25 février 1830

La « bataille d'Hernani »

Le 25 février 1830 se déroule à Paris la plus fameuse bataille qu'aient jamais livrée des hommes de plume et des artistes. Elle reste connue sous le nom de « bataille d'Hernani », du nom d'une pièce de Victor Hugo que l'on jouait ce soir-là pour la première fois à la Comédie-Française ! Excusez du peu...

Isabelle Grégor et André Larané
Un jeune chef de file

Victor Hugo, alors âgé de 27 ans, est déjà un écrivain à succès. Il anime le Cénacle romantique, l'un des salons littéraires confidentiels dans lesquels se réunissent les jeunes romantiques en quête de gloire et de reconnaissance dans les années 1820.

Le Cénacle tient ses réunions chez Hugo lui-même, à Paris, rue Notre-Dame-des-Champs, dans la « chambre au lys d'or » (elle tient son nom de la fleur remportée par Hugo à l'âge de 17 ans aux Jeux Floraux de Toulouse). On y rencontre Balzac, Nerval, Vigny, Musset, Dumas, Sainte-Beuve, le peintre Delacroix, les frères Devéria, peintres, le sculpteur Pierre-Jean David d'Angers etc.

Le jeune Hugo lit lors de ces réunions ses oeuvres poétiques. Il fait figure de chef de file et sa puissance créatrice suscite l'admiration de ses invités. La réunion du 30 septembre 1829 est consacrée à la lecture d'Hernani. Elle annonce la prochaine bataille.

On s'enthousiasme pour cette pièce qui brise les canons du théâtre classique et notamment les trois unités de temps, de lieu et d'action énoncées par Boileau sous le règne lointain de... Louis XIV. Elle raconte l'histoire d'amour malheureuse d'un proscrit, Hernani, pour une jeune infante, doña Sol.

Arrive le jour de la première, à la Comédie-Française. Puisque désormais, selon l'auteur, « il n’y a ni règles, ni modèles », les tenants de la tradition s'attendent au pire. Et ils ont raison : la pièce détruit méthodiquement toutes les conventions en matière d'écriture théâtrale : fini, le lieu unique, l'intrigue de 24 heures ! Les décors se succèdent, les personnages vieillissent de quelques mois en un entracte. La bienséance ? Ridiculisée par une armoire à balais où est obligé de se cacher le roi d'Espagne.

Le spectacle est dans la salle davantage que sur la scène, si ce n'est que l'héroïne, jouée par Mademoiselle Mars, écorche le célébrissime vers : « Vous êtes mon lion, superbe et généreux ».

La première d'Hernani, Avant la bataille (25 février 1830), Albert Besnard, Paris, Maison de Victor Hugo, RMN-Grand Palais.

Le spectacle est dans la salle

Remontés à bloc, échauffés par de longues discussions préliminaires, les « Jeune-France » et  « chevelus » romantiques du parterre, parmi lesquels se signalent Gérard de Nerval et Théophile Gautier, revêtu de son gilet rouge flamboyant, insultent copieusement les « perruques » et les « philistins » des tribunes qui restent fidèles aux règles classiques. Très vite, on en vient aux mains. On se bat et l'on joue du poing au milieu des fauteuils d'orchestre.

Situation paradoxale : politiquement, les opposants au drame, les « chauves, les perruques, les genoux » admirateurs du théâtre classique et des pièces de Voltaire (dont le théâtre a été vite oublié) sont des libéraux, voire des républicains… alors que les bruyants jeunes gens barbus et chevelus groupés autour de Gautier, sont royalistes et conservateurs (note) !

Victor Hugo, chef de file des « Jeune-France », assiste à la bagarre en gardant ses distances, toujours beau, élégant et strict. 

Les lendemains sont plus tristes. Victor Hugo s'apprête à publier un roman à succès, Notre-Dame de Paris. Tout à son travail, il ne voit pas que les visites de Sainte-Beuve à son domicile ne sont plus guère motivées par les batailles poétiques !...

La Bataille d’Hernani, Jean-Jacques Grandville, 1830, Paris, maison de Victor Hugo.Sainte-Beuve, devenu l'amant d'Adèle Hugo, rompt avec son ami. L'amertume de ce dernier transparaît dans les intitulés de ses recueils de poèmes des années suivantes : Les feuilles d'automne, Les chants du crépuscule... Mais il ne tarde pas à prendre sa revanche avec l'actrice Juliette Drouet, qu'il rencontre à la faveur des répétitions de Lucrèce Borgia

Le Cénacle se disperse mais la fabuleuse créativité littéraire des romantiques n'en est encore qu'à ses débuts. Elle s'épanouira sous le règne tranquille de Louis-Philippe Ier.

La révolution romantique ne se limite pas au théâtre. L'année d'Hernani (1830) est aussi celle de la Symphonie fantastique de Berlioz et du Rouge et le Noir de Stendhal... Et c'est aussi celle des « Trois Glorieuses », une drôle de révolution, sentimentale, violente... et réactionnaire, à l'image de nos poètes.

Hernani raconté par un témoin

Adèle Hugo, épouse du grand homme, était aux premières loges lors de l'aventure d'Hernani. Elle se souvient ici de l'arrivée tapageuse des partisans du dramaturge lors de la première représentation :
« Toute la bande entrée, la petite porte fut refermée. Voilà tous ces jeunes gens obligés d’attendre depuis 3 heures jusqu’à 7, sur leurs banquettes, sans pouvoir bouger. Sachant d’avance qu’ils allaient être mis sous le séquestre ils avaient fait provision de pain, de cervelas, de fromage, de pommes, de tout ce qui peut s’emporter dans les poches. Au moment qu’ils avaient arrêté pour leur repas, vers 5 heures, ils se mirent à cheval sur les banquettes et formèrent en se faisant vis-à-vis des espèces de tables.
Ils prolongèrent le plus longtemps possible cet attablement pour tuer le temps. Ils étaient encore à leur couvert quand le public commença à entrer dans la salle. Grande fut sa stupéfaction et celle des beaux messieurs et des belles dames en voyant ces individus barbus, chevelus, ayant poil partout sur la tête, dévorant de la nourriture, accroupis, à cheval, étendus sur les banquettes, tous dans des positions malséantes ou choquantes. Ces êtres ainsi tassés faisaient l’effet aux habitants des loges de boucs bivouaquant. Ce n’était pas tout : d’autres besoins que ceux de l’estomac s’étaient manifestés chez ces êtres insolites. Les ouvreuses, geôliers du plus secret endroit, n’étaient pas encore à leurs postes. Que faire ? Les prisonniers cherchèrent un lieu élevé, reculé, sombre, dans le théâtre, pour remplacer celui qui, par l’absence des ouvreuses, leur faisait défaut. Il s’ensuivit des accidents fâcheux pour les belles dames aux souliers blancs ou roses qui avaient leur loge au quatrième. […] Lorsque l'auteur se présenta chez son actrice avant le lever du rideau, comme c'était son habitude, Mlle Mars lui dit de cet air de maîtresse d'école revêche qui lui était particulier :
- Vous avez de jolis amis, monsieur, je vous fais mon compliment […].
- Madame, vous serez peut-être bien aise ce soir de trouver mes amis pour combattre vos ennemis. Ce soir, mes ennemis sont les vôtres ». (Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, 1863).

Publié ou mis à jour le : 2023-12-06 12:58:32
Zemmouchi Mohamed Chaouki (01-03-2013 11:55:53)

Après avoir été l’étoile de mon âme, Hérodote.net en est devenu le soleil. Troublé par cette présence si imposante et si charmante, confus d’être si peu de chose à votre endroit, que vou... Lire la suite

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