13 mars 2013 - 21 avril 2025

Le pape François, un lanceur d'alerte

Le pape François (Paris Match, mars 2013)Le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio (76 ans), archevêque de Buenos Aires (Argentine), succède sur le trône de Saint Pierre à Benoît XVI, lequel a résigné sa charge le 28 février précédent pour des raisons de santé.

Il devient de la sorte le premier pape issu de la Compagnie de Jésus, le premier né hors d'Europe et aussi le premier depuis plus de mille ans à choisir un nom inédit, François.

Cette référence à François d’Assise, fondateur d'un ordre mendiant, les franciscains, honni par les jésuites peut apparaître au choix comme l'expression d'une empathie profonde pour le pauvre d'Assise... ou comme un fantastique « coup de com »  de la part d'un faux modeste qui ambitionnait de refonder l'Église (note).

« Moi, François, pape normal »

Né de parents italiens le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, Jorge Bergoglio a été touché par la vocation à 17 ans. Il obtient un diplôme de technicien en chimie (!) avant d'entrer au séminaire puis au noviciat de la Compagnie de Jésus.

À son apparition à la loggia de la place Saint-Pierre, le soir de son élection, Jorge Mario Bergoglio surprit par le choix de son nom mais aussi par le rejet de la somptueuse tenue rituelle au profit d'un surplis blanc.

Dans son allocution improvisée, il se dit modestement « évêque de Rome », ville « qui préside à la charité des églises », selon une formule du 1er siècle. Enfin, par sa manière de congédier la foule d'un familier « Bonne nuit », le nouveau pape se présenta immédiatement comme un pape « normal »... tout comme François (Hollande), élu quelques mois plus tôt à la présidence de la République française, se voulait un « président normal ».

Loin des pompes vaticanes, il exprima son souci de revenir à la pauvreté du sermon des Béatitudes et renonça ainsi à résider dans les appartements pontificaux (au demeurant fort modestes) au profit de la résidence Sainte-Marthe. 

Il manifesta tout au long de son pontificat une grande bienveillance envers les déshérités. Ainsi, lors de la cérémonie rituelle du lavement des pieds, le Jeudi Saint, c'est devant des prisonniers ou des malades du sida qu'il mit genoux à terre.

Originaire d'un pays, l'Argentine, qui s'est longtemps vu comme l'arrière-cour de l'Europe et en a adopté les modes intellectuelles, le souverain pontife se plut à dénoncer le capitalisme néolibéral d'inspiration étasunienne. Il en dénonça en particulier les conséquences dans son encyclique dédiée à l'écologie, Laudato Si', publiée le 24 mai 2015.

Avec ce texte, il s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, notamment de Paul VI, qui écrivait dans l'encyclique Pacem in terris (1971) : « Par une exploitation inconsidérée de la nature [l’être humain] risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation » et surtout de Benoît XVI qui appelait le 8 juin 2007 à « éliminer les causes structurelles des dysfonctionnements de l’économie mondiale et à corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de garantir le respect de l’environnement ».

Face au réchauffement climatique, le pape réitère les solutions conventionnelles comme de remplacer les énergies fossiles par des énergies dites renouvelables. Cela dit, s'en tenir à cela reste illusoire avec une demande d'énergie toujours plus importante, attisée par le consumérisme et la mondialisation néolibérales...

François fustige aussi les goûts de luxe de certains cardinaux. Le 22 décembre 2014, lors d’une cérémonie de vœux, il rudoie publiquement les membres de la Curie (le gouvernement du Vatican) en les accusant de quinze maladies dont ils seraient atteints, de « l’Alzheimer spirituel » à « la schizophrénie existentielle » en passant par la « pétrification mentale et spirituelle » et la « maladie du visage funèbre » ! Des paroles sévères mais dont il n'est pas certain qu'elles aient débouché sur un fonctionnement plus collectif et plus responsable de l'administration vaticane. 

Le 16 juillet 2021, le pape s'est confronté aux catholiques traditionnalistes. Par un motu proprio (« de son propre chef ») intitulé Traditionis Custodes, il a remis en cause la faculté donnée par Benoît XVI aux fidèles et aux prêtres de célébrer la messe selon le rite de Pie V (emploi du latin et des chants grégoriens, prêtre face à l'autel et non face aux fidèles...). Les fidèles nostalgiques de cette messe à l'ancienne devront désormais obtenir l'aval de leur évêque.

La coqueluche des réseaux sociaux

Le pape François à Rome en 2013.

Le pape afficha d'emblée son empathie pour les homosexuels, avec une formule pleine d'humilité : « Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? », déclara-t-il dans l'avion qui le ramenait de Rio le 29 juillet 2013 (dans le même temps, toutefois, d'aucuns lui reprochent d'avoir trop temporisé dans la gestion des scandales sexuels qui ont affecté les clergés de plusieurs pays au cours des deux dernières décennies).

Dix ans plus tard, le 13 décembre 2023, la question homosexuelle revint sur le tapis avec un motu proprio intitulé Fiducia supplicans pour autoriser les bénédictions de couples homosexuels. Le clergé africain s'en scandalisa, craignant qu'il ne heurte des fidèles massivement hostiles à l'homosexualité.

De leur côté, les évêques eux-mêmes s'irritèrent de cette prise de décision personnelle car, quelques semaines plus tôt, lors d'une grande assemblée synodale, ils avaient réaffirmé leur refus de ce genre de tolérance.

À la différence de son prédécesseur, théologien réservé qui soupesait chacun de ses mots, le pape argentin s'adonnait avec délectation à des entretiens improvisés avec la presse, en employant des formules qui pouvaient déconcerter beaucoup de fidèles.

Le 19 janvier 2015, de retour des Philippines, le pape François évoqua ainsi les femmes pauvres, victimes de grossesses multiples et usa d'une brève de comptoir qui choqua sans doute beaucoup de familles nombreuses (et épanouies) : « Certains croient, excusez-moi du terme, que, pour être bons catholiques, ils doivent être comme des lapins ».

Lors du retour des Journées Mondiales de la Jeunesse de Cracovie, le 1er août 2016, soucieux de dissocier le terrorisme de l'islam, il laissa tomber : « Si je dois parler de violences islamiques, je dois aussi parler de violences chrétiennes. Dans presque toutes les religions, il y a toujours un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons nous aussi », ajoutant curieusement : « Tous les jours quand j'ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu'un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ».

Le 1er novembre 2016, dans un avion qui, cette fois, le ramenait de Malmö (Suède), le souverain pontife tempéra ses propos précédents sur l'accueil des immigrants : « On ne peut pas fermer le cœur à un réfugié, expliqua-t-il. Mais, tout en étant ouvert à les recevoir, les gouvernements doivent être prudents et calculer comment les installer. Il ne s’agit pas seulement de recevoir des réfugiés mais de considérer comment les intégrer. »

Ces nuances furent écartées le 21 août 2017 dans un discours officiel et réfléchi : « Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les migrants et les réfugiés », dans lequel le pape réclama de la part des Européens un accueil indifférencié de tous les migrants, avec « corridors humanitaires », « visas », etc. Et il enjoignit aux responsables politiques de « toujours faire passer la sécurité personnelle avant la sécurité nationale ! »

Le 23 septembre 2023, devant la basilique Notre-Dame de la Garde (Marseille), le pape évoqua encore les migrants qui traversaient la Méditerranée : « Nous ne pouvons pas nous résigner à voir des êtres humains traités comme des monnaies d'échange, emprisonnés et torturés de manière atroce ; nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l'indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu'elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C'est un devoir d'humanité, c'est un devoir de civilisation !... » Ainsi le Souverain Pontife ne craignait-il pas de sortir de son magistère spirituel pour donner des leçons de gestion publique !

On n'entendit toutefois pas le pape François rappeler combien il est immoral, sous prétexte d'humanité, de dépouiller l'Afrique de ses jeunes pour les exploiter dans des tâches serviles (manoeuvres, soutiers, etc.) ou tirer profit de leurs compétences professionnelles (médecins, ingénieurs, etc.). Il ne s'exprima pas non plus (ou peu) sur les  « avancées sociétales » concomitantes des douze années de son pontificat, comme l'aide au suicide, les changements de sexe ou la gestation par autrui (note).

Alban Dignat
Publié ou mis à jour le : 2025-05-12 12:11:10

Voir les 6 commentaires sur cet article

Louis (24-04-2025 11:45:16)

Petite erreur. La citation vient bien de Paul VI, 1971, Lett. apost. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 21 : AAS 63 (1971), 416-417.
Par contre Pacem in Terris, c'est Jean XXIII, 1963.

Christian (23-04-2025 06:34:12)

La déclaration du 1er novembre 2016 me convient très bien. "On ne peut pas fermer le cœur à un réfugié. Mais, tout en étant ouverts à les recevoir, les gouvernements doivent être prudents et ... Lire la suite

Jules (22-02-2024 08:16:30)

Que répondre à l'encyclique Fratelli tutti (Tous frères) du pape, le 4 octobre 2020, qui préconise en Europe l'accueil inconditionnel de tous les immigrants? Dans la Bible hébraïque, on croise ... Lire la suite

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