelques batailles avec les locaux, Albuquerque obtient la permission de construire une forteresse à Cochin, au sud de la péninsule. Première colonie européenne en Inde, elle va servir de point de départ de l’expansion de l’empire portugais en Asie. À son retour au Portugal, Albuquerque est accueilli triomphalement.

Le roi Manuel Ier de Portugal en prière, avec ses fils. Vitrail de la haute chapelle de l'église Sainte-Marie de la Victoire, monastère de Batalhaà Leiria, peut-être attribuée à Francisco Henriques, vers 1514-1518. Agrandissement : Afonso de Albuquerque, image extraite de Pedro Barretto de Resende, State Book of East India, 1646, British Library.Pour administrer ces nouveaux territoires, Manuel Ier créé le titre de « vice-roi de l’Inde portugaise » qu’il accorde à un militaire portugais s’étant distingué dans la conquête de Grenade : Francisco de Almeida. Sur la route des Indes, celui-ci fonde de nouveaux comptoirs sur la côte est-africaine, puis s’installe à Cochin.

En 1506, Albuquerque est de nouveau envoyé en Inde mais cette fois avec une force bien plus conséquente : une armada de 16 navires et 1300 hommes. Sa mission n’est pas seulement de consolider la présence portugaise mais de protéger les populations chrétiennes d’Afrique et d’Asie et de diffuser le christianisme. Avec, bien entendu, la bénédiction du pape.

Le Portugais s’est fixé comme objectif de s’emparer des points stratégiques de la mer d’Arabie afin de verrouiller l’accès à l’océan Indien. Albuquerque conquiert d’abord l'île de Socotora, à l’entrée du golfe d’Aden, et y fait construire une forteresse.

Afonso de Albuquerque à l'assaut d'Aden. Agrandissement : Afonso de Albuquerque à l'assaut d'Ormuz, Jorge Colaço, 1933, Forjães, Centro Cultural Rodrigues de Faria.

Statue d'Afonso de Albuquerque, debout symboliquement sur une pile d'armes, faisant référence à sa victoire à Ormuz.Il longe ensuite la côte d’Arabie jusqu’à l’île d’Ormuz, à l'embouchure du golfe Persique. L’île est alors la capitale d’un royaume prospère servant d’entrepôt aux marchandises d’Inde. Après avoir détruit la flotte envoyée à sa rencontre, Albuquerque obtient du souverain d’Ormuz que l’île passe sous suzeraineté portugaise.

Ces exploits valent à Albuquerque d’être nommé gouverneur des Indes, à la place de Almeida. Mais lorsque le navigateur arrive à Cochin le 3 novembre 1508, son prédécesseur refuse de reconnaître ses lettres de créance et le fait jeter en prison !

Siege de Diu, gravure de l'Histoire Générale des Voyages de Prevost, vers 1760.C’est durant sa captivité que se déroule, le 3 février 1509, au large d’une île au nord de Calicut, la bataille de Diu. Les 19 navires commandés par Almeida détruisent la flotte d’une vaste coalition comprenant ottomans, mamelouks, le zamorin de Calicut et le puissant sultanat de Gujarat, avec en sus le soutien matériel des Vénitiens.

Cette victoire est un tournant géopolitique et fait de l’océan Indien, pour plus d’un siècle, la chasse gardée des Portugais, au détriment des marchands arabes et leurs alliés vénitiens.

L’arrivée d’une flotte portugaise à Cochin permet la libération d’Albuquerque tandis qu’Almeida prend la route du Portugal. Il n’arrivera toutefois jamais à destination, trouvant la mort dans un combat avec des indigènes près du cap de Bonne-Espérance.

La fondation de Goa

Désormais vice-roi des Indes, Albuquerque peut à présent réaliser ses nouveaux plans de conquête pour asseoir l’hégémonie portugaise dans tout l'océan Indien. Le roi lui envoie en renfort deux nouvelles armadas, trente navires au total.

Forgerons de Goa, sur la côte de Kanara, Códice Casanatense, XVIe siècle. Agrandissement : les laveuses, Códice Casanatense, XVIe siècle.Albuquerque lorgne sur le port de Goa, dont la position sur la côte de Malabar lui permettrait de contrôler les principautés hindoues, très jalouses de leur indépendance. Le 10 février 1510, les Portugais lancent l’assaut contre la ville qui se rend sans combattre.

Chassé une première fois de Goa, Albuquerque revient quelques mois plus tard avec des renforts et reprend la ville. Les Portugais pillent Goa durant trois jours et massacrent la population musulmane. Le vice-roi fait aussitôt de Goa la capitale de l’Inde portugaise. La ville n’est pas un simple comptoir mais une véritable colonie où s’installent de nombreux portugais.

Jeunes filles chrétiennes de Goa rencontrent avec un noble portugais à la recherche d'une épouse, Códice Casanatense, XVIe siècle. Agrandissement : Fidalgo (un noble) prenant l'air à Goa, 1595, illustration extraite de Vasco de Gama et ses successeurs, 1460-1580, Kingsley Garland Jayne, vers 1910.

La conquête de Malacca

En moins d’une décennie, les Portugais ont déjà pris place sur les côtes de l’Afrique, de l’Arabie, de l’Inde, ainsi que sur l’île de Ceylan. Pour verrouiller complètement l’océan Indien, il leur faut encore s’emparer de Malacca, sur la côte malaise, qui contrôle le détroit reliant l’océan Indien et la mer de Chine. Malacca est alors le plus grand port d’Extrême Orient et les marchands de toute l’Asie y affluent pour prendre part à un commerce lucratif sur les épices, le bois de santal, le camphre, les clous de girofle…

Donjon de la forteresse de Malacca, Manuel Godinho de Erédia. 1613. Agrandissement : Conquête de Malacca, Ernesto Ferreira Condeixa, XIXe siècle, musée Militaire de Lisbonne.Albuquerque dispose d’un prétexte pour entrer dans la ville. Deux ans plus tôt, un émissaire portugais s’était rendu à Malacca, mandaté par Manuel Ier. Malgré un accord conclu avec le souverain local, le Portugais avait dû quitter précipitamment la ville après avoir manqué d’être assassiné.

Le 1er juillet 1511, Albuquerque arrive devant le port de Malacca. Après trois semaines de siège, deux attaques successives sont lancées. La ville est en partie ravagée par les flammes, tandis que le sultan de Malacca, qui combat sur un éléphant, est grièvement blessé et doit prendre la fuite. Parmi les Portugais ayant participé à la prise de la ville, un navigateur appelé à un grand avenir : Fernand de Magellan.

Le pillage de la cité offre aux Portugais un butin considérable : 700 kilos d’or et 2000 canons de bronze. Sans oublier les éléphants de guerre ! Albuquerque s’empresse de faire démolir les mosquées et récupère les pierres pour construire un fort considérable dont les murailles font plus de quatre mètres d'épaisseur.

Prise de Malacca par Afonso de Albuquerque, Azujelos, vers 1925. Agrandissement : Fort de Malacca.

La prise de Malacca a un retentissement énorme. Les rois de Java, de Sumatra, du Siam et de Pégou (Birmanie) envoient des ambassadeurs avec des présents au nouveau maître des lieux pour l'assurer de leur amitié. Les marchands étrangers ne tardent pas à venir s'établir près de la nouvelle citadelle, ouvrant au Portugais les marchés siamois et chinois.

Mais Albuquerque n’a guère le temps de s'attarder dans sa conquête. Profitant de son absence, les musulmans ont relancé les hostilités contre les colonies portugaises d’Inde. Goa est ainsi assiégée par des forces largement supérieures à celles des lusitaniens.

Avec 200 soldats portugais et quelques supplétifs indiens, Albuquerque se rend au secours de la ville. Grâce à la résistance de la garnison et l’arrivée des renforts, les assiégeants sont finalement repoussés et la capitale de l’empire portugais sauvée.

Aden, une flotte portugaise au mouillage, in Braun & Hogenberg, 1590.

Pour sécuriser davantage les comptoirs portugais, Albuquerque tente de prendre Aden puis remonte la mer Rouge. Durant son incursion, il contracte une alliance avec le négus d'Éthiopie, afin de prendre à revers l’Empire ottoman, et disposer d’une base pour l’exploration de l’intérieur du continent africain.

Ce sera sa dernière grande expédition. À soixante ans passés, Albuquerque ne se consacre plus qu’à l’action diplomatique. Il négocie un traité de paix avec le zamorin de Calicut et s’emploie au développement de Goa. Le vice-roi incite par exemple ses compatriotes à épouser des femmes indiennes afin de créer une élite métisse dans la colonie. Un exemple que ne suivront pas un siècle plus tard les Anglais et les Hollandais…

Fresque allégorique d'Afonso de Albuquerque par Jaime Martins Barata, réalisée pour le Palais de Justice de Vila Franca de Xira au Portugal en 1964.

La fin d’un géant

À la cour de Manuel Ier, les succès et la popularité d’Albuquerque font de nombreux jaloux. Des envieux font courir le bruit que celui qu’on surnomme « le Lion des Mers » ou « le César d’Orient » projetterait de s’émanciper totalement de Lisbonne pour régner en seul maître des territoires conquis. Intoxiqué par les rumeurs sur les velléités sécessionnistes d’Albuquerque, Manuel Ier décide de nommer à sa place son principal ennemi politique, Lopo Soares de Albergaria.

Le roi ne va pas tarder à regretter sa décision. En août 1515, il apprend que les Mamelouks rassemblent une vaste flotte pour attaquer Ormuz et les possessions portugaises en Inde. Estimant qu’Albuquerque est le plus apte à stopper l’invasion, le roi écrit à Albergaria, lui demandant de restituer la charge de vice-roi à son prédécesseur. Albuquerque n’en aura jamais connaissance. Le grand conquérant s’est en effet éteint peu après son éviction, abattu par la nouvelle de sa disgrâce.

Preuve de sa gloire, il avait été fait peu avant sa mort, duc de Goa, le titre de duc étant jusque-là réservé aux seuls membres de la famille royale.

Son corps est enterré dans l'église de Nossa Senhora da Serra à Goa, qu'il avait lui-même ordonné d'ériger. En 1566, ses restes seront transférés dans un couvent de Lisbonne qui sera détruit lors du tremblement de terre de 1755.

Publié ou mis à jour le : 2022-11-10 17:57:15

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