28 octobre 1940

Le Grec Metaxás répond « Ochi » à Mussolini

Ioannis Metaxas (1871-1941)Le 28 octobre 1940, l'ambassadeur d'Italie à Athènes remet au Premier ministre Ioannis Metaxàs un ultimatum du dictateur Mussolini par lequel celui-ci le somme de laisser ses troupes entrer dans le pays.

Selon le compte-rendu des journaux du lendemain, le Premier ministre lui répond Ochí (« non »). Dans les faits, il lui aurait plus simplement fait observer en français, la langue de la diplomatie :  « Alors, c'est la guerre ! »

En s'en prenant à la Grèce, le Duce manifeste sa réprobation vis-à-vis de Hitler. Depuis que son ami et allié a rencontré à Hendaye, le 23 octobre précédent, le Caudillo espagnol Franco, il le soupçonne de vouloir étendre la mainmise de l'Allemagne sur la Méditerranée, chasse gardée italienne.

Bien que proche de Mussolini par ses convictions et sympathisant de l'Allemagne hitlérienne, le dictateur et général Metaxás (69 ans) rejette fermement son ultimatum. Le petit royaume grec est aussitôt envahi par les troupes italiennes qui occupent déjà l'Albanie voisine.

Alban Dignat
Le jour du Ochi

Le 28 octobre est aujourd'hui fête nationale en Grèce car il rappelle l'héroïque résistance du peuple à l'invasion italo-allemande. La négation « Ochi » est devenue l'expression de la dignité du peuple grec face à l'oppression étrangère, Naí (« Oui ») étant au contraire symbole de soumission.
Ce n'est pas par hasard mais en référence à la résistance héroïque des Grecs au fascisme et au nazisme que le Premier ministre Alexis Tsipras a demandé à ses concitoyens de voter Ochi au référendum du 5 juillet 2015.

Du rétablissement de la monarchie à la dictature

Comme la plupart des pays européens, la Grèce est durement affectée par la crise économique née du krach de Wall Street (octobre 1929). Ses importations de blé enchérissent cependant que s'effondrent ses exportations d'huile, tabac, raisins secs... Le chômage explose tandis que se multiplient les grèves et les manifestations.

L'inusable Elefthérios Vénizélos, de retour à la tête du gouvernement républicain, tente de faire face en suspendant la convertibilité de la drachme et en augmentant les impôts. Il prend aussi des mesures pour réprimer les mouvements sociaux et limiter la liberté de la presse.

Mais par ailleurs, le vieux leader nationaliste se voit obligé de composer avec ses alliés et ses voisins. Il s'abstient de soutenir les Chypriotes hellénophones qui se révoltent contre leur protecteur anglais tout comme les Grecs des îles du Dodécanèse, sous tutelle italienne.

Georges II, roi des Hellènes et prince de Danemark (19 juillet 1890, Tatoï ; 1er avril 1947, Athènes)Les élections législatives du 25 septembre 1933 mettent à mal la coalition rassemblée autour de Vénizélos. Celles du 5 mars 1933 lui valent une défaite cuisante et amènent une majorité monarchiste à la Vouli, l'Assemblée législative.

Vénizélos, victime d'une tentative d'attentat, doit se réfugier en France, de même que le général Plastiras, à l'origine d'une tentative de coup d'État républicain.

Le 10 octobre 1935, par un coup de force plus chanceux, le général Geórgios Kondýlis somme la Vouli d'abolir la République. Après un référendum truqué, le roi Georges II remonte sur le trône le 25 novembre 1935, douze ans après en avoir été chassé.

Le souverain va dès lors se comporter en pyromane. Pour contrer la progression du parti communiste, le KKE, il appelle le chef d'état-major Ioánnis Metaxás au ministère de la Guerre puis le nomme Premier ministre le 13 avril 1936.

Le 4 août 1936, confronté à une grève massive à Thessalonique, annonce derechef la suspension des libertés et la fin de la démocratie parlementaire. Environ 5000 Grecs sont emprisonnés et parfois soumis à la torture ou exécutés.

À ce moment-là, il ne reste plus de régime démocratique dans les Balkans et la plus grande partie de l'Europe a déjà cédé aux sirènes du fascisme mussolinien.

À l'imitation du Duce et du Führer, le dictateur se fait attribuer le titre d'Archigos (« guide » en grec).

Ioannis Metaxas, premier ministre, 1938

La Grèce entraînée malgré elle dans la guerre

Soucieux de la sécurité des frontières, Metaxás porte de dix-huit mois à deux ans la durée du service militaire. Il se méfie avant tout des ambitions de la Bulgarie, alliée de l'Allemagne, et en prévention d'une attaque de celle-ci, fait ériger une série de fortifications sur la frontière helléno-bulgare, la « ligne Metaxás ».

Mais après l'occupation de l'Albanie par Mussolini, il prend conscience de la menace italienne et fait garantir l'indépendance de la Grèce par l'Angleterre.

Au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale, il garde une attitude relativement neutre, en tentant de concilier ses sympathies pour Hitler et Mussolini et ses craintes d'être agressé par ces mêmes « amis ». Mais une première alerte a lieu le 15 août 1940, fête de la Dormition de la Vierge en Grèce, avec le torpillage devant l'île de Tinos d'un croiseur grec par un sous-marin italien venu du Dodécanèse.

Mussolini, qui brûle d'annexer la Grèce, en parle à Hitler lors d'une rencontre au Brenner le 4 octobre 1940. Mais le Führer l'en dissuade formellement. Le Duce ravale son amertume.

Trois semaines plus tard, les Allemands ayant occupé la Roumanie et négocié avec Franco l'éventualité d'une traversée de l'Espagne jusqu'à Gibraltar, Mussolini craint que Hitler ne le dépossède de ses ambitions méditerranéennes. Il décide d'agir sans en demander la permission à son puissant allié...

Le 28 octobre 1940, rencontrant Hitler à Florence, il l'accueille avec ces mots : « Führer, nous sommes en marche ! » Le matin même, à 3 heures, Metaxás a été tiré de son lit en effet par son ultimatum. Les troupes italiennes n'ont d'ailleurs pas attendu l'expiration de celui-ci à 6 heures pour entrer en Grèce.

Le « Non » de Metaxás entraîne immédiatement une mobilisation de tout le pays. Même les communistes font fi de leur ressentiment à l'égard du dictateur, lequel est quelque peu dépassé par cette vague d'approbation et tente même de faire un distingo entre le combat contre l'envahisseur italien et sa proximité de coeur avec les régimes fasciste et nazi.

Une mobilisation sans précédent

À la surprise générale, les Grecs résistent avec une âpreté étonnante à l'invasion. Malgré une écrasante infériorité numérique, avec, dans les premiers jours, une division seulement à opposer aux 27 divisions de l'envahisseur, ils  parviennent à repousser les Italiens et même pénétrer de plusieurs dizaines de kilomètres en Albanie !

À Menton, sur la frontière franco-italienne, où sévit l'occupation italienne, des résistants pleins d'esprit plantent un panneau avec l'avertissement suivant : « Soldats grecs, halte ! Ici, territoire français ! »

Metaxás, par ailleurs, autorise les Britanniques à débarquer en Crète afin d'assurer la défense de l'île, point stratégique au milieu de la Méditerranée orientale. 

Mussolini, de dépit, appelle à la rescousse Hitler. Celui-ci, furieux, projette un plan d'intervention contre la Grèce dès le 13 décembre 1940 et, le 20 janvier 1941, décide d'envoyer en Libye un corps expéditionnaire allemand, l'Afrikorps, sous le commandement de Rommel, en vue, là aussi, de sauver son allié. 

Il consent à retarder de deux mois le déclenchement de l'opération Barbarossa contre l'URSS pour liquider la résistance grecque. Fatale décision : trop tard entrée en URSS, la Wehrmacht sera prise au piège de l'Hiver russe... Les Grecs célèbrent encore aujourd'hui tous les ans le « jour du ochi » qui a contribué à la défaite du nazisme !

L'invasion

La Wehrmacht envahit le pays le 6 avril 1941, sur la frontière macédonienne. Le passage lui est facilité par son allié bulgare, qui rêve de s'offrir un accès à la mer Égée en annexant Thessalonique. Metaxás, mort le 29 janvier 1941, n'aura pas eu à connaître cette agression...

Les Grecs ne sont pas de taille à résister à l'offensive allemande mais leur détermination ne faiblit pas pour autant. À Athènes, sur l'Acropole, deux étudiants ont le culot d'enlever le drapeau hitlérien quelques jours à peine après l'entrée des Allemands dans la capitale. Deux mouvements de résistance au nazisme, bientôt antagonistes, se mettent en place : l'EAM-EAS communiste et l'EDES monarchiste.

Après une longue résistance qui se poursuit jusqu'en Crète, tout le pays est finalement occupé et dépecé. La Macédoine orientale et la Thrace sont offertes à la Bulgarie, alliée de l'Allemagne. L'Italie annexe les îles Ioniennes. La famine ravage le pays, causant pas moins de 300.000 victimes. Comble de l'horreur, de nombreux juifs sont déportés et l'importante communauté israélite de Salonique exterminée.

Quand arrive l'heure de la Libération, en 1944, d'autres épreuves attendent les Grecs, non moins atroces, avec une guerre civile entre les deux mouvements de résistance. Elle ne va prendre fin qu'en octobre 1949, faute de combattants.

Bibliographie

Nous ne saurions trop recommander à tous les amateurs d'Histoire le très remarquable ouvrage en trois tomes d'Olivier Delorme : Histoire de la Grèce et des Balkans (Gallimard, 2013).

Publié ou mis à jour le : 2023-10-30 11:18:03
Philippe (02-11-2023 09:27:00)

Merci pour cet article éclairant, et merci aussi à Liger pour son salutaire rappel du ravage et du pillage de la Grèce par l'Allemagne nazie, et de son étranglement par une banque internationale sans foi ni loi, avec la complicité active des instances européennes..
Pour ce qui est du commentaire d'astasie, elle semble oublier qu'une translittération n'est pas une transcription phonétique. Mais cela mérite-t-il vraiment une rectification pédante ?

Aspasie (25-10-2023 19:00:45)

Όχι ne se prononce pas ochi.

Liger (23-03-2021 17:52:20)

On doit savoir que l'Allemagne n'a pas versé un centime de réparations à la Grèce alors que le IIIe Reich a perpétré de multiples crimes et pillages entre 1941 et 1944 :
- au moins 60'000 Juifs grecs ont été déportés et la plupart exterminés, tragédie évoquée par le poète Iakovos Kambanellis dans La ballade de Mauthausen, remarquablement mise en musique par Mikis Theodorakis ;
- au moins 300'000 autres Grecs sont morts de faim ;
- d'autres, y compris de nombreux vieillards, femmes et enfants, ont été massacrés dans le cadre de la répression de la Résistance ;
- de nombreuses destructions ont été perpétrées, y compris l'incendie de bourgs et de villages dans le style d'Oradour-sur-Glane ;
- le Troisième Reich a forcé la banque centrale grecque à lui prêter 476 millions de Reichsmarks, somme qui ne sera jamais remboursée ; en Grèce, un rapport confidentiel a évalué récemment à 11 milliards d'euros la somme que les Allemands lui doivent 70 ans après tandis que le Bundestag estime de son côté qu'il y a en aurait pour 8,25 milliards : on le voit, que l'évaluation soit grecque ou allemande, la somme reste très importante ;
- l'occupant nazi a réquisitionné, pillé, volé tout ce qu'il pouvait, notamment les maigres ressources agricoles de la Grèce.

Il faut garder cela à l'esprit, notamment lorsqu'un dépité allemand a osé évoquer l'idée que la Grèce devrait donner des îles en compensation de l'aide des pays de l'UE, notamment l'Allemagne, lors de la crise grecque à partir de 2008. Certes, il n'est pas question de nier la scandaleuse gabegie pratiquée par les gouvernements grecs successifs (à condition de ne pas occulter la lourde coresponsabilité des banques, comme Goldman-Sachs, et des hiérarques de l'UE) ; mais, compte-tenu de cet effroyable passé, on aurait pu espérer que tous les responsables politiques et économiques allemands fissent preuve d'une élémentaire décence...

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