Le compagnonnage est toujours bien vivant. Issu des métiers traditionnels, il suscite un intérêt renaissant et profite d’une notoriété inattendue dans la dynamique du chantier de Notre-Dame de Paris. Aux yeux de certains historiens, il était pourtant voué à la disparition avec la révolution industrielle.
Les tenants du machinisme voulaient en effet déclasser le modèle artisanal comme le modèle compagnonnique au rang de survivance d’un passé bientôt révolu. Quant aux syndicats en train de naître, ils considéraient les compagnons comme des concurrents à écarter ou à convertir à leur vision d'un monde du travail en profonde mutation.
Les faits ont déjoué tous les scénarios. S’il a connu des crises et de profondes divisions, le compagnonnage a survécu et n’est plus associé à des pratiques ou des coutumes héritées du passé. Il s’inscrit au contraire dans un courant de modernité soucieux d’épanouissement et de développement humain. En combinant parcours professionnel et initiatique, le compagnonnage repose sur un système de valeurs où le métier se trouve au centre.
La contestation du modèle corporatif
Pour la majorité des historiens, c’est à la fin du Moyen Âge (note) qu’apparaît le compagnonnage, à la faveur d’une contestation du système corporatif, perçu comme un carcan par de nombreux compagnons. Pour comprendre cette réaction, il faut d’abord revisiter l’organisation des métiers dans le royaume de France.
Durant des siècles et jusqu’à la Révolution française prévaut un système corporatif structuré autour de différents statuts évoluant dans l’espace et le temps (métiers réglés, jurés, etc..) et d’un triptyque fondateur (apprenti, compagnon et maître).
Dans l’univers des métiers de l’Ancien régime, l’entrée en apprentissage se fait généralement vers l’âge de 12 ans. Après cinq ou six ans de pratique, l’apprenti devient « compagnon » de la corporation, - l’ouvrier, salarié et employé des temps futurs-, qu’il ne faut pas confondre avec le compagnon du tour de France.
Une fois atteint ce statut, le compagnon est quasiment condamné à rester toute sa vie dans la même ville et à percevoir les mêmes gages (note) auprès du même maître. En théorie, tout compagnon peut espérer devenir maître à son tour mais, dans la pratique, c’est le fils du maître (ou son gendre) qui lui succède le plus souvent à sa mort.
Ce système va progressivement être perçu comme une injustice par nombre de compagnons, condamnés à rester toute leur vie dans le même atelier au service du même maître.
La majorité des historiens considère que, face à cette situation qui ne favorise pas la promotion professionnelle et sociale, quelques compagnons vont quitter le modèle corporatif, pour oser « voyager la France » et former ce qu’on appellera plus tard le compagnonnage du tour de France.
Ce terme de compagnonnage sera utilisé très fréquemment à partir du XIXe s pour désigner les associations de ces quelques compagnons qui désertent le moule officiel pour s’épanouir et se former autrement. Jusqu’alors, on parlait volontiers de « devoir » pour désigner un groupement de compagnons réfractaires au système officiel présent dans toutes les villes du royaume de France.
La diversité s’affirmera progressivement avec l’apparition de « courants » compagnonniques, comme en attestent les expressions de compagnons non du devoir et, ultérieurement, de sociétaires du devoir de liberté. Ces différentes sensibilités doivent cependant être étudiées à l’aune d’une grille de lecture où le fait religieux, plus que le politique, a longtemps occupé une part importante.
Jean Bernard (1908-1994), surnommé La Fidélité d’Argenteuil (note), fondateur de l’Association ouvrière des compagnons du devoir du tour de France, définissait ainsi le devoir :
« Le Devoir couvre tout le Compagnonnage de son esprit. C'est l'expression même de son ensemble qui découle directement de la conscience de l'homme au travail (spécialement au travail des mains). C'est la façon dont il faut vivre et se conduire dans ses actes par rapport à ceux du métier, et cela quel qu'en soit l'âge ou la hiérarchie qu'on occupe. On voit par-là que le Devoir va loin et qu'en son détail la pratique en est fort étendue. En effet le Devoir embrasse toute la vie du compagnon, cette vie que le Compagnonnage partage en différents états : le stagiaire, l'aspirant, le Compagnon, le Compagnon fini ». (Jean Bernard, Le compagnonnage, rencontre de la jeunesse et de la tradition, PUF, 1972).
Le devoir peut également désigner une société particulière, un rite précis comme le devoir de maître Jacques ou le devoir du père Soubise (note) ; il peut également servir à identifier un mouvement compagnonnique qui fédère ou qui unit plusieurs sociétés et regroupe donc plusieurs « devoirs ». Tel fut le cas en 1889 avec la création de l’Union compagnonnique des compagnons du tour de France des devoirs unis.
Apparu dans les derniers siècles du Moyen Âge, le compagnonnage est aussi, pour certains historiens, l’héritier direct des bâtisseurs de cathédrales mais il convient ici de se montrer très prudents sur cette filiation même si, incontestablement, l’univers des bâtisseurs de cathédrales va fournir un modèle sinon la matrice de l’itinérance de chantier à chantier, de ville en ville, à des compagnons jusqu’alors sédentaires (note).
Il faut toutefois rappeler que la véritable origine du compagnonnage se situe essentiellement et fondamentalement dans la contestation du modèle corporatif. Les chantiers cathédraux ne peuvent donc pas être considérés, contrairement à une idée largement répandue, comme le creuset officiel, ou unique, de la naissance du compagnonnage en France. La réalité est bien plus complexe.
Le tournant de la Révolution
À la Révolution française, avec l’abolition des corporations, les compagnons du tour de France pensent avoir définitivement gagné la liberté de voyager, de se réunir et, surtout, celle de s’installer et d’ouvrir une boutique ou un atelier à leur convenance, démarche impossible sous l’Ancien régime. Mais il est souvent fait état « d’espoir déçu » à propos de cette période très particulière (note).
N’oublions pas que quelques compagnons, à l’image de ceux résidant dans le faubourg Saint-Antoine à Paris, ont pris part à l’écriture des premières pages de la Révolution française, à l’exemple de la prise de la Bastille qui vit quelques pays et coteries (note) participer au siège de la célèbre prison.
En mars 1791, la loi d’Allarde suscite un grand espoir parmi eux puisqu’elle leur ouvre la possibilité de s’installer où bon leur semble, dès lors qu’ils peuvent prouver la réalité d’un apprentissage du métier et de sa pratique, et payer une « patente ».
En juin 1791, la loi Le Chapelier va restreindre les libertés entrevues par le monde ouvrier en général et le milieu compagnonnique en particulier. Soucieux de surveiller tout groupement, les révolutionnaires souhaitent en effet encadrer le monde du travail, perçu comme un contre-pouvoir éventuel.
En faisant circuler des dizaines de milliers d’ouvriers à travers le pays, le compagnonnage de cette époque contribue à sa manière à la diffusion des idées. Le nouveau pouvoir politique cherche, sinon à encadrer le compagnonnage, du moins à le contrôler. C’est cette même optique qui explique la mise en place ultérieure du livret d’ouvrier.
Après la première phase de la Révolution, l’espoir de s’installer, de développer librement son projet d’entreprise individuelle et/ou collégiale va rapidement s’estomper. Toutefois, le compagnonnage reste très puissant durant cette période qui constitue, aux yeux des spécialistes, les dernières années de son âge d’or.
Il s’agit alors d'un mouvement ouvrier capable de négocier des revendications salariales, d’organiser des grèves (« cabales »), des mises en interdit (boycott des ateliers où les maîtres refusent la négociation) et d’exercer un quasi-monopole dans le placement des ouvriers de certains métiers de l’artisanat dans nombre de villes étapes de leur tour de France.
La révolution industrielle
Les conséquences de la révolution industrielle vont incontestablement affecter le compagnonnage. C’est dans ce contexte que se déroule l’action importante d’Agricol Perdiguier (1805-1875).
Connu de ses pairs sous le nom symbolique d'Avignonnais la Vertu, ce compagnon menuisier du devoir de liberté va tenter, non pas de réunir les compagnons au sein d’une seule organisation, mais de pacifier les relations entre sociétés compagnonniques rivales (rites de Salomon, Soubise et Jacques). L’œuvre de Perdiguier, encouragée par des personnalités comme George Sand, Lamartine, Arago, Hugo…. va fortement marquer l’histoire et la mémoire du compagnonnage (note).
Le machinisme, la standardisation, le chemin de fer, l’usine et tous les autres aspects de la modernité industrielle viennent progressivement mais violemment bouleverser et contester le modèle séculaire du compagnonnage basé sur les tours de main traditionnels et le tour de France à pied. La révolution industrielle marque la victoire symbolique de l’usine sur l’atelier et de la France urbaine sur la France rurale.
Pris dans la tourmente, le compagnonnage tente cependant de survivre, à l’image de ces compagnons charpentiers qui, sous la direction d’Eugène Milon (1859-1917), dit Guépin le Soutien de Salomon, acceptent de participer au levage d’un monument en fer, la tour Eiffel, symbole majeur d’une modernité mise en lumière avec les grandes expositions universelles.
Au même moment, à Romanèche-Thorins, un petit village du Mâconnais, un autre compagnon charpentier, Pierre-François Guillon (1848-1923), dit Mâconnais l’enfant du Progrès, anime une « école professionnelle pratique de stéréotomie appliquée à la construction ». Cette véritable université ouvrière forme une vingtaine de compagnons chaque année, perpétuant ainsi le savoir-faire des compagnons des métiers du bois et de la pierre.
Le syndicalisme naissant se construit et se développe en tentant de ridiculiser les cérémonies internes en usage chez les compagnons (les réceptions), dénonçant également une fraternité sinon une complicité entre ouvriers et patrons, une organisation archaïque -précisent-ils- et contraire à la lutte des classes qu’ils préconisent.
C'est tout le sens des premiers écrits syndicaux qui visent à décrédibiliser les sociétés compagnonniques. Pour les syndicats, nouveaux venus dans l’arène sociale, il s’agit en fait de s’adresser à une jeunesse ouvrière pour la détourner du choix compagnonnique (note).
Le compagnonnage se trouve à présent à la recherche d’une nouvelle identité dans un monde du travail et une société française en profonde mutation.
Face à une industrialisation galopante, les divisions entre mouvements rivaux, la permanence d’une certaine hiérarchie et d’un protocole désuet entre les métiers compagnonniques, les attaques syndicales vont contribuer à affaiblir encore plus le compagnonnage français qui, en cette fin du XIXe siècle, peine à recruter de jeunes sociétaires.
L’historien Étienne Martin Saint-Léon, à ce moment précis, pronostique la disparition inéluctable et définitive du compagnonnage (note).
Parce que le compagnonnage, comme la franc-maçonnerie, pratique des rites de réception, possède des légendes fondatrices faisant référence à la construction du temple de Salomon et sollicite des symboles comme l’équerre et le compas entrecroisés, certains ont trop rapidement conclu à une parenté entre les deux institutions. En réalité, le compagnonnage est bien antérieur à la franc-maçonnerie qui n’est apparue qu’au XVIIIe siècle. Ne commettons donc pas l’erreur grossière de considérer le compagnonnage comme une franc-maçonnerie ouvrière ou comme une franc-maçonnerie « opérative » (appellation usitée par nombre de francs-maçons), il en va du respect de l’identité des deux institutions.
Si la franc-maçonnerie revendique encore aujourd’hui un lointain passé « opératif », et, comme certains compagnonnages, se déclare l’héritière des bâtisseurs de cathédrales, elle est d’abord et surtout une société à caractère spéculatif, initiatique ou spirituel où, par la réflexion sur les symboles, le franc maçon va se construire intérieurement. Comme le compagnonnage, la franc-maçonnerie est plurielle et se divise en plusieurs familles et sensibilités très contrastées.
Il n’en est pas moins vrai qu’à l’image d’Agricol Perdiguier ou de Raoul Vergez, quelques compagnons ont fréquenté et fréquentent encore les loges des diverses obédiences maçonniques françaises. Ce faisant, ils n’engagent en rien leur compagnonnage, l’appartenance maçonnique étant un choix strictement individuel relatif à une démarche relevant de la sphère privée.
Compagnons et francs-maçons sont fondamentalement différents par le simple fait que le compagnonnage n’accepte en son sein que des gens de métiers dits manuels, le travail sur la matière et la formation professionnelle de ses membres étant le véritable signe distinctif de tous les compagnons du tour de France qui souhaitent faire progresser dans la connaissance du métier le jeune itinérant qui a choisi le voyage pour apprendre, approfondir et maîtriser un métier précis. Le mythe d’un compagnonnage sous la tutelle de la franc-maçonnerie ne correspond à aucune réalité historique même si le XIXe siècle vit un Grand Orient de France s’intéresser de très près à un compagnonnage qu’il avait trop longtemps ignoré.
À la recherche d'une nouvelle identité
La Première Guerre mondiale va encore accentuer la fragilité d’un compagnonnage en proie à une crise identitaire profonde, réduisant d’autant son rayonnement auprès d’une jeunesse ouvrière qui se détache de plus en plus de son influence. Le temps n’est plus à cette chevalerie du travail vantée par George Sand quelques décennies plus tôt (note).
La période de l’entre-deux guerres devient le théâtre de diverses réflexions, projets et autres initiatives pour tenter une difficile rénovation d’un compagnonnage français divisé en mouvements rivaux présentant des effectifs de plus en plus marginaux. C’est également le temps des sociétés protectrices des apprentis (SPA) que les compagnons investissent pour essayer de maintenir le contact avec la jeunesse ouvrière.
Une nouvelle tentative de rénovation interviendra à un moment particulier de l’histoire de notre pays avec la création de l’Association ouvrière des compagnons du devoir du tour de France en 1941. Nous renvoyons le lecteur à notre thèse de doctorat (note) pour comprendre la complexité de cette période qui va conditionner l’écriture du paysage compagnonnique contemporain car, paradoxalement, c’est sous Vichy, régime prônant -entre autres- un retour vers le passé, qu’émergent une forme et une organisation nouvelles de compagnonnage.
Après la Libération, les trois grands mouvements qui structurent le paysage compagnonnique contemporain se mettent en place. Ils se distinguent les uns des autres par leur histoire mais aussi et surtout par la nature des métiers qu’ils acceptent en leur sein, par un réseau très différencié de sièges et de maisons de compagnons, s’étendant parfois au-delà du territoire national, par une politique de formation plus ou moins volontariste et, enfin, par un souci d’ouverture à des partenaires et des institutions liés à la formation professionnelle (note).
L’acceptation des femmes, jusqu’alors tenues à l’écart, marque différence notable. Il faut attendre la première décennie du XXIe siècle pour voir les premières femmes acceptées et reçues en qualité de compagnon (et non de compagnonne) par les compagnons du devoir.
Reconnaissance par l’Unesco
En 2010, le comité intergouvernemental des membres de l’Unesco inscrit le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel. Cette reconnaissance officielle marque un réel tournant dans la perception du compagnonnage par l’opinion publique.
Les divers mouvements compagnonniques vont alors profiter de cette opportunité pour développer une nouvelle politique de communication envers la jeunesse et le grand public, marquée par le développement et la diversification des partenariats. Les regards évoluent, effaçant les derniers clichés et autres poncifs anachroniques.
Enfin, l’incendie de Notre-Dame de Paris, en avril 2019, constitue une occasion nouvelle pour mettre en lumière auprès du grand public la présence et les objectifs du compagnonnage à travers les métiers convoqués au chevet de la cathédrale à relever (note).
« Le système de compagnonnage français est un moyen unique de transmettre des connaissances et un savoir-faire liés aux métiers de la pierre, du bois, du métal, du cuir, du textile et de l'alimentation. Son originalité réside dans sa synthèse de méthodes et processus variés de transmission du savoir : voyages éducatifs nationaux et internationaux (période du Tour de France), rituels d’initiation, enseignement en milieu scolaire, apprentissages coutumiers et apprentissages techniques. Le mouvement des compagnonnages concerne près de 45 000 personnes, qui appartiennent à l’un des trois groupes de compagnons. Les personnes de 16 ans et plus qui souhaitent apprendre et / ou développer leurs compétences dans une profession donnée peuvent poser leur candidature pour rejoindre une communauté de compagnonnage. La formation dure en moyenne cinq ans, durant lesquels les apprentis se déplacent régulièrement de ville en ville, en France et à l'international, afin de découvrir les types de connaissances et les moyens de les transmettre. Pour pouvoir transmettre ces connaissances, l'apprenti doit produire un « chef-d'œuvre », examiné et évalué par les compagnons. Le compagnonnage est généralement perçu comme le dernier mouvement pour pratiquer et enseigner certaines techniques artisanales anciennes, pour offrir une véritable excellence dans la formation artisanale, pour intégrer étroitement le développement de la personne et la formation du travailleur, et le dernier pour effectuer des rites d'initiation propre au métier. » (Décision (5.COM.6.12) du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, cinquième session tenue à Nairobi, 15-19 novembre 2010).
Le compagnonnage toujours vivant
L’historien, spécialiste du passé, n’a pas vocation à se projeter vers l’avenir en proposant, sinon sa vision, du moins son hypothèse pour une lecture d’un espace-temps plus ou moins proche.
Etienne Martin Saint Léon avait osé en 1901, se prononcer sur l’avenir du compagnonnage en annonçant sa « mort prochaine », compte tenu de la dynamique des syndicats naissants appelés, selon lui, à prendre le relais. Quelque temps après, il reconnaissait son erreur.
Il est donc peu prudent pour l’historien d’oser proposer une vision d’avenir pour le compagnonnage. Néanmoins, une des fonctions de l’histoire est de permettre de mieux comprendre le présent à l’aune de ce qui n’est plus et, ainsi, de favoriser une réflexion objective sur le champ des possibles.
En ce sens, l’historien du compagnonnage est légitime, non pas pour pronostiquer –ce n’est pas son rôle- telle ou telle hypothèse, mais pour confirmer la profonde mutation qui s’opère progressivement depuis des décennies.
L’ouverture aux femmes, le souci constant d’écouter les mouvements qui animent le monde du travail et de l’entreprise, la prise en considération de la révolution numérique, le désir sincère de se remettre en question régulièrement pour proposer des réponses aux jeunes garçons et filles motivés pour apprendre un métier dans lequel ils puissent se réaliser pleinement, cette réelle capacité à s’adapter aux changements de diverses natures, font que le compagnonnage a encore de belles années devant lui.
En ne reniant pas un patrimoine culturel, matériel et immatériel qui a forgé son originalité et son identité depuis des siècles, le compagnonnage continue son évolution dans une société mondialisée dans laquelle, plus que jamais, la nécessité de disposer de repères fiables et solides est cruciale.
Le concept même d’apprentissage, tel qu’il est préconisé et vécu dans le compagnonnage, illustre la particularité de cette institution : apprendre progressivement, étape par étape, un métier au sein d’une communauté bienveillante et fraternelle qui, par le voyage, est soucieuse de proposer une formation de haut niveau où le parcours professionnel se double d’un parcours initiatique.
En découvrant le métier, le jeune itinérant se découvre lui-même. Le véritable chef-d’œuvre n’est donc pas le travail de réception exigé pour obtenir le titre de compagnon mais le compagnon lui-même, l’homme (ou la femme) transformé(e) professionnellement et intellectuellement par des années d’un tour de France de plus en plus élargi à d’autres pays.
En plaçant très vite chaque jeune en situation de responsabilité, le compagnonnage souhaite lui adresser un message de confiance destiné à révéler le potentiel qui réside en lui. En favorisant un dialogue particulier entre jeunes et anciens, experts et débutants, il propose une démarche projective pour tout jeune désireux d’apprendre un métier qui transforme la matière.
Un dialogue particulier avec le matériau et avec les outils qui permettent de le transformer, une relation originale avec le temps, avec l’espace et avec les hommes, caractérisent cette formation professionnelle.
L’historien peut dès lors affirmer, sans crainte d’être contredit, que le compagnonnage a toujours souhaité être un repère structurant pour bâtir de futurs hommes (et femmes) de métier, heureux d’accomplir leur métier au service des autres, comme le rappelle cette devise chère aux compagnons : « ni asservir, ni se servir mais servir ».
Enfin, il convient de rappeler que le compagnonnage, par son système de valeurs, permet de mettre en lumière la stupidité d’opposer les manuels aux intellectuels, paradigme trop longtemps hissé au rang d’une ligne de démarcation dans une société qui souffre encore de cette césure entre gens de main et gens d’esprit. Ce n’est pas un hasard si de nombreux compagnons se reconnaissent encore aujourd’hui dans cette maxime : « La main est esprit ! »
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