Le 15 février 1794, à Paris, l'assemblée de la Convention impose les couleurs bleu-blanc-rouge.
Elle « décrète qu'à compter du 1er prairial An II [20 mai 1794], le pavillon sera formé des trois couleurs nationales disposées en trois bandes égales posées verticalement » pour mettre fin à la fantaisie des couleurs dans la Marine française, sujette à confusion dans les combats.
L'initiative revient à un député de Montauban, le pasteur André Jeanbon, dit Jeanbon Saint-André. Le peintre Louis David, consulté, suggère pour des raisons d'esthétisme que le bleu soit fixé à la hampe.
Ces règles destinées aux pavillons des navires s'appliquent dans la foulée à l'ensemble des drapeaux de la Nation.
Les trois couleurs du drapeau français remontent aux origines de l'Histoire.
En 1124, l'empereur germanique Henri V pénètre en Champagne et menace Paris. Le roi capétien Louis VI le Gros alerte ses vassaux qui, tous, pour l'occasion, font taire leurs querelles. Le roi lui-même s'en va quérir sur l'autel de l'abbatiale de Saint-Denis, au nord de Paris, l'oriflamme du saint, rouge du sang du martyr, pour la brandir en signe de ralliement.
Il devient dès lors coutumier aux rois de France de brandir cette oriflamme dans les heures de grand péril. La tradition sera reprise par les révolutionnaires parisiens insurgés contre le roi, de sorte que le drapeau rouge deviendra aux XIXe et XXe siècles le symbole mondial des luttes révolutionnaires et ouvrières... jusqu'à être adopté par plusieurs États communistes dont la Chine !
En 1188, au moment de partir en croisade, le roi Philippe Auguste arbore une bannière blanche avec une croix de Saint-Georges rouge. Le blanc est ainsi associé à la monarchie et à la guerre. Deux siècles plus tard, Jeanne d'Arc se dote d'une bannière blanche semée de lys, avec l'inscription « Jhesus Maria » et deux anges qui se font face.
Pendant les guerres de religion, le roi Henri III de Navarre, futur Henri IV, et ses compagnons protestants prennent l'habitude de se doter d'une écharpe blanche. La légende veut que ce soit la « Grande Corisande », Diane d'Andoins, maîtresse du roi de Navarre, qui ait suggéré à celui-ci ce signe de reconnaissance avant la bataille de Coutras. Le blanc a été sans doute choisi pour s'opposer au rouge, couleur des troupes espagnoles et catholiques, ou par référence à une forme de pureté évangélique. Il va en tout cas devenir la couleur du clan protestant, puis, quand Henri montera sur le trône, l'une des couleurs de référence de la monarchie française !
C'est seulement en 1815, sous la Restauration, que le blanc apparaîtra - bien à tort - comme le symbole exclusif de la monarchie.
Le bleu est une couleur tardivement apparue dans l'iconographie médiévale. On le rencontre au XIIe siècle dans les vitraux. Très vite, il est associé à la Vierge et à son manteau. Suger, abbé de Cluny et conseiller de Louis VI, lui recommande de l'adopter à son tour en signe de pieuse allégeance à la Mère de Dieu. Mais on le repère aussi dans les couleurs des bourgeois de Paris, en association avec le rouge. Le prévôt des marchands Étienne Marcel, en conflit avec le pouvoir royal, fait du chaperon (bonnet) bleu et rouge le signe de ralliement de ses partisans.
Les rois de France, jusqu'à la Révolution, changent d'emblème à leur guise et nul ne se soucie de vénérer leurs couleurs. Les couleurs bleu, blanc et rouge commencent à émerger sous le règne du roi Henri IV (1589-1610). Le « Vert-Galant » recommande ces trois couleurs aux ambassadeurs hollandais qui en font illico l'emblème de leur marine. C'est ainsi qu'aujourd'hui, le bleu-blanc-rouge se retrouve sur le drapeau des Pays-Bas comme sur celui du Luxembourg (ancienne possession néerlandaise).
Le tsar Pierre Ier le Grand, de passage à Amsterdam au début du XVIIIe siècle, adopte les mêmes couleurs pour ses navires. De sorte qu'elles se retrouvent aussi sur le drapeau de la Russie impériale et de la Russie actuelle. Émules des Russes, les Serbes les adoptent à leur tour. Elles sont transférées sur le drapeau de la Yougoslavie et celui de l'actuelle Serbie.
En France, les gardes françaises avaient adopté les trois couleurs sur leur uniforme et l'emblème de leur régiment. Elles les conservèrent en passant du côté de la Révolution sous le nom de Garde nationale.
Le 17 juillet 1789, peu après la prise de la Bastille, Louis XVI est accueilli à l'Hôtel de Ville par une foule arborant sur la tête une cocarde ou des rubans aux couleurs de Paris, le bleu et le rouge.
Si l'on en croit les souvenirs de La Fayette, publiés bien après la Révolution, ce populaire général aurait alors remis au roi une cocarde semblable et l'aurait associée à la cocarde blanche du roi. Devenu chef de la Garde nationale le 31 juillet 1789, La Fayette aurait officialisé la cocarde tricolore en la remettant solennellement à la municipalité de Paris avec ces belles paroles : « Je vous apporte une cocarde qui fera le tour du monde ».
Selon d'autres témoins, c'est le roi en personne qui, de sa propre initiative, aurait associé les rubans bleu et rouge de la Garde nationale à sa cocarde blanche. Mais on voit mal le roi se présenter devant les Parisiens avec la cocarde blanche qui le définit comme chef des armées !
Plus sérieusement, on peut penser que l'initiative en revient au maire de Paris, Jean-Sylvain Bailly. On peut ainsi lire dans le numéro du 24 juillet 1789 de la Gazette de Leyde (Pays-Bas) le passage suivant, extrait d'une lettre « écrite vendredi au soir, 17 juillet » : « M. Bailly a présenté à Sa Majesté la cocarde royale et bourgeoise, réunissant les couleurs bleu, blanche & rose : le Roi a permis qu'on la mît sur son chapeau & l'a montrée au peuple. »
Toujours est-il que les trois couleurs bleu, blanc et rouge étaient déjà très populaires à Paris, en particulier chez les libéraux. Elles rappelaient notamment le drapeau des jeunes États-Unis d'Amérique pour lesquels ils avaient la plus grande admiration, à l'image de La Fayette, le « héros des deux mondes ». La France révolutionnaire a tout à fait pu les adopter en référence au précédent américain...
À la Fête de la Fédération, l'année suivante, le Champ de Mars où se tient la cérémonie est entièrement pavoisé de bleu, blanc et rouge.
Le 24 octobre 1790, l'Assemblée nationale fait un nouveau pas en décidant, sur proposition de Jacques François de Menou, de remplacer le pavillon blanc des vaisseaux de guerre et navires de commerce français par un pavillon à trois bandes verticales : rouge près de la hampe, blanc au centre et cette bande sera plus large que les autres, bleu enfin.
Le sens vertical des couleurs s'impose afin d'éviter la confusion avec les bandes horizontales du drapeau des Provinces-Unies. Très vite assimilée à la Liberté et aux Droits de l'Homme, cette disposition verticale va être reprise par de nombreux autres emblèmes nationaux, dont ceux de l'Italie et de la Belgique.
L'Assemblée décide par la même occasion de substituer au cri de « Vive le roi », celui de « Vive la Nation, la loi et le roi ».
La Convention confirme solennellement le choix de la Constituante le 15 février 1794. En 1812, l'empereur Napoléon Ier étend l'obligation d'un drapeau tricolore aux régiments de l'armée de terre.
La Restauration monarchique, de 1815 à 1830, impose le drapeau blanc, réputé à tort être l'emblème traditionnel des rois de France.
Louis-Philippe Ier, qui combattit à Valmy et Jemappes, revient aux trois couleurs en 1830 de sorte qu'en 1848, les républicains hésitent à les conserver et penchent pour le drapeau rouge.
Il faut toute l'éloquence d'Alphonse de Lamartine pour les conserver. Le 26 février 1848, à l'Hôtel de ville de Paris, le poète (58 ans) s'adresse en ces termes aux républicains : « (...) le drapeau rouge, que vous-même rapportez, n'a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 1791 et 1793, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ».
Le 14 juillet 1880, enfin, sous la IIIe République, le président Jules Grévy consacre la popularité de cet emblème en le remettant solennellement à tous les corps de l'État.
Il existe pléthore d'informations plus ou moins fantaisistes sur la vexillologie (« étude des drapeaux ») et sur l'origine des trois couleurs. Je suis quant à moi reconnaissant à Jacques Boudet, l'auteur du dictionnaire Les Mots de l'Histoire (Larousse, 1998) pour la qualité et la précision de ses sources.
Vos réactions à cet article
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Jean MUNIER (15-02-2023 12:01:43)
j'avais lu ailleurs que le rouge était aussi la cape de St MARTIN légionnaire romain ...Hugues Capet comte de Paris etc.. Et il y a les couleurs qu'on sait reproduire selon les époques.
Robert Tolck (15-02-2019 20:45:00)
Une précision au sujet du drapeau tricolore: "Mon calendrier protestant", Henri Seillan, Ed. Olivétan, indique ceci: André Jeanbon: "Cet ancien capitaine de marine, après plusieurs naufrages, étu... Lire la suite
Jean Loignon (18-07-2018 14:30:03)
Michel Pastoureau avec l'autorité qu'on lui sait en matière de symboles et de couleurs, défend la thèse d'une origine américaine des couleurs françaises ; il précise dans "les Couleurs de notr... Lire la suite