Georges Mandel (1885 - 1944)

À l'ombre du «Tigre»

Georges Mandel, dont le nom a été donné à l’une des plus belles avenues du 16e arrondissement de Paris, est devenu comme Pierre Mendès France une légende politique bien qu’aucun des deux n’ait siégé longtemps au gouvernement. Son parcours interrompu par la Milice en 1944 donne un bon aperçu des réalités de la politique française nationale et locale sous la IIIe République, avec ses prolongements sous la IVe République et la Ve.

Bébé-Tigre

Georges Mandel (Chatou, 5 juin 1885 - Fontainebleau, 7 juillet 1944)Né Louis Georges Rothschild en 1885 et élevé à Paris dans une famille d’Alsaciens ayant opté pour la France après l’annexion allemande de 1871, il est saisi dès l’adolescence par la passion de la politique et comprend que son nom ne lui laissera aucune chance dans l’ambiance antisémite de l’affaire Dreyfus.

Bien qu’il ait obtenu le bac à dix-sept ans et que ses capacités intellectuelles ne fassent aucun doute, il n’entame aucune étude universitaire et se lance immédiatement dans le journalisme, à l’époque une des meilleures voies d’accès à la politique comme le deviendra l’ENA après sa mort.

Ayant choisi un pseudonyme tiré de son deuxième prénom Georges suivi du nom de jeune fille de sa mère Mandel, il entre à L’Aurore, journal de Georges Clemenceau, auprès duquel il sait se rendre indispensable. Il devient peu à peu son principal collaborateur en journalisme puis en politique.

Bien que doté d’une intelligence acérée et d’une grande culture, son absence de diplôme dans cette période de « la République des professeurs » reste un complexe qui lui fait commettre un jour une grosse bévue : il prétend devant ses électeurs girondins être ancien élève de l’École Normale Supérieure comme Herriot et Painlevé, mais la supercherie est vite découverte et lui vaut le sobriquet d’ « anormalien », qui fait autant référence à son physique ingrat qu’à cette usurpation de titre universitaire.

Il apprend auprès de Clemenceau l’art de l’ironie froide et de la critique mordante qui lui vaudront plus tard la haine farouche des victimes de ses saillies verbales, et suit son mentor de ses journaux vers ses rares postes ministériels, puisque la carrière gouvernementale de ce dernier ne commence qu’en 1906 à l’âge de 65 ans, avec un premier poste au ministère de l’Intérieur où sa fermeté est remarquée, puis à la présidence du Conseil (l'équivalent de Premier ministre). Mandel est « attaché de cabinet », ce qui équivaut à un actuel conseiller technique au cabinet du ministre.

Lorsque Clemenceau est rappelé à Matignon en 1917, il devient son « chef de cabinet », autrement dit son principal collaborateur (note).

Clemenceau, âgé de 76 ans, se consacre pour l’essentiel à la poursuite de la guerre avec ses prolongements diplomatiques, tandis que son jeune chef de cabinet s’occupe de tout le reste. Il en retire à l’âge de seulement 32 ans une grande notoriété accompagnée de bien des jalousies dans le monde politique, du fait de son fort caractère épinglé par la phrase : « il n'a pas d'idées mais il est prêt à les défendre jusqu'à la mort ».

La guerre finie et le traité de Versailles signé, il est temps pour lui de voler de ses propres ailes. Il quitte son mentor, qui abandonne la vie politique après avoir échoué à l’élection du Président de la République : une coalition de mécontents lui a préféré le médiocre Paul Deschanel qui devra démissionner peu après pour raison psychiatrique.

Ambitieux, Mandel, après avoir épuisé les joies de la vie en cabinet ministériel, se donne pour objectif de se lancer en politique sous son propre nom. Mais il doit d'abord trouver une circonscription accueillante. Il l’avait déjà tenté sans succès en 1910 à Levallois, puis, en 1914, à Castellane, dans les Basses-Alpes, après que Clemenceau ait découragé une candidature dans le Var, son département attitré, où Mandel assurait la direction de son journal local.

De l'ombre à la lumière

Passer du rôle de collaborateur ministériel à celui de député puis le cas échéant de ministre est un cursus honorum classique sous toutes les Républiques, mais le faire en bonne intelligence avec son ministre n’est pas donné à tous : Jacques Chirac y parvient sans difficulté sous la Ve République en étant élu député de Corrèze en 1967 au sortir du cabinet du Premier ministre Georges Pompidou, qui salue la performance en le nommant aussitôt secrétaire d’État à l’Emploi.

En revanche, Valéry Giscard d’Estaing, directeur adjoint du cabinet du président du Conseil Edgar Faure sous la IVe République, n’obtient pas le soutien de ce dernier aux élections législatives de 1956 : il n'en est pas moins élu député du Puy-de-Dôme, mais ses relations avec son mentor sont durablement rafraîchies.

Parachutage en douceur

Au sortir de la Grande Guerre et avec le prestige tiré de sa réputation de principal collaborateur du « Père la Victoire », Mandel n’a que l’embarras du choix pour se faire élire. Il jette son dévolu sur la Gironde, département de droite où il se présente avec une étiquette de modéré destinée à faire oublier le radicalisme de gauche de Clemenceau, et devient sans difficulté député dans la Chambre « bleu horizon » marquée à droite.

Sa carrière parlementaire se déroule chez les indépendants, parmi lesquels il est plutôt classé à droite même si cette étiquette n’a guère de sens : à la manière de Clemenceau, qui fut la référence politique préférée aussi bien du général de Gaulle que de François Mitterrand, Georges Mandel est avant tout un caractère, un indépendant qui ne se laisse inféoder à aucun parti et campe toujours sur la ligne de crête des vérités dérangeantes, position inconfortable qui le rapproche d’un Mendès France classé à gauche.

Sa carrière politique locale prend un essor fulgurant : en l’espace de deux ans, il devient député de l’arrondissement de Lesparre Médoc, conseiller général du canton de Soulac et bientôt Président du Conseil général de la Gironde, conseiller municipal et maire de Soulac.

Ce juif doté d’une certaine aisance financière personnelle, qui s’est construit par la guerre sans aller au front, en impose aux notables girondins, qui pourtant le détestent et n’auront de cesse de s’en débarrasser.

Son étoile politique locale connaît bien des éclipses, il perd son siège de député en 1924 face au Cartel des Gauches puis le retrouve à partir de 1928, mais perd sans retour la présidence du Conseil général et même son siège de conseiller général, ne conservant à une époque que le mandat local de maire de Soulac, au grand dam du reste du conseil municipal qui s’était habitué à son éloignement bordelais ou parisien et devait désormais le supporter presque à temps plein : selon le mot de l'historien André Siegfried, « Mandel gérait Soulac comme Auguste eût géré l’Empire romain », et l’on conçoit la lassitude de ses collaborateurs locaux bousculés dans leurs habitudes par son énergie débordante.

Fort heureusement pour eux, Mandel poursuit aussi sa carrière nationale : il finit par décrocher en 1934 un premier poste de ministre des PTT dans un gouvernement Flandin, et y fait preuve d’autant de fermeté que Clemenceau lors de son passage en 1906 à l’Intérieur. Ainsi lui arrive-t-il de débarquer incognito dans un bureau de poste et de surprendre le chef de service en flagrant délit d'incompétence. 

Après la chute du Front Populaire, il obtient le poste de ministre des colonies en 1938 dans un gouvernement Daladier, alors que les bruits de guerre approchent. Il s’oppose aux accords de Munich signés par Daladier avec Hitler et acquiert peu à peu une image d’homme fort de la droite parlementaire, après qu’André Tardieu ait abandonné la politique.

André Tardieu, président du Conseil de droite surnommé « le mirobolant », avait diagnostiqué la faiblesse congénitale du régime parlementaire de la IIIe République dans les années 1930, marquées par la crise économique et la montée du fascisme chez nos voisins. Il avait suggéré sans succès d’y remédier par un projet de réforme constitutionnelle, premier avatar du régime présidentiel que le général de Gaulle portera sur les fonts baptismaux en 1958.

En mai 1940, la drôle de guerre faite place à l’invasion soudaine du territoire français par les Allemands. L’heure n’est plus aux tergiversations. Le nouveau président du Conseil Paul Reynaud, membre lucide de la droite parlementaire et partisan de la résistance à l’envahisseur, offre à Mandel le ministère de l’Intérieur, en même temps qu’il appelle au secrétariat d’État à la guerre un général de brigade à titre temporaire qui défendait depuis plusieurs années une stratégie de guerre mécanisée par l’emploi massif des chars qui fera le miel de l’état-major allemand, un certain Charles de Gaulle.

Ces deux-là n’ont aucun mal à s’entendre et à incarner au sein du gouvernement le camp de la guerre à outrance, au besoin par le repli des autorités vers l’Afrique du Nord, face à la faction défaitiste incarnée par le nouveau chef des armées Weygand et par un nouveau venu à la table du Conseil des ministres, le maréchal Pétain. À de Gaulle qui voulait démissionner le 13 juin 1940, Mandel objecte : « Ne pensez qu’à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses… ». De Gaulle lui rendra hommage dans ses Mémoires car sans ce conseil, il n’aurait pas pu disposer des facilités de transport que sa fonction mettait à sa disposition pour se rendre à Londres...

La suite est trop connue pour qu’on s’y attarde. Le camp de l’armistice l’emporte. De Gaulle, qui n'est pas parlementaire, s’envole vers Londres saisir la main tendue par l’allié anglais, tandis que le parlementaire Mandel reste en France pour tenter de contrecarrer la prise du pouvoir par Pétain après le renoncement de Reynaud.

Mal lui en prend : Pétain le fait arrêter, puis le laisse embarquer à bord du paquebot Massilia qui emporte une trentaine de députés désireux de continuer la lutte (parmi lesquels Mendès France) en Afrique du Nord, où ils sont arrêtés par les autorités vichystes et renvoyés en France sous l’inculpation de désertion.

Mandel est emprisonné à Riom comme Léon Blum, condamné à la prison à vie, puis enfermé dans le fort pyrénéen du Portalet avec Reynaud, enfin livré aux Allemands et déporté à Buchenwald avec Blum. Il a moins de chance que ce dernier, car il est rapatrié en France à la prison de la Santé pour être finalement livré à la Milice.

Il est sordidement assassiné d’une rafale de mitraillette dans la forêt de Fontainebleau le 7 juillet 1944, moins de deux mois avant la Libération, en représailles à l’assassinat du ministre de la Propagande Philippe Henriot par la Résistance. Des stèles rappellent cette triste fin en forêt de Fontainebleau, au cimetière de Passy et à Soulac.

Mandel, comme son continuateur Mendès France, comme Clemenceau et ses admirateurs de Gaulle et Mitterrand, incarne l’image de la fermeté lucide voire de l’intransigeance en politique. C’est un état d’esprit qui n’est ni de gauche ni de droite et peut se retrouver dans tous les partis : Mandel était classé à droite comme le sera sous la Ve République le général de Gaulle qui avait commencé sa carrière politique à la tête du gouvernement provisoire œcuménique de la Libération, dans lequel siégeait Mendès France que l’on classe à gauche de même que Clemenceau et Mitterrand.

Michel Psellos

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La IIIe République
Publié ou mis à jour le : 2019-11-30 22:42:34

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