Histoire universelle

Vous avez dit « civilisation » ?...

Les civilisations existent-elles ? La réponse semble aller de soi. Il n'est que de songer à l'essai retentissant du professeur américain Samuel Huntington, Le Choc des civilisations (1996), qui décrivait un monde divisé en huit civilisations, ni plus, ni moins : occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine (note).

Pouvons-nous pour autant espérer l'avènement d'une civilisation planétaire construite autour de valeurs universelles ? Rien n’est moins sûr…

André Larané, avec la contribution d'Isabelle Grégor
Un menuet aux îles Marquises, auteur inconnu, Le Charivari, 1843
 

Pas de « civilisation » avant le XVIIIe siècle !

Bien que d’apparence commune, le mot « civilisation » n’a que trois siècles d’existence. Il est issu du latin civis, c'est-à-dire citoyen, et de civitas, qui désigne la cité, autrement dit l’ensemble des citoyens. Il apparaît d’abord dans le vocabulaire juridique pour désigner le fait de rendre civile une matière criminelle !

C'est au siècle des Lumières qu'il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1758 dans L’Ami des Hommes, un essai politique de Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire : « C'est la religion le premier ressort de la civilisation », c'est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble.

On le retrouve en 1770 dans L’Histoire des Deux Indes, un ouvrage majeur du siècle des Lumières, attribué à l’abbé de Raynal et plus probablement à Diderot : « La civilisation d'un empire est un ouvrage long et difficile ».

Dans cet ouvrage, le mot « civilisation » est employé comme synonyme de « rendre policé » (de polis, cité en grec). Il exprime le processus qui permet aux hommes de s’élever au-dessus de l’état de nature, en corrélation avec le développement des villes. À ce propos, il n’est pas anodin d’observer que les adjectifs apparentés « civilisé », « policé » et « urbain » (au sens d’urbanité) viennent de mots latins ou grecs qui désignent tous la ville ou la cité : civitas, polis, urbs.

Il n'est pas anodin non plus d'observer que ce processus de civilisation sous-entend que la violence est inscrite dans l'état de nature, ce qu'a tenté de nier Jean-Jacques Rousseau, selon lequel l'homme est naturellement bon. L'objet de la civilisation est de contenir et canaliser cette violence, à défaut de l'éradiquer.  

En 1795, à la fin de la Révolution, le mot civilisation a les honneurs du dictionnaire de l'Académie française avec la définition suivante : « Action de civiliser, ou état de ce qui est civilisé ».

L'édition de 1872 se montre résolument neutre dans sa définition du mot : « État de ce qui est civilisé, c'est-à-dire ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l'action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et des sciences ». Elle ne porte pas de jugement de valeur ni n’établit de comparaison entre différentes formes de civilisations.

Le barbare n'est pas celui qu'on croit

Les jugements de valeur ont longtemps été étrangers à la pensée occidentale. Quand les anciens Grecs inventent le mot barbare, il s’agit simplement d'une onomatopée par laquelle ils désignent les gens qui ne parlent pas leur langue.

Le sens du mot évolue à la fin de l’Antiquité quand, choqués par la violence des invasions germaniques, les Romains commencent à opposer sauvagerie et civilisation (humanitas). Le mot barbare prend alors une consonance péjorative en désignant l'ensemble des peuples hostiles qui vivent aux confins de l'empire.

Mais les Romains et leurs héritiers, chrétiens à l’ouest, majoritairement musulmans à l’est, demeurent étrangers aux jugements de valeur et plus encore aux catégories raciales. Au Moyen Âge, pour les disciples du Christ comme pour ceux de Mahomet, tous les hommes ont vocation à rejoindre leur foi...

À ce propos, retenons l’observation ironique de l'historien britannique Arnold Toynbee, publiée en 1972 : « Au lieu de diviser l’humanité comme nous le faisons, en hommes de race blanche et en hommes de couleur, nos ancêtres les divisaient en chrétiens et en païens. Nous ne pouvons manquer d’avouer que leur dichotomie valait mieux que la nôtre tant sur le plan de l’esprit que de la morale. » (L’Histoire, Elsevier, 1972, traduction : 1978).

Curieux de tout, les Européens du Moyen Âge, une fois qu’ils eurent fait le tour de leur monde imaginaire (bestiaire, gargouilles…), s’échappèrent de l’étroite « fin de terre » dans laquelle ils étaient piégés. Ils ont emprunté la seule voie qui leur fut ouverte, la voie océanique, et découvrirent un Nouveau Monde :
« Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles »
(José Maria de Heredia).

Brutales rencontres

La rencontre avec les peuples du Nouveau Monde fut brutale, d’autant plus meurtrière que s’immisça le fléau des épidémies. Mais cet authentique « choc des civilisations » révéla aussi aux Européens l’infinie diversité de la condition humaine : « Mais quoi, ils ne portent point de hauts-de-chausses ! » Cette réflexion ironique sur les différences de coutumes conclut le passage des Essais rédigé par Montaigne après sa rencontre avec trois Indiens du Brésil, à Rouen, en 1562.

Montaigne ne s’en tient pas là. Décrivant les mœurs cruelles des « cannibales » (dico), il ajoute : « Je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté : sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n’est pas de son usage. » Et précise : « Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes, un corps encore plein de sentiment, à le faire rôtir par le menu. »

La critique vise ses contemporains qui se déchirent dans les guerres de religion. Montaigne les amène à réfléchir sur leur conduite par une mise en parallèle avec une autre conduite, le cannibalisme, que son éloignement permet d’observer avec détachement. Cette démarche sera reprise un siècle plus tard par Montesquieu dans les Lettres persanes. Ses deux héros, Usbek et Rica, par leur questionnement sur la société française, amènent les lecteurs à remettre en question leurs certitudes.

Pour ces penseurs éclairés, il s’agit non pas de condamner ou réprouver mais simplement de faire progresser des pratiques figées dans l’habitude et la routine.

Dans les Temps modernes, jusqu'à la Révolution, l'ouverture à de nouveaux mondes va préserver les Occidentaux du péché d’arrogance. Elle va aussi exciter leur curiosité et devenir un moteur de l’innovation. Le résultat sera fructueux à en juger par la liste des emprunts étrangers dans les sociétés de la Renaissance et du siècle des Lumières, depuis le tabac, originaire du Brésil, jusqu’au recrutement des hauts fonctionnaires par concours, selon la pratique chinoise du mandarinat.

Johan Zoffany, La Tribune des Offices, XVIIIe siècle, Londres, Royal Collection. Les premiers musées qui naissent alors permettent des comparaisons entre « les civilisations ».

L'Autre sous le projecteur des Lumières

Les penseurs des Lumières ont su aussi observer les autres peuples, tantôt avec dégoût ou admiration, toujours avec étonnement. C'est le temps des grands voyages d'exploration à but non plus uniquement militaire ou commercial mais également scientifique. Les circumnavigateurs (Bougainville, Cook, Lapérouse...) s'empressent de coucher dans leurs carnets de route leurs observations sur les peuples rencontrés, bien conscients qu’elles allaient être épluchées par les grands esprits de l'époque.

Le XVIIIe siècle est en effet celui de l'étude de l'Homme, à la fois dans sa singularité et dans sa diversité.

Les voyageurs croient trouver au-delà des mers l'« état de nature » décrit par Rousseau de façon purement théorique : les Tahitiens ne sont-ils pas de « bons sauvages » vivant dans un pays paradisiaque et ignorant la propriété, la violence, le besoin ? Malgré les mises au point de Bougainville puis de Diderot, le mythe prend de l'ampleur, faisant des Polynésiens les représentants d'une humanité primitive idéale.

Cette empathie pour l’Autre se prolonge jusqu’à la moitié du XIXe siècle. Ainsi en attestent les peintures de la société algérienne par Fromentin et Delacroix et les écrits de voyageurs en Orient, de Chateaubriand à Nerval. On la retrouve aussi dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage.

L'ignominie de l'esclavage est venue du contact entre Méditerranéens de tous bords sur les marchés du Maghreb et de l’Orient au XVe siècle. Quand ils ont voulu exploiter les terres du Nouveau Monde, Espagnols et Portugais y ont tout naturellement transporté le système des grandes plantations sucrières esclavagistes qu’ils avaient découvert en Orient. Les Anglais ont pris le relais et, pour se protéger du risque de se dissoudre dans le métissage face à un flux grandissant d’Africains, ont érigé au XVIIe siècle la barrière du racisme (dico).

Mais en Europe même, l’esclavage a été condamné par le pape dès le XVe siècle et le racisme n’a jamais eu de prise sur la société jusque dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Le mouvement en faveur de son abolition débute bien avant la Révolution. L’abbé de Raynal, dans l’Histoire des Deux Indes déjà citée, en appelle à un nouveau Spartacus.

Dès son avènement, le jeune roi Louis XVI demande à son ministre Turgot d’abolir cette institution mais il doit reculer devant les menaces des planteurs. À l’ouverture des états généraux, en 1789, il récidive et par la voix de son ministre Necker, émet le vœu qu’il y soit mis fin.

L’on commence aussi au XVIIIe siècle à cultiver le désir de policer les sociétés « sauvages » et les amener à la civilisation. L’Europe se passionne pour l'expérience menée par les Jésuites au Paraguay, au cœur du continent sud-américain, où ils ont rassemblé les Indiens dans des communautés paisibles et ordonnées : « Rien ne fait plus honneur à la religion que d'avoir civilisé ces nations », dit le naturaliste Buffon, admiratif devant les résultats des missions religieuses.

Peuples océaniens, in Meyer Konversation Lexikon, 1897

Quand la science s'en mêle

Le siècle des Lumières est aussi le siècle de la raison et de la science. Dans L’Esprit des Lois (1748), Montesquieu emprunte au grec Hippocrate la « théorie des climats » pour expliquer de façon « rationnelle » les différences entre les sociétés humaines : « Les peuples des pays chauds sont timides comme les vieillards le sont ; ceux des pays froids sont courageux comme le sont les jeunes gens (…) ». On entre ici dans le jugement de valeur.

Dans son Histoire naturelle, qu’il écrit à partir de 1749, Buffon traite du règne animal. Comme le botaniste suédois Linné, il se pique de mettre en fiches la Nature. Travail utile. Mais il n'oublie pas l'homme et effectue une étude approfondie des « Variétés dans l'espèce humaine ». L'homme, qui se distingue de l'animal par sa capacité à réfléchir, lui est aussi supérieur par son désir de créer des sociétés et de les développer. Mais si l'homme est unique, ajoute Buffon, il varie en fonction de la couleur, de la taille et des mœurs. Certains représentants « paraissent avoir dégénéré de l'espèce humaine », notamment à cause des conditions climatiques, de la nourriture et des coutumes. Pour s'améliorer, l'homme doit donc être capable de se détacher de son milieu naturel.

C'est pourquoi, pour Buffon, on trouve au sommet les peuples d'Europe « policés ​», sociables, capables de développement, puis au bas de l'échelle les groupes américains « grossiers », « brutes », vivant nus en pleine nature, y compris sous les climats rigoureux (Fuégiens de la Terre de Feu). Pour asseoir sa réflexion, le savant se base sur une différence des cultures et non des corps : le degré de perfection des sociétés se mesure à l’éloignement par rapport à « l'état de nature » en prenant toujours comme repère idéal la société européenne.

L’aboutissement de ces travaux de classification, c’est d'abord en 1854 la publication par le comte de Gobineau de l'Essai sur l'inégalité des races humaines (tout est dit dans le titre) puis, en 1859, la publication de L’Origine des Espèces. Cette théorie de la sélection naturelle, exposée avec brio par Charles Darwin, est pleinement acceptée par l'opinion publique qui y voit le fondement de ses conceptions politiques et sociales, alors que triomphent le libéralisme et la foi dans le progrès, sur fond d'agnosticisme.

Die Zivilisierung Europas, Caricature d'un tirailleur sénégalais tirée du journal  Kladderadatsch, n° 30, paru le 23 juillet 1916 L’Europe est alors au sommet de sa puissance et ses élites ne doutent plus de la supériorité de « leur » civilisation. Le mot lui-même se décline désormais au pluriel et l’on regarde avec condescendance ou mépris les autres grandes civilisations universelles qui, au même moment, sont au plus mal, qu’il s’agisse des Indes, de la Chine ou des empires musulmans, pour ne rien dire de l’Afrique. Leurs différences et leur retard paraissent trop grands pour qu’elles puissent un jour rattraper l’Occident.

Revenus de leurs illusions après le cataclysme de la Grande Guerre, les Européens prêtent davantage d’attention aux travaux des pionniers en ethnologie et anthropologie qui mettent en évidence la richesse symbolique des sociétés dites primitives. Les préhistoriens montrent ainsi que le génie inventif de Cro-Magnon supporte la comparaison avec celui de l’Occidental.

La psychanalyse donne à penser, suprême humiliation, que les performances de nos sociétés seraient le fruit de nos frustrations. C’est en tout cas ce qu’affirme Sigmund Freund en 1929 dans Malaise dans la civilisation (en allemand : Das Unbehagen in der Kultur).

Un Européen de la Compagnie des Indes, Londres, Victoria and Albert Museum

Après la Seconde Guerre mondiale et ses horreurs, l’ethnologue Claude Lévi-Strauss en rajoute en réduisant les différences entre les sociétés humaines à des variations de structures élémentaires (préférences matrimoniales…).

Plus fort que tout, bien sûr, le formidable rattrapage de l’Occident par le Japon, la Chine, l’Inde et quelques pays musulmans renvoie aux oubliettes l’arrogance passée de la bourgeoisie européenne. Il remet en selle la vision d’un monde multipolaire, fragmenté entre plusieurs aires de civilisation. Fragmenté ou soudé ?

Une civilisation mondialisée ?

Héritier de l’historiographie européenne du XIXe siècle, Arnold Toynbee (1889-1975) est l'auteur d’une magistrale Étude de l’Histoire en 12 volumes. Il a consacré sa vie à disséquer les civilisations. Comment se définissent-elles ? Comment grandissent-elles et meurent-elles ?

- Société, culture, civilisation :

Villégiature d'hiver en Afrique centrale, L'Illustration, 1905 L’historien en a recensé une trentaine au cours des cinq millénaires qui se sont écoulés depuis l’apparition des premières cités-États, dont plusieurs qui ont avorté. Par exemple la civilisation nestorienne, issu d’un rameau oriental du christianisme : elle était sur le point de séduire l’Asie centrale quand elle a été détruite par l’irruption de l’islam.

Parmi les civilisations les plus durables, il y a la civilisation chinoise et ses satellites : les civilisations vietnamienne, coréenne et japonaise ; la civilisation occidentale et la civilisation orthodoxe, la civilisation russe, cousine de la précédente ; la civilisation pharaonique et la civilisation hellénique, qui a réuni la Grèce et Rome… C’est beaucoup moins que le nombre de cultures et de sociétés.

La distinction entre civilisation, culture et société ne va pas de soi. Le concept de « culture ​» est issu du mouvement romantique allemand ; il désigne tout ce qui fait l’essence d’une société humaine : langue, mœurs, habitudes, rites et souvenirs communs.

Au sein d’une civilisation peuvent cohabiter plusieurs variantes culturelles. Arnold Toynbee définit une « civilisation » comme « un champ intelligible d’études historiques ». Ainsi l’Angleterre a une culture propre, avec sa langue, ses rituels sportifs et sa gastronomie particulière, son humour so british, mais elle ne constitue pas pour autant une civilisation parce que son Histoire est incompréhensible si on ne la relie pas à celle de ses voisins européens.

Toynbee n’en admet pas moins des affinités et des passerelles plus ou moins intenses entre les civilisations elles-mêmes. Ainsi entre la civilisation occidentale, la civilisation orthodoxe et la civilisation islamique, toutes les trois issues de ce qu’il appelle le rameau syro-hellénique (pensée grecque et monothéismes orientaux).

On peut porter un jugement de valeur sur une société et considérer par exemple que la société fédérale allemande est plus estimable que la société hitlérienne. On le peut d’autant mieux qu’une société se définit par des choix politiques (au sens large) et que tout individu est en mesure de récuser ceux-ci, par la révolte ou la fuite.

Il n’en va pas de même d’une civilisation ou d’une culture, qui sont partie intégrante de chaque individu. Dès les premiers jours de l’existence, nous sommes imprégnés par la langue, les bruits, les odeurs, les couleurs et les rituels de notre culture. Nous ne pouvons nous en défaire mais nous pouvons l’enrichir de notre expérience.

La France peut faire bon accueil au couscous et accepter la préférence d'une fraction de ses habitants pour la nourriture halal ou kasher. Il est par contre impensable - sauf à se mutiler - qu'elle mette à l'index les fêtes et traditions issues de son héritage chrétien, les paroles de la Marseillaise, si rudes qu'elles nous paraissent, ou encore ses traditions de galanterie et de liberté amoureuse.

- Modernité ne vaut pas uniformité :

En ce XXIe siècle mondialisé, peut-on concevoir que se forge une civilisation planétaire ? L’idée est suggérée par certains penseurs qui s'appuient sur un constat évident : l'american way of life gagne toute la planète et il n'y a plus grand monde qui échappe au fast food, globish, jeans, web, etc., du moins dans les villes.  

Au-delà des apparences, l’analyse fine des échanges et des mentalités permet toutefois d’en douter.

Si l’on regarde sur un planisphère les pays qui mettent en avant les droits des femmes, les droits des homosexuels ou abolissent la peine de mort, ils coïncident à quelques exceptions près avec l’ancien monde européen (Europe, Amériques, Océanie), preuve que les idées politiques elles-mêmes ont une universalité toute relative. Si, plus fort encore, on se reporte à la répartition des naissances dans le monde, autrement dit au poids relatif des différentes sociétés en 2050, quand le monde sera modelé par les nouveaux-nés d'aujourd'hui, on voit que ces principes et ces droits auxquels les Occidentaux sont très attachés sont en reflux tandis que la polygamie, les mariages forcés d'adolescentes ou encore le voile explosent en nombre ! Le « rendez-vous des civilisations » qu'a cru entrevoir l'anthropologue Emmanuel Todd n'est pas pour tout de suite...

Avec l'accueil de nombreuses communautés allogènes, ces mêmes pays éprouvent la difficulté de faire cohabiter sur un même sol deux visions aussi rigoureusement opposées des relations hommes-femmes que la vision arabo-méditerranéenne et la vision occidentale, la première jugeant que les femmes doivent être protégées, la seconde considérant qu'elles doivent être respectées (note).

Depuis qu'il a rattrappé l'Occident en matière économique et scientifique, l’Extrême-Orient reprend son autonomie. Cela se voit en matière commerciale :  : la mer de Chine devient un foyer d’échanges privilégié entre Japon, Taïwan, Vietnam, Chine et Corées, à l’égal de la mer du Nord pour l’Europe, et ces deux extrémités de l'Eurasie tendent à se tourner le dos. Mais plus encore, ce monde se différencie de l'Occident en matière de moeurs politiques : fermeture à l'immigration, autoritarisme. En beaucoup d'endroits, le statut des femmes y demeure également très bas comme l'atteste le grand nombre d'avortements sélectifs (élimination des foetus féminins).

Le sous-continent indien a quant à lui toujours conservé et même renforcé son identité ancestrale. Le statut des femmes y est plus bas que dans la plupart des autres sociétés comme l'attestent les avortements sélectifs et les meurtres d'épouses (féminides). 

Enfin, le rêve d'un idiome universel, le globish, version appauvrie de l’anglo-américain, ne devrait pas survivre au déclin des États-Unis (une perspective encore lointaine) ni surtout au développement des outils de traduction automatique instantanée (écrits et oraux).

Conclusion très provisoire

Les différentes civilisations de ce IIIe millénaire n'ont sans doute pas dit leur dernier mot. 

La civilisation chinoise et ses satellites (Japon, Corée...) montrent une étonnante capacité à se maintenir envers et contre tout (invasions, guerres civiles, cataclysmes et infécondité...), sans doute grâce à des anticorps que l'on appelle de ce côté-ci de la planète ethnocentrisme

C'est ce que donne à croire l'historien Serge Gruzinski (L'Aigle et le Dragon, Fayard, 2012) dans un entretien au Nouvel Observateur (9 février 2012) : « (...) les Chinois n'éprouvaient aucun intérêt ni attirance pour l'étranger, qu'il soit européen ou mongol (...). Par l'intermédiaire de leur bureaucratie tentaculaire et xénophobe, les Chinois se sont constitués de formidables défenses immunitaires contre les Portugais. En revanche, l'empereur aztèque Moctezuma est tombé dans le piège de sa curiosité envers l'autre castillan, le conquistador, arrivé par bateau de nulle part. Moctezuma a accordé une place à l'étranger et cela lui fut fatal ».

Largement ouverte aux influences étrangères (invasions islamo-mongoles, colonisation britannique), la civilisation indienne a quant à elle su les digérer sans rien perdre de son identité plurimillénaire.

Paul Valéry (1871-1945)La civilisation occidentale, moins ancienne que les précédentes puisqu'elle n'a que dix à quinze siècles d'existence, aura-t-elle la même capacité de résistance que l'Extrême-Orient, tirera-t-elle de nouveaux profits de son ouverture au monde comme les Indes, ou sera-t-elle victime de sa curiosité comme le Mexique des Aztèques face à l'arrivée des Conquistadors ?

Nul ne peut le dire mais l'on peut conclure sans trop de risque sur une antienne : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées (...). Tout ne s'est pas perdu mais tout s'est senti périr. Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l'Europe (...) ». Publié en avril 1919 dans La Crise de l'esprit, ce texte a été inspiré à Paul Valéry par la catastrophe de la Grande Guerre.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-18 14:24:52
Gauthier (30-03-2012 01:36:06)

Le 30 mars 2012 Article fort intéressant – un bon résumé du problème posé par les propos récents de M. Guéant. « Mais en Europe même, l’esclavage a été condamné par le pape dès ... Lire la suite

Claude (10-03-2012 14:28:12)

J'aimerais avoir les légendes des illustrations. Merci.

Loqman (15-02-2012 23:14:48)

Texte très bien rédigé, synthétisant parfaitement l'évolution des moeurs de notre société. Toutefois, il me semble intéressant d'approfondir l'idée de "prendre de la distance pour mieux ... Lire la suite

robert (15-02-2012 13:04:34)

J'ai beaucoup aimé cet article, mais si l'on reprend l'exemple allemand, il subsiste tout de même une ambiguité, à mon sens, entre "société" et "civilisation", car l'ambition... Lire la suite

THOMAS Michel (14-02-2012 18:55:19)

Présenter le colonialisme seulement comme une oeuvre de civilisation, c'est oublier la justification qu'en donnait notamment Jules Ferry quand il déclarait, devant les députés, le 8 juillet 1885: ... Lire la suite

elisa (14-02-2012 17:01:36)

Texte très intéresant qui permet de remonter à la genèse. Beaucoup de personnes devraient y avoir accès. Il m'a permis de découvrir le mot "géhennes".


Simon (14-02-2012 09:07:41)

Dans le petit Larousse: Civilisation = ensemble des caractères communs à des sociétés évoluées. Liberté, égalité, fraternité sont-ils des caractères communs de toutes les sociétés en 20... Lire la suite

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