Je n’oublierai jamais cette journée du 4 septembre 1944, quand notre ville, Bourg-en-Bresse a été libérée !
Après une semaine d’angoisse vécue à la cave au son devenu routinier de la canonnade, un grand silence s’installe. Papa nous annonce, fou de joie, l’arrivée des libérateurs !
C’est un vrai « branle-bas de combat » ! Chacun veut aller les voir le plus vite possible… Depuis le temps qu’ils étaient attendus ! Avec l’accord des parents, je pars en éclaireur. Maman a épinglé sur mon vêtement la fameuse broche de circonstance décorée des drapeaux alliés. Les premières rues empruntées sont désertes, je me pose la question : et si les Allemands n’étaient pas tous partis ? Je prends peur, prudemment, j’enlève ma broche subversive et la cache.
A l’approche du centre-ville, le doute n’est plus permis, je vois un soldat l’arme à la bretelle marchant dans notre direction, sa tenue n’a rien à voir avec celle des Allemands. Déjà des civils s’approchent de lui pour l’embrasser. Je suis très intimidé et me tiens en retrait, puis je prends mon élan et me jette à son cou avec une telle fougue que je me blesse sur le rebord de son casque. Il rit de bon cœur et me caresse le front en prononçant des paroles apaisantes dont je ne comprends pas un traitre mot. Voilà, je viens de rencontrer mon premier Américain ! Rassuré je remets mon insigne. Avenue Alsace-Lorraine un spectacle féérique m’attend. C’est un défilé ininterrompu de véhicules militaires décorés d’une immense étoile blanche. Comme tous les gamins de mon âge je veux participer à la fête et me retrouve debout sur le timon d’une petite remorque tirée par une jeep. Je savoure un de ces chewing-gums distribués par les Américains. Quelle fabuleuse découverte ! C’est nouveau, c’est délicieux et ça sent bon ! J’en ai très vite plein mes poches avec de savoureux bonbons et des paquets de cigarettes mentholées au parfum enivrant : cadeaux pour Papa !
Tout le monde laisse éclater sa joie par des applaudissements à l’adresse des Américains et de la nouvelle armée française dont les chars affichent en grosses lettres blanches le nom d’une de nos victoires : d’Austerlitz à Koufra ! Effacée la honte d’avoir été occupé, aujourd’hui on est fier d’être Français. Quel merveilleux spectacle ! Une fête populaire spontanée encore jamais vue et qu’on ne reverra peut-être jamais plus…Rires et pleurs mêlés, embrassades, chansons, pas de danse, vivats à De gaulle, à la France, aux Alliés, à la Liberté. Un vrai bonheur !
Publié ou mis à jour le : 11/10/2023 16:55:39