Les Japonais ont placé l'Indochine française sous leur tutelle dès la défaite de la France face à l'Allemagne en 1940. Début 1945, l'armée nippone est laminée par les offensives américaines dans la guerre du Pacifique. En Indochine, elle ne se satisfait plus du modus vivendi avec les colons et les militaires français. Le 9 mars 1945, elle attaque ceux-ci sans avertissement, portant un coup fatal à la présence coloniale de la France dans le Sud-Est asiatique.
La France évincée
Dès le 19 juin 1940, les Japonais en guerre contre la Chine profitèrent de la défaite de la France face à Hitler pour exiger de celle-ci qu'elle ferme la frontière entre le Tonkin (le Viêt-nam du nord) et la Chine. Ils obtinrent aussi de contrôler eux-mêmes le chemin de fer qui permettait d'approvisionner la province chinoise du Yunnan à partir du port vietnamien de Haïphong.
Après avoir espéré une intervention des Anglo-Saxons, le général Georges Catroux, gouverneur général de l'Indochine, ne voit pas d'autre solution que de s'incliner. Il est désavoué par le maréchal Pétain et remplacé par l'amiral Jean Decoux. Mais celui-ci n'a pas plus le choix que son prédécesseur. Il conclut un accord avec les Japonais le 30 août 1940. À ce moment-là, seule l'Angleterre résiste encore à l'Allemagne et la Chine au Japon.
Le 25 septembre 1940, 25 000 Japonais soumettent les troupes françaises d'Indochine, réduites à 12 000 hommes dont 3 000 Européens, mais ils laissent en place l'administration coloniale. Ils mettent l'Indochine en coupe réglée et exploitent ses immenses ressources naturelles et agricoles, notamment le caoutchouc naturel (15% des exportations mondiales en 1939).
Après la prise de Singapour par les Japonais, le 15 février 1942, l'Indochine française demeure le dernier « îlot blanc » en Asie orientale mais elle est complètement isolée de la métropole, soumise à un pénible blocus et à la discrétion de l'occupant.
En dépit de la pression japonaise, les troupes françaises conservent leur liberté de mouvement.
Avec autorité, l'amiral Decoux prévient les menaces de famines et modernise l'administration coloniale. Il instaure l'égalité de statut et de traitement entre fonctionnaires métropolitains et indigènes et promeut les cultures locales. Fidèle envers et contre tout au maréchal Pétain, il réprime par ailleurs les dissidences gaullistes dans la petite communauté française.
Après la chute du régime de Vichy, à l'été 1944, il reste en place pour donner le change aux Japonais mais doit coopérer avec le représentant officieux du gouvernement provisoire de De Gaulle, le général Eugène Mordant. Atteint par la limite d'âge, celui-ci laisse le 23 juillet 1944 le commandement des troupes au général Georges Aymé (frère aîné de l'écrivain Marcel Aymé) tout en continuant à cogérer l'Indochine avec le gouverneur général.
Vers le chaos
En 1945, les Japonais sont repoussés de partout par la contre-offensive américaine. À l'approche du dénouement final, le gouvernement de Tokyo craint non sans raison que les Anglo-Saxons et les Français libres ne viennent les chasser aussi du réduit indochinois.
Le 9 mars, le général Tsushibashi, qui commande l'armée d'occupation, invite les autorités françaises à un dîner officiel mais c'est pour les informer de son coup de force et les arrêter. Dans le même temps, son armée, forte de 60 000 hommes, attaque avec brutalité et sans sommations les garnisons françaises encore présentes sur place, 20 000 Européens et 40 000 Indochinois. Des familles sont massacrées et des femmes violées.
Pour la forme, à Saigon, le gouverneur général Decoux se voit intimer par l'ambassadeur japonais Matsumoto l'ordre de placer ses troupes sous commandement japonais.
À Hanoi, le général Sabbatier, pressentant le drame, a consigné ses troupes dans la citadelle de la ville. Elles vont résister pendant deux jours à l'assaut et se rendre avec les honneurs après avoir essuyé 50% de pertes. Dans l'ensemble de l'Indochine, on comptera au total pas moins de 2 650 morts parmi les Français, dont le général Émile Lemonnier, commandant de la 13e brigade de Langson. Le général a refusé à deux reprises de signer une capitulation sans conditions. Il est décapité au sabre le 10 mars ainsi que 460 prisonniers (à Paris, l'avenue située entre le Louvre et les Tuileries honore sa mémoire).
Pour le reste, 3 000 prisonniers, dont le général Georges Aymé, rejoignent les redoutables camps de la mort, dont celui de Hoa-Binh. Parmi les 19 000 civils français, 3 000 sont aussi internés et parfois torturés. Les autres sont astreints à résidence forcée sous la férule de la Kempeitai (la police politique de l'armée impériale nippone) ; la plupart à Hanoï ou Saïgon, les autres, moins nombreux, dans des villes de moindre importance comme Nam-Dinh, Vinh, Hué...
L'Indochine est dès lors entièrement occupée par l'armée nippone. Les modestes forces françaises qui n'ont pas été capturées ou anéanties s'enfuient dans la jungle. Sous les ordres du général Alessandri, elles se replient tant bien que mal vers la province chinoise du Yunnan, en Chine, mais sans pouvoir compter sur l'aide de la 14e US Air Force basée à Kunming, capitale de la province.
Le général Albert C. Wedemayer qui la commande est connu pour ses sentiments anti-français et, comme le gouvernement américain de Franklin Roosevelt, il n'est pas fâché de voir la France chassée d'Asie, fut-ce par le Japon.
Les fuyards bénéficient heureusement de quelques parachutages, ainsi que d'un appui aérien et d'évacuations sanitaires de la part des forces britanniques de l'amiral Louis Mountbatten, qui n'hésite pas pour cela à enfreindre les consignes.
L'empereur d'Annam (le Viêt-nam central) Bao-Daï (on écrit aussi Bao Dai) dénonce le protectorat français et se rallie à la « Grande Asie » que promeut le Japon. À quelques mois de l'effondrement militaire de ce dernier, sa décision manque pour le moins de discernement !
Il est peu après évincé par le leader communiste-nationaliste Hô Chi Minh, lequel attend le 10 août 1945 pour dénoncer la tutelle japonaise. Bao-Daï abdique officiellement le 2 septembre 1945 et la ligue Vietminh, fondée par Hô Chi Minh et solidement implantée au Tonkin (Nord-Vietnam), proclame l'indépendance de la République démocratique du Viêt-nam (on écrit aussi Vietnam).
Dans le même temps, comme pour ajouter à la confusion qui règne sur le terrain, les Alliés réunis à Potsdam projettent de couper en deux la péninsule indochinoise suivant le 16e parallèle (future frontière entre Nord- et Sud-Vietnam). Le maintien de l'ordre reviendrait au nord de cette ligne aux Chinois nationalistes de Tchang Kai-chek, au sud aux Britanniques !
Hô Chi Minh a recruté ses premiers combattants parmi les déserteurs de l’armée française, d'anciens membres de la Garde Indigène et des élèves de l’École des cadres de Phan-Thiet et autres mouvements de jeunesse fondés par l’amiral Decoux. Ces troupes de bric et de broc ont pu se former à l'art de la guerre grâce à 1500 officiers et sous-officiers japonais viscéralement anti-blancs, sous le commandement du lieutenant-colonel Mukaiyama de l'état-major de la 38e armée impériale.
Durant l'été 1945, résignés à la défaite, les occupants japonais n'auraient en effet rien fait pour entraver l'action anticolonialiste et anti-occidentale d'Hô Chi Minh mais l'auraient plutôt encouragée.
Herodote.net a recueilli à ce propos le témoignage d'un Français, Jean-Pierre Lefèvre-Garros : « J'ai personnellement été arrêté à Nam-Dinh le 16 août 1945 alors que j'allais annoncer au R.P. André Vacquier à son presbytère la capitulation du Japon, que mon père avait apprise par ses amis chinois. Les sous-officiers de la Kempeitai et les communistes vietnamiens armés de M1 qui nous sont tombés dessus et nous ont arrêtés et ficelés paraissaient s'entendre parfaitement, les Japonais toutefois assumant leur rôle d'instructeurs avec leur autorité naturelle, et je ne pense pas que cette coopération ait pu naître en moins de 24 heures [Si j'ai pu m'en sortir, le Père Vacquier, lui, a disparu sans laisser de traces entre les mains de la Kempeitai] ».
À Paris, le général Charles de Gaulle, qui dirige le gouvernement provisoire de la République française, met tout en oeuvre pour restaurer la souveraineté de la France sur ses colonies d'outre-mer. Il veut effacer le souvenir de la défaite de 1940 et restaurer en tous lieux la grandeur de la France. Il veut aussi couper court à d'autres tentatives indépendantistes au sein de l'Empire colonial.
Dès le 24 mars 1945, alors qu'il s'apprête à prendre le pouvoir en France à la faveur de la Libération du pays par les Anglo-Saxons, le général de Gaulle déclare son intention de restaurer l'autorité de la France en Indochine dans le cadre d'une fédération de colonies et de protectorats qui comprendrait les trois provinces du Viêt-nam (les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine) ainsi que le Cambodge et le Laos. De cette décision risquée découlera la guerre d'Indochine et dans un second temps la guerre du Vietnam.
Vos réactions à cet article
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Benoit de Bien (17-03-2015 17:08:14)
je trouve le commentaire de Louis tout à fait pertinent mais à nuancer par le fait que la débacle de 1940 imprégnant encore les esprits, obscurcisait les vues à terme de nombre de responsables.
cpalbi (11-03-2015 21:30:29)
J'ai entendu de plusieurs sources l'évocation de la "saint Barthélémy" une mauvaise manière japonaise pour éliminer des officiers français réunis au prétexte d'une réception commune. Qu'en e... Lire la suite
Louis (05-03-2013 19:44:22)
En 1945, les autorités françaises n'ont pas encore compris qu'une époque était révolue: au lieu de lâcher prise, Paris a fait les pires choix possibles, avec au bout le désastre de Dien Bien Ph... Lire la suite