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L'insurrection des paysans des Mauges en mars 1793

L'insurrection des paysans des Mauges en mars 1793
L’insurrection des paysans des Mauges en mars 1793
 
« La première et la plus vive des passions que l’égalité des conditions fait naître, je n’ai pas besoin de le dire, c’est l’amour de cette même égalité. On ne s’étonnera donc pas que j’en parle avant toutes les autres.
Chacun a remarqué que, de notre temps, et spécialement en France, cette passion de l’égalité prenait chaque jour une place plus grande dans le cœur humain. »  Alexis de Tocqueville « De la Démocratie en Amérique », 1835-1840.
 
En suite de la convocation officielle des Etats Généraux par le roi Louis XVI en janvier 1789, tous les citoyens se sont réunis pour délibérer et débattre en vue de présenter leurs doléances[1] au suzerain[2]. Les Cahiers de Doléances constituent un document exceptionnel d’information sur l’état du pays en 1789 : La France comptait alors 26 à 27 millions[3] d’habitants presque tous membres du Tiers-Etat. Quelque 250 000 personnes étaient nobles, le Clergé comptait 120 000 membres.
Les Cahiers de ces différents Ordres étaient divers. « Des cahiers du Tiers Etat, l’on peut retenir la sincérité qui éclate dans les termes utilisés par la plupart d’entre eux, le respect du Roi et de la monarchie, mais aussi l’envie de changement.[4] ». Ces Cahiers[5] avaient donc pour vocation de préparer la réunion des Etats Généraux. En 1789, la noblesse y est représentée par 270 députés, le Clergé par 291 députés et le Tiers-Etat par 578 députés. La proportion n’y est pas !, cependant aucune opposition d’importance ne se profile jusqu’à ce que les députés du Tiers Etat se constituent en « Assemblée Nationale » le 17 juin 1789. Cette Assemblée s’emparera des pouvoirs de l’Etat et décidera de l’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789. Le 26 août, elle consacrera le principe d’égalité en adoptant la « Déclaration des Droits de l’Homme et des Citoyens ».
Le 12 juillet 1790, la « Constitution civile du Clergé » est adoptée par l’Assemblée Constituante pour « compenser » la nationalisation des biens de l’Église qui avait été votée le 2 novembre 1789 ! Les évêques et curés seront appointés mais... seront désignés par les électeurs de leurs paroisses et devront prêter serment « d’être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de son pouvoir la Constitution ». Ceci est accepté par Louis XVI mais pas par Pie VI. C’est le début d’une « rupture » entre les catholiques et la Révolution[6]. Dans les Mauges, la population peut cacher des prêtres réfractaires mais ne s’insurge pas[7].
Le 3 septembre 1791, l’ « Acte constitutionnel » établi par l’Assemblée Nationale est présenté au Roi qui l’accepte le 13 septembre. Louis XVI dont on peut penser qu’il n’était pas favorable à une Monarchie Constitutionnelle avait été arrêté à Varennes en juin 1791 et il comparaîtra devant la Convention en décembre 1792. Le 1er octobre 1791, la première Constitution française entre en application et Louis XVI n’est plus le roi de France mais le roi des français.
Le 20 avril 1792, l’Assemblée déclare la guerre au roi de « Bohême et de Hongrie ». C’est le point de départ de nombreuses guerres entre la France et les autres pays européens. Les français rêvent-ils d’étendre la Révolution dans tous les autres pays européens ? La victoire française à Valmy, le 20 septembre 1792, consacre la chute de la Royauté.
Le lendemain, 21 septembre 1792, lors de la première séance de la Convention Nationale, les députés proclament l’abolition de la Royauté en France. C’est la naissance de la République, après le passage de la Monarchie absolue à la Monarchie Constitutionnelle votée le 4 septembre 1791.
Le 19 novembre 1792, l’Assemblée Révolutionnaire annexe le Comté de Nice et la Savoie pendant que plusieurs villes allemandes sont occupées le long du Rhin.
Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné sur la place de la Concorde (actuelle). Renversé par les révolutionnaires parisiens le 10 août 1792, Louis XVI avait été emprisonné au Temple avec sa famille. Le 3 décembre 1792, devant la Convention, Robespierre avait appelé à prendre une mesure de Salut Public : « Louis doit mourir parce qu’il faut que la Patrie vive... Je demande que la Convention Nationale le déclare dès ce moment traître à la Nation française, criminel envers l’humanité[8]... ». Malgré cette atteinte à l’intégrité physique d’un souverain, les Mauges ne se soulèvent pas.
En janvier 1793, l’Espagne et le Portugal rejoignent la coalition anti-française et, le 1er février, la France déclare la guerre à la Grande-Bretagne et aux Provinces Unies[9]. Le 17 février 1793, les troupes françaises envahissent la Belgique et, au printemps 1793, le déséquilibre des forces est inquiétant pour la France.
 
  1. Le 24 février 1793, un Décret est adopté par la Convention Nationale 
 « Titre 1er sur une levée de trois cent mille hommes et sur le mode à suivre pour opérer cette levée: Article 1er : « Tous les citoyens français, depuis l'âge de dix-huit ans jusqu'à l'âge de quarante ans accomplis, non mariés ou veufs sans enfants, sont en état de réquisition permanente, jusqu'à l'époque du complément du recrutement effectif des trois cent mille hommes de nouvelle levée décrété ci-après. 
Mais, (Art. 20) : Ne seront point compris dans l'appel général pour cette levée:  1/ Ceux que des défauts de conformation mettent hors d'état de porter les armes ;  2/ Les administrateurs composant les Directoires de département et de district ;  3/ Les procureurs généraux et syndics ;  4/ Les secrétaires généraux et de district ;  5/ Les maires, les officiers municipaux et les procureurs de communes ;  6/ Les membres des tribunaux civils et criminels, le greffier, les commissaires nationaux et  les juges de paix ;  7/  Les receveurs de district ;  8/ Les receveurs et directeurs d'enregistrement ;  9/ Les ouvriers employés à la fabrication des armes et poudres. », sachant que l’article 17 prévoit que les citoyens peuvent se faire remplacer moyennant la seule prise en charge des armes et de l’équipement du remplaçant!
Le Décret est vivement contesté, notamment parce que la Nouvelle République Française « Liberté, Égalité, Fraternité » ne soumet pas les hommes au même tirage. De nombreux départements sont en pleine effervescence : Ouest, Sud-Ouest, Sud-Est,... la Révolution a déçu... La plupart des soulèvements sont jugulés mais, faute de plan d’ensemble chez les insurgés, les Mauges demeureront dans l’Histoire le foyer de l’Insurrection qui aura déclenché ce qui s’appellera ensuite « Les guerres de Vendée ».
Les Mauges[10] sont délimitées au Nord par la Loire, à l’Est par le Layon, à l’Ouest par la Sèvre Nantaise et par la Moine. C’est un pays de bocage sillonné de vallées encaissées, traversé du Sud au Nord par l’Èvre[11].
 
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Le dimanche 3 mars 1793, cinq à six cents « garçons » de Cholet se rassemblent dans une auberge pour réfléchir à la manière de faire infléchir ou de s’opposer à l’application du décret. «... hier au soir dans l’attroupement, ils quittèrent tous la cocarde nationale, et...quelques uns eurent l’infâmie de la fouler aux pieds[12] ». Certains jeunes écriront à ces administrateurs du Maine et Loire : « nous ne refusons point de partir, au contraire, nous sommes tous prês, mais nous voulons que tous les acquéreurs des biens nationaux, la garde nationale, tous les administrateurs du département, du district, enfin tous ceux qui sont en charges et salariés par la nation sans aucune exception, marchent à notre tête, ou sans quoi nous ne partirons point ; parce qu’il est plus juste que ceux qui jouissent des fruits de la nation soient les premiers à aller les défendre[13]
Le dimanche 10 mars 1793, à Saint Florent le Vieil, le procureur syndic DUVAL donne lecture du décret portant sur la conscription. Les jeunes qui ont été convoqués pour le tirage au sort entrent dans la ville au son du tocsin, accompagnés de leurs proches, familles, fiancées et amis, soit entre 600 à 4000 personnes, parfois armées de fusils, de bâtons ou de faux, certains portant la cocarde blanche. L’officier municipal, JACOB, qui tente de raisonner la foule est hué. Les gendarmes interviennent en frappant du plat de leurs sabres. La fureur monte et JACOB est tué par la population. Le canon gronde tuant 4 personnes et en blessant 40. Le lundi 11 mars 1793, le curé « constitutionnel » de Saint Florent le Vieil, Antoine VALLÉE, part à Angers demander de l’aide pour combattre l’insurrection.
Le lendemain, toutes les paroisses des Mauges ont reçu le récit de ces évènements. Le 11 mars, à CLISSON, le tocsin sonne dans toutes les paroisses.
Le 12 mars 1793, un détachement de la Garde Nationale se porte sur CUGAND et fait 16 prisonniers parmi des insurgés armés[14]. Le même jour, l’insurrection atteint TIFFAUGES. Au PIN en MAUGES, Jacques CATHELINEAU, colporteur, prend l’initiative de réunir tous les hommes valides pour affronter les républicains. « La prise de Saint Florent avait permis le soulèvement dans les Mauges. Le 13 mars, une partie des assaillants du chef-lieu se réunit à la Poitevinière pour, de là, se porter sur Jallais puis sur Chemillé[15] ».
En 1793, l’émeute du 10 mars contre « la levée des 300 000 hommes » a déclenché le soulèvement des paysans des Mauges et entrainé ce qui a, ensuite, été appelé « Les guerres de Vendée ».
  1. Alors, pourquoi les Mauges et pas ailleurs ?
André SIEGFRIED [16] avait émis une thèse par laquelle, défendant l’idée d’une « géographie humaine », il associait le granite à la droite réactionnaire et le calcaire à la gauche « patriote ». Selon lui, et au-delà des classes sociales, « le milieu géographique a raison de toutes (les) différences et crée, par l’adaptation au sol et au climat, des collectivités nouvelles (ibidem)». Ainsi les paysans du bocage seraient renfermés et imperméables aux innovations et les autres « libres d’esprit ». Cette thèse, un peu simpliste, n’explique pas l’entente traditionnelle de l’instituteur « radsoc » et du curé de la paroisse ! Plus sérieusement, elle ne tient pas compte de l’histoire locale et des traditions paysannes[17] ni des antagonismes ville-campagne. À cet égard, l’article de Claude PETITFRÈRE[18] confirme l’âge moyen des rebelles : 25,8 ans ainsi que la provenance majoritaire d’agriculteurs : 53,82 % y voyant ainsi « une nette confirmation du caractère rural de l’insurrection »...
« Il faut chercher les causes de cette guerre dans le caractère particulier des habitants du bocage chez lesquels elle a pris naissance[19] ». Ils étaient libres. Ce fût une guerre du terroir et de la Patrie, un peu à la manière antique...une guerre Homérique qui amènera Napoléon à dire « Mes ingénieurs sont des hommes habiles, mais à Saint Florent, les vendéens furent des sylphes. Un peuple de géants».
Revenons aux 10, 11 et 12 mars 1793. Les paysans se sont insurgés parce que l’injustice du recrutement de la conscription est contraire aux principes d’Égalité-Liberté-Fraternité adoptés par la Révolution mais peut-être aussi parce que la date coïncide avec le début des semailles de printemps[20] ! L’insurrection ne commencera vraiment que le 13 mars. Le mot d’ordre est : « Tous ou personne » !
Les paysans insurgés connaissent le bocage et les abris qu’il peut proposer mais ils ne savent pas comment coordonner et organiser leurs réactions. De surcroît, ils ne possèdent pas de connaissances militaires. C’est ainsi que, tout simplement, ils se rendent chez leurs voisins, hobereaux[21], pour quérir leur aide pour leur apprendre à s’organiser et se défendre contre les réactions de la République qui ne manqueront pas de survenir.
Ainsi, sur la commune du Marillais, sept jeunes gens se rendent à la Baronnière pour demander au Général de BONCHAMPS de se mettre à leur tête. Conscient de l’inanité de leurs projets, celui-ci les invite à prier et dormir dans la Cour Carrée du château. Le lendemain matin, leur détermination n’a pas changé et BONCHAMPS accepte alors de se mettre à leur tête avec les conséquences que nous connaissons.
*
Une Jacquerie, ces paysans insurgés contre des lois contrevenant aux lois de la République, tout en allant chercher un réconfort auprès de leurs « seigneurs » dont ils se sont certainement sentis plus proches que de leurs  représentants de la République ? Probablement.
Entre le 4 août 1789 et le 24 février 1793, il se sera écoulé 3 ans, 6 mois et 20 jours... De la « pureté » législative de l’ « abolition des privilèges » à l’adoption réglementaire de « nouveaux privilèges » pour ceux qui seront exemptés de conscription alors qu’il faut aller défendre la France aux frontières!
                                         Chantal ROISNÉ-MÉGARD
                                         Docteur en Droit
Avocat honoraire
 
[1]  Du latin : Doleo souffrir, être affligé.
[2] Les origines des cahiers de doléances sont lointaines : elles remonteraient au XVè siècle et à la fin du Moyen-Âge. Cf. Hérodote Jean-Pierre Bédéï, publié le 1er février 2019.
[3] Larousse Encyclopédie en ligne.
[4] Ibidem.
[5] 60 000 Cahiers environ furent rédigés puis réduits au niveau national à 12 cahiers avant d’aboutir à une synthèse nationale. Inutile de préciser que la politique fiscale était décriée (la gabelle !) et tenue pour responsable de la misère du peuple. Nihil novum sub sole !
[6] Le 12 juillet 1790 « Une Constitution civile pour le clergé ». HÉRODOTE. Fabienne Manière, 27 novembre 2018.
[7] Le bocage des Mauges a mal vécu le remplacement des prêtres réfractaires par des prêtres assermentés. En effet, Louis-Marie GRIGNON de MONTFORT avait « rechristianisé » cette région des Mauges lorsqu’elle était encore enfermée dans la croyance des loup-garrous et des feux-follets au début du XVIIIème siècle.
[8] 21 janvier 1793. HÉRODOTE. Fabienne Manière, 18 janvier 2019.
[9] Les institutions républicaines des Provinces-Unies créées par l'Union d'Utrecht de 1579 jusqu'à la révolution batave de 1795 sont composées d'une délégation des provinces suivantes:
 
 
[10] L’origine du nom est lointaine. Selon la légende, « Mauges » serait une déformation de « mauvaises gens » et proviendrait de Jules César qui aurait qualifié la population de « Malae gentes ». (Aristide GUILBERT « Histoire des villes de France », Tome 3, Ed. FURNE-PERROTIN-FOURNIER, 1845). « Travailleurs, économes, probes, fidèles à la parole donnée, désintéressés, méprisant les plaisirs et la mort, ils ressemblaient aux Républicains de l’Ancienne Rome ». « Histoire de la Vendée et du Bas Poitou en France », chap. XXXI, d’après l’œuvre de Louis BROCHET « La Vendée à travers les âges » (1902).
[11] « Nulle excursion n’est plus envoûtante que celle où le bien-être inhérent à tout voyage au fil de l’eau se double de la sécurité magique qui s’attache au fil d’Ariane. » Julien GRACQ «Les eaux étroites », José CORTI, 1976.
[12] Lettre du 4 mars 1793 des administrateurs du District de Cholet aux administrateurs du département de Maine et Loire.
[13] Lettre des jeunes choletais (René Desporte, Pierre Charon, André Boisseau) adressée aux administrateurs du Maine et Loire n°25, également cité par Raynald SECHER « Le génocide franco-français – La Vendée-vengé », p.113, PUF, 1986.
[14] Annales de Bretagne et des Pays de l’ouest. Rémy Flanet. 1989.
[15] Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest p. 466. Rémy FLANET. 1989.
[16] André SIEGFRIED « Tableau politique de la France de l’Ouest sous la troisième République ». A. COLIN. 1913.
[17] Penser à revoir « CHOUANS » de Philippe de BROCA pour comprendre la proximité qui existait entre les seigneurs et leurs paysans.
[18] Les tables personnelles des rebelles de la Vendée, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1977 ».
[19] « Histoire de la Vendée et du Bas Poitou en France », chap. XXXI, d’après l’œuvre de Louis BROCHET « La Vendée à travers les âges » (1902).
[20] « Nous avons planté la liberté sur notre clocher, eh bien ! puisque nous sommes libres nous ne voulons nous occuper que de labourer nos sols ». Cité par Reynald SECHER, « Le génocide franco-français – La Vendée-vengé », PUF, 1986.
[21] Hobereau : Littré : « Petit gentilhomme campagnard ».
Chantal Roisné-Mégard

Publié ou mis à jour le : 15/10/2023 11:26:28

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