1485 à 1801

L'Irlande, première colonie anglaise

Le roi d'Angleterre Henri II a obtenu du pape, en 1155, la suzeraineté sur l'Irlande. Mais cette suzeraineté va longtemps demeurer plus ou moins formelle, l'Irlande conservant ses traditions, ses coutumes et sa langue (le gaélique).

Vitalité irlandaise

Jusqu'à la fin du Moyen Âge, les Anglais s'en tiennent à l'occupation de la région littorale, autour de Dublin, le Pale. Quelques barons en profitent pour s'approprier les meilleures terres mais eux-mêmes, pour la plupart, ne tardent pas à s'assimiler à leur conquête et à devenir plus irlandais que quiconque !

Cette tendance ne manque d'ailleurs pas d'inquiéter les rois d'Angleterre qui craignent que ne s'érode la fidélité de leurs vassaux. Par les « statuts de Kilkenny », en 1366, le roi Édouard III tente d'interdire aux Anglais de l'île d'épouser des Irlandaises, de parler le gaélique, d'entretenir des bardes ou des musiciens irlandais etc.

C'est un apartheid avant l'heure qui montre combien fut précoce l'hostilité des Anglais à l'égard des Irlandais et intense leur crainte d'être subvertis par la culture indigène. Soulignons que la question religieuse n'y a aucune part puisqu'au Moyen Âge, les uns et les autres sont de fervents catholiques.

Colonisation et spoliations

Tout bascule sous la dynastie des Tudors, au pouvoir à partir de 1485... C'est qu'à partir de ce moment-là, l'Angleterre est en rivalité quasi-permanente avec la France et d'autres puissances du Continent. Elle désire assurer ses arrières et prévenir tout risque d'invasion par l'Irlande. Cette préoccupation va devenir, jusqu'à la Première Guerre mondiale, le fondement de sa politique vis à vis de l'Irlande.

En 1494, sous le règne d'Henri VII, Poynings, vice-roi d'Irlande, aligne la législation irlandaise sur celle de Londres : toute loi votée par le Parlement de Dublin devra désormais être ratifiée par celui de Westminster et porter le sceau du roi d'Angleterre. C'est, de fait, la fin de l'autonomie irlandaise. En 1541, le roi Henri VIII substitue à son titre modeste de seigneur d'Irlande (« dominus Hiberniae ») celui de roi d'Irlande.

Mary 1ère Tudor, reine d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande (1516-1558), par Anthonis Mor van Dashorst (musée du Prado, Madrid) Sous le règne de Marie Tudor, fille d'Henri VIII, se met en place la « politique des Plantations ». Il s'agit de confisquer les terres des Irlandais et de les remettre à des colons venus de Grande-Bretagne.

Poursuivie et intensifiée au siècle suivant, cette politique dépossède les Irlandais de la quasi-totalité de leurs terres et les transforme en tenanciers, autrement dit en fermiers révocables à merci, au service de grands propriétaires absentéistes, le plus souvent établis en Angleterre !

Elle conduit aussi à l'installation de fortes minorités de colons en provenance d'Angleterre et d'Écosse. C'est le début de tensions encore brûlantes dans le nord de l'Ulster.

Soulignons encore que la religion n'a rien à voir avec cette politique, laquelle est inaugurée par une reine catholique, prompte, en Angleterre, à persécuter les protestants... Mais il va sans dire que les Irlandais, humiliés au plus profond d'eux-mêmes, vont être moins que jamais disposés à suivre les souverains d'Angleterre dans leur rupture avec Rome.

Ils vont dès lors puiser dans l'attachement à l'Église catholique et à la papauté la force spirituelle qui leur permettra de résister pendant quatre siècles à la colonisation et aux mauvais traitements.

Révoltes et défaites

Les Irlandais et les nobles anglo-irlandais en partie celtisés ne restent pas sans réagir. Ils se soulèvent à partir de 1559, sous le règne d'Elizabeth 1ère, pour la « défense de l'Irlande et de la Foi ».

La reine, en butte à la menace espagnole, craint que l'Irlande catholique ne serve de tête de pont aux armées du roi Philippe II d'Espagne. Après avoir défait en 1588 l'Invincible Armada, elle décide d'en finir avec les rebelles irlandais, notamment les comtes Hugh O'Donnel et Hugh O'Neil qui, en Ulster, ont levé l'étendard de la révolte.

Le comte d'Essex, jeune favori de la reine, préfère négocier plutôt que combattre. Cela lui vaut l'échafaud. Là-dessus, les forces royales sont prises en main par un soldat énergique, Mountjoy, qui ravage avec méthode le pays et organise la famine. Les insurgés doivent déposer les armes. La répression aboutit en 1607 à la « Fuite des Comtes », autrement dit à l'exil des chefs nobles les plus capables de combattre l'occupant.

Dès lors, la « politique des Plantations » s'intensifie avec l'arrivée au nord de l'île, en Ulster, de petits paysans écossais de confession presbytérienne (une confession proche du calvinisme). Ces paysans animés par une foi fervente vont en remontrer à leurs voisins et rivaux catholiques.

La colonisation est financée pour partie par des guildes de Londres. L'une de ces associations de marchands, ayant investi à Derry, a le culot de rebaptiser la ville Londonderry, appellation que rejettent aujourd'hui les Irlandais.

Livré à lui-même, le peuple irlandais se révolte en 1641. Plus de 10 000 colons écossais ou anglais sont massacrés. Pendant ce temps, l'Angleterre, au terme d'une dramatique guerre civile, tombe sous la dictature républicaine d'Oliver Cromwell.

Le massacre de Drogheda (An Illustrated History of Ireland from AD 400 to 1800, par Mary Frances Cusack, gravures de Henry Doyle, 1868) Celui-ci prend la tête d'un corps expéditionnaire, débarque en Irlande et réprime sans état d'âme la jacquerie.

Le point d'orgue est le massacre de la garnison de Drogheda, au nord de Dublin, le 10 septembre 1649. Le pieux Cromwell se justifie en y voyant le jugement de Dieu et en ajoutant que « cette amertume épargnera d'autres effusions de sang ».

Le dictateur publie un nouveau règlement territorial qui octroie les bonnes terres aux Anglais et confine les anciens propriétaires dans les landes du Connaught. On leur offre le choix. C'est : « En enfer ou en Connaught ! »

La dernière rébellion armée survient à la chute de Jacques II Stuart, dernier roi catholique d'Angleterre. Réfugié en France auprès du roi Louis XIV, le roi déchu convainc ce dernier de l'aider à reprendre son trône.

Comme Jacques Stuart est assuré de la fidélité du vice-roi d'Irlande, le comte de Tyrconnell (un Anglais catholique), c'est par là qu'il décide d'entamer la reconquête de son trône. Il réoccupe presque toute l'île mais se heurte à la résistance énergique des protestants de l'Ulster et notamment de Londonderry.

Finalement, l'armée des Irlandais et des « Jacobites » est écrasée sur les rives de La Boyne, non loin de Drogheda, le 12 juillet 1690. Tandis que le prétendant Stuart s'en retourne finir ses jours en France, le reste de l'armée irlandaise est battue à Aughrim en juillet 1691.

Alexander ou Alejandro O'Reilly (Dublin, 1722 ; Cadix, 23 mars 1794), portrait par Francisco GoyaLa dernière résistance militaire des Irlandais prend fin avec la reddition de Limerick et le traité signé le 3 octobre 1691 dans la même ville, qui promet la liberté religieuse aux Irlandais et des garanties concernant leurs terres.

Beaucoup de jeunes Irlandais quittent alors leur île pour se mettre au service des souverains catholiques de France, Espagne ou Autriche et poursuivre à distance le combat contre les Anglais.

Ces « oies sauvages » vont s'illustrer dans toutes les guerres du XVIIIe siècle, à l'image d'Alejandro O'Reilly, entré au service de l'Autriche puis de l'Espagne, devenu gouverneur de la Louisiane espagnole, comte et maréchal.

L'entrée dans les ténèbres

Las, le roi Guillaume III et la reine Anne qui lui succède en 1702 bafouent sans attendre le traité de Limerick, preuve s'il en est du mépris quasiment « raciste » dans lequel les Anglais et eux-mêmes tiennent les Irlandais catholiques. Tout simplement, le gouvernement anglais prend le parti d'ignorer les Irlandais catholiques (80% de la population de l'île), n'acceptant d'autre interlocuteur que les protestants de souche britannique.

Deux mois après le traité de Limerick, celui-ci est une première fois violé par une loi qui ne permet l'accès au Parlement de Dublin qu'aux seuls protestants.

Ensuite viennent les « lois pénales » qui parachèvent la mise au ban des catholiques : interdiction de porter l'épée ou d'avoir un cheval, d'envoyer les enfants s'instruire à l'étranger, d'entrer dans l'armée ou la marine etc. Les prêtres qui refusent de jurer fidélité au roi protestant sont bannis ou pendus. Qui plus est, les exportations vers l'Angleterre sont soumises à des taxes exorbitantes...

Écrasés et réduits à la misère, les catholiques sont hors d'état de se révolter... Et c'est des protestants que montent, dans un premier temps, les revendications politiques car ils sont eux-mêmes affectés par le mauvais sort qui est fait à leur île (freins au développement...). C'est une situation que l'on retrouvera en Amérique où les colons se soulèveront contre la métropole cependant que les indigènes (Indiens) et les esclaves noirs s'en tiendront à la résignation.

Jonathan Swift (1667 - 1745) Parmi ces révoltés inattendus figure l'écrivain Jonathan Swift, auteur célébrissime des Voyages de Gulliver.

En 1720, dans un Appel pour la consommation exclusive de produits irlandais, cet anglican de Dublin lance la formule : « Brûlez tout ce qui vient d'Angleterre, hors le charbon » (c'est déjà une forme de boycott... mais on en reparlera).

En 1775, un jeune élu au Parlement de Dublin, Henry Grattan, demande l'abrogation des « lois pénales » et même de la loi Poynings de 1494. Il va être favorisé par le soulèvement au même moment des colons des Treize Colonies d'Amérique du Nord et l'entrée en guerre de la France, l'ennemie héréditaire, à leurs côtés.

Londres, qui manque de troupes, accepte la formation d'une armée irlandaise de 80.000 hommes, les « Irish Volunteers » (en grande majorité protestants) et Henry Grattan se prévaudra de la loyauté de ces troupes pour faire enfin abroger la loi Poynings en 1782 et accorder l'autonomie législative à l'Irlande l'annéesuivante.

Arrive la Révolution française. Les libéraux irlandais, sensibles à ses idéaux d'égalité, se font les champions de l'égalité des droits entre catholiques et protestants.

Theobald Wolfe Tone Le jeune avocat Theobald Wolfe Tone, fils d'un protestant et d'une catholique, fonde à Belfast en octobre 1791 la société des « Irlandais Unis », révolutionnaire et pluriconfessionnelle.

Il obtient des améliorations juridiques pour les catholiques. Ainsi, en 1793, le Premier ministre William Pitt accorde aux catholiques le droit de vote... Mais dès 1794, les dérapages de la Révolution française (Terreur, guerres) entraînent en Irlande la défaveur des libéraux et un raidissement des extrémistes protestants.

Les « pogroms » contre les catholiques se multiplient. Une rixe meurtrière en Ulster débouche en 1795 sur la fondation de l'Ordre d'Orange, une franc-maçonnerie protestante ainsi nommée en souvenir de Guillaume III, le vainqueur de La Boyne.

La « Grande Rébellion »

Wolfe Tone, exilé en France, pousse le Directoire à intervenir. Le général Hoche tente un débarquement le 23 décembre 1796 avec 15.000 hommes et 42 vaisseaux. Mais il échoue, victime de la tempête... et de la mauvaise volonté des officiers de marine.

Là-dessus, le 23 mai 1798, les « Irlandais Unis » déclenchent une insurrection générale. Ils s'emparent quelques jours plus tard de Wexford. L'île s'embrase. Au sens propre. On ne compte pas les incendies et les massacres des deux côtés. Mais dès le 21 juin 1798, les Anglais reprennent le dessus et contraignent à la reddition les rebelles, pour la plupart de misérables paysans sans armes ni discipline. La répression par l'Ordre d'Orange sera impitoyable, terrible.

Le Directoire croit bon d'en profiter pour tenter un deuxième débarquement le 22 août 1798. Mais, sur place, il n'y a plus guère de rebelles pour soutenir le contingent français et celui-ci doit se rendre aux Anglais. Wolfe Tone, qui avait aussi tenté de débarquer, est capturé et condamné à la pendaison comme un vulgaire criminel. Il se tranche la gorge en prison.

Pour le Premier ministre anglais, William Pitt le Jeune, il est temps d'en finir avec le statut d'autonomie de l'île qui menace la sécurité du royaume. Il surmonte l'opposition de l'élite protestante irlandaise (l'Ascendancy), notamment d'Henry Grattan, et, à coup de pots-de-vin, convainc le Parlement de Dublin de s'autodissoudre le 7 juin 1800.

L'Acte d'Union proclame l'avènement à compter du 1er janvier 1801 du « Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande », qui est encore aujourd'hui l'appellation officielle du pays. Désormais, le gouvernement de Londres va devoir gérer en direct sa colonie, avec ses contradictions et son lot de menaces.

C'est l'ouverture de la «  Question d'Irlande  »...

André Larané

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Publié ou mis à jour le : 2020-03-30 10:31:58

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