Institutions françaises

L'imagination, grande absente du rapport Attali-Macron

2 février 2008 : tempête dans les couloirs de l'Assemblée nationale où les députés se sentent dépossédés du pouvoir de débattre de l'avenir du pays, pouvoir dont ils ont été investis par les citoyens. Le 18 janvier précédent, en effet, le président de la République Nicolas Sarkozy a reçu des mains de Jacques Attali le rapport qu'il lui avait demandé à l'automne en vu de renouveler son catalogue de promesses...

300 décisionsJacques Attali, président de la Commission, est un « dinosaure » de l'ère Mitterrand, qui a participé à la rédaction du programme commun de la gauche, dans les années 1970. Le rapporteur, par contre, est un jeune énarque de 28 ans du nom d'Emmanuel Macron ! Il sera nommé en août 2014 ministre de l'Economie du gouvernement socialiste de Manuel Valls avant d'accéder à la fonction suprême en 2017.

Jacques Attali a lui-même recruté les 41 experts de sa « Commission pour la libération de la croissance française ». Parmi eux une moitié de Pdg dont ceux de Nestlé, du Crédit Agricole, de Cetelem, d'Areva, d'Essilor... dont on a peine à croire qu'en pleine crise des subprimes, ils aient distrait plusieurs soirées à débattre des problèmes de la France.

La commission compte aussi quelques élus européens tel que Mario Monti, qui fera plus tard un passage éclair à la tête du gouvernement italien (aucun élu français, comme pour mieux signifier l'incompétence congénitale des représentants du peuple de ce pays), quelques hauts fonctionnaires, deux ou trois auteurs à succès, deux chroniqueurs (Le Figaro et Le Monde) et le démographe Hervé Le Bras, auteur avec Jack Lang d'un petit essai dans lequel il plaide pour l'ouverture des frontières à l'immigration, reprenant un thème favori de Jacques Attali, qui, dans ses chroniques du Point, émet régulièrement le voeu que la France accueille au moins 500.000 immigrants par an (au lieu de 200.000 aujourd'hui).

Le rapport de la Commission a été officiellement présenté le 18 janvier 2008 au président sous le titre on ne peut plus modeste : Jacques Attali / 300 décisions pour changer la France. Il ne s'agit donc pas de propositions mais de « décisions » que le président s'est d'ailleurs engagé à mettre en oeuvre, à deux ou trois près, faisant fi de son libre-arbitre ainsi que de l'avis des parlementaires et des citoyens qui l'ont élu.

Du rapport Rueff-Armand au rapport Attali-Macron

La démarche du président de la République s'inspire de celle du général de Gaulle qui, en 1959, avait demandé aux économistes Jacques Rueff et Louis Armand de lui proposer des réformes pour lever les freins au développement économique. Jacques Rueff avait fait ses preuves quelques mois plus tôt en mettant sur pied, sous l'égide du ministre des Finances Antoine Pinay, le plan Pinay-Rueff qui allait spectaculairement redresser les comptes publics du pays, notamment par le biais d'une nouvelle monnaie, le « nouveau franc ». Louis Armand s'était illustré en modernisant la SNCF. Les deux experts allaient recenser les blocages de la société française, essentiellement les professions réglementées (taxis...). Intitulé « Rapport sur les obstacles à l'expansion économique », le travail du comité Rueff-Armand allait déboucher sur un lot de réformes, débattues et votées par le Parlement sans que le général de Gaulle se soit bien sûr engagé à leur propos.

Jacques Attali ne peut prétendre au même pedigree que Jacques Rueff ou Louis Armand, quoiqu'il soit major des grandes écoles. C'est un auteur à succès coupable de quelques maladresses (plusieurs chapitres de son Histoire du temps ont été copiés à la virgule près dans l'ouvrage d'un philosophe réputé).

Présentant son rapport au président de la République, il s'est comparé à Turgot, le ministre des finances qui tenta de réformer la société française sous le règne de Louis XVI. Turgot, bon gestionnaire et honnête homme, avait échoué dans ses réformes parce qu'à son corps défendant, il avait dû agir dans le cadre du « despotisme éclairé ». Son échec, inéluctable, avait conduit le roi à la guillotine. Il a fallu attendre le régime parlementaire de la Constituante et du Directoire pour qu'enfin soient mises en oeuvre ses réformes (et bien plus encore).

Jacques Attali, quant à lui, a recommandé au président de profiter de la période sans élection qui s'ouvre pour mener ses réformes tambour battant : « Toutes les décisions devront être lancées entre avril 2008 et juin 2009 » (page 236 du rapport). Il faut dire qu'il ne risque pas, comme Turgot, de se heurter à l'opposition des privilégiés car ses propositions, on le verra plus loin, ne heurtent guère les intérêts de la grande bourgeoisie.

Comme le traité constitutionnel européen de 2005, le rapport Attali a été plutôt bien accueilli par la classe dirigeante et les médias. D'ailleurs, la Commission européenne a cru bon de s'en mêler et de recommander son application. Même Ségolène Royal et Élisabeth Guigou, auxquelles leur appartenance au principal parti d'opposition commande un minimum de sens critique, ont cru y voir de bonnes idées (en cherchant bien, on en trouverait également dans Mein Kampf et Le petit livre rouge du président Mao !). Il n'y a guère que François Bayrou qui ait vu dans ce rapport le « risque de déstabiliser la société française ».

Attali et « La République des imbéciles »

Le député Claude Goasguen (UMP) s'étant inquiété de l'émergence d'une « république des experts » après que le président de la République eut avalisé le rapport de Jacques Attali, ce dernier a rétorqué sur Europe 1 que ledit député aurait fait bonne figure dans une « République des imbéciles » !

Un catalogue sans grande surprise

Le travail de la Commission Attali tient dans un ouvrage de 336 pages. Son prix de 18,90 euros est dissuasif mais il peut être consulté sur internet. Il a été écrit par huit fonctionnaires détachés par le gouvernement et l'on ne sera pas étonné d'y retrouver, sous la forme de 316 « décisions », toutes les idées qui traînent depuis des lustres dans les rapports ministériels. 

Aucune ne peut être considérée comme inédite ou originale. Beaucoup reprennent des textes en cours de préparation dans les ministères et correspondent à de simples mises à jour de la législation (par exemple sur l'organisation portuaire, le logement ou le développement du numérique).

Le rapport offre en premier lieu un diagnostic de l'état de la France et du monde. Pour bien mesurer la « clairvoyance » des signataires et du rapporteur, n'oublions pas qu'il a été publié en janvier 2008, cinq mois après l'éclatement de la crise des subprimes aux États-Unis. 

Dans son introduction, il met en exergue les retards de la France dans à peu près tous les domaines. Il souligne a contrario les bonnes performances étrangères :  l'Afrique, avec une croissance de plus de 5% par an ; la Grèce, plus rigoureuse dans la gestion des finances publiques ; l'Espagne, qui mène une politique du logement très méritante...

Extrait lumineux : « L’Italie, le Portugal, la Grèce et plusieurs nouveaux États membres ont (...) mené des réformes courageuses, pour contrôler leurs dépenses publiques, moderniser leur administration, et mieux recruter leurs agents publics. L'Espagne a oeuvré pour l'accès de tous à la propriété du logement, dans une économie en quasi plein-emploi » (page 13 du rapport).

Des « décisions » ni argumentées ni chiffrées

La plupart des « décisions » tiennent en quelques lignes, sans aucune argumentation qui en justifie l'utilité. Les rapporteurs n'évaluent ni leur coût ni la manière de les appliquer. Cela n'empêche pas Jacques Attali et Emmanuel Macron de présenter de façon très précise les gains qui en résulteront à l'horizon 2012 : un point de croissance supplémentaire, un taux de chômage ramené à 5%, 2 millions de logements construits et au moins autant de rénovés... (page 25 du rapport). C'est un peu comme si un chef d'entreprise affichait ses prévisions de recettes sans connaître ses coûts.

Les « décisions » portent fort mal leur nom car la plupart sont en fait de simples « recommandations » ou des considérations sur la comète du type « yaka... », comme on peut en formuler après un repas bien arrosé ou sur le coin d'un comptoir. Citons au hasard :
- « DÉCISION 3 : Prendre les moyens pour éviter les redoublements dans l'enseignement primaire,
- Décision 122 : développer les formations professionnalisantes à l'université,
- décision 198 : promouvoir l'image et la qualité des fournisseurs indépendants,
- décision 288 : soumettre les bailleurs sociaux à des objectifs de construction et de gestion clairement définis assortis de sanctions effectives... »

Ces considérations de détail en côtoient d'autres, d'une portée plus concrète sur la déréglementation du commerce et des professions encadrées (taxis, pharmaciens, avoués...). La libéralisation des taxis (suggérée dès avant la Seconde Guerre mondiale par l'économiste Alfred Sauvy) est le prototype de la réforme malvenue :
- le diagnostic exclut l'analyse des problèmes plus généraux de circulation,
- le coût est très élevé (il faut dédommager les propriétaires de licences au risque que les chauffeurs ne bloquent la circulation dans les villes),
- les bénéfices sont restreints (au mieux quelques milliers d'emplois supplémentaires).

Plus gravement, la commission Attali expédie en quelques lignes des propositions très lourdes de conséquences, loin de faire l'unanimité parmi les économistes et, au surplus, rejetées par les citoyens. C'est le cas de la TVA « sociale », autrement dit le financement des déficits de la Sécurité Sociale par la TVA : augmentation de 1,2 point du taux de TVA accompagné d'une augmentation de 0,6 point de la CSG, et assorti de la promesse d'un allègement des charges salariale (page 210 du rapport). Cette décision n'a pas été à ce jour récusée par le président de la République.

Il arrive à la commission de proposer deux objectifs contradictoires à l'intérieur d'une phrase :
- « DÉCISION 268 : Conditionner les prestations familiales aux revenus des ménages.
Cette mesure rendra la politique familiale plus redistributive et permettra de réduire le coût des politiques familiales de 2 milliards d'euros »
.
En l'occurrence, soit on enlève des allocations aux ménages aisés pour les redistribuer aux plus modestes (à coût constant), soit on réduit sans contrepartie les allocations des ménages les plus fortunés (simple économie budgéraire aux dépens de la politique familiale).

Notons que le plus simple et le plus juste serait de maintenir le caractère universel des allocations familiales tout en les soumettant à l'impôt sur le revenu et en rehaussant la tranche supérieure de celui-ci. Mais cette suggestion est trop simple et trop évidente pour retenir l'attention de la commission Attali !

Parlons de tout et de rien

Attali, Macron et consorts ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ainsi en est-il de leur décision de supprimer les départements, qui sont, entre la commune et l'État, la collectivité la plus démocratique, la mieux enracinée et la plus efficace. Là comme ailleurs, les rapporteurs sont incapables de mesurer l'économie de l'opération (si économie il y a). Par contre, ils ne craignent pas de proposer de nombreuses charges supplémentaires : nouvelles agences, nouvelles missions de service public, nouvelles contraintes paperassières...

Exemples :
- « DÉCISION FONDAMENTALE 10 : Mobiliser tous les acteurs pour l'emploi des jeunes et imposer à toutes les entreprises et collectivités publiques de présenter chaque année un bilan de la diversité par âge, par sexe et par origine,
- DÉCISION 66 : Développer massivement la prévention... »
.

Les rapporteurs cèdent au péché mignon de notre administration : plutôt que de libérer les énergies des acteurs économiques et sociaux, ils interviennent au fil des 316 « décisions » dans les détails de chaque activité. Ainsi :
- « DÉCISION 16 : Inciter les universités à organiser des cours du soir et permettre un assouplissement des règles d'étalement des études sur une plus longue période ».

Ignorant l'échec coûteux des « villes nouvelles » des années 1960, la commission Attali prône l'aménagement de dix nouvelles opérations similaires, moins ambitieuses il est vrai (50 000 habitants chacune), baptisées d'un mot à la mode : les Ecopolis (sans doute vaudrait-il mieux faire en sorte que tous les nouveaux logements se conforment à quelques règles de bon sens : isolation thermique, proximité d'un centre urbain...). N'insistons pas sur l'incohérence du rapport qui prône des Ecopolis et par ailleurs multiplie les mesures de nature à aggraver les dégâts environnementaux (low-cost aérien, multiplication des grandes surfaces commerciales...).

Délicieux est l'intérêt porté aux chères petites têtes blondes (et brunes) par nos commissaires qui ont l'âge d'être grand-pères et dont aucun n'est de près ou de loin impliqué dans l'éducation maternelle, primaire ou secondaire :
- « DÉCISION FONDAMENTALE 1 : Se donner les moyens pour que tout élève maîtrise avant la fin de la sixième le français, la lecture, l'écriture, le calcul, le travail de groupe, l'anglais et l'informatique ».
- Notons qu'il est aussi précisé plus loin (DÉCISION 3) que « l'apprentissage de l'économie » doit faire partie du socle de connaissance du primaire (oubliant de l'intégrer dans sa première décision, Emmanuel Macron aurait donc mal relu son rapport),
- Il est amusant de parler d'enseigner l'informatique au primaire alors que les enfants en savent souvent plus que leurs maîtres dans ce domaine et que personne ne sait à quoi ressemblera l'informatique quand ils entreront dans la vie active quinze ans plus tard,
- Notons plus sérieusement que les rapporteurs ont oublié l'histoire et la géographie, l'éducation morale et civique, les sciences de la vie et de la terre, les travaux manuels, l'éducation physique...

La première des 316 décisions résume les faiblesses du rapport Attali. « DÉCISION 1 : Améliorer la formation des éducateurs et éducatrices de crèche et des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre ».
- Mauvais diagnostic : partant de l'affirmation que le système éducatif français est au plus mal, les rapporteurs proposent un effort particulier sur les crèches et les maternelles alors que la France est, dans ce domaine particulier, réputée en avance sur la plupart des autres pays,
- Mauvais remède : les rapporteurs ne proposent rien de mieux que les leaders syndicaux de l'éducation, à savoir davantage de moyens et de personnel, en contradiction avec leur propre objectif de réduire les effectifs de la fonction publique,
- Mauvais calendrier : cette décision, comme beaucoup d'autres, relève d'un choix politique sur le long terme et ne peut d'ailleurs avoir d'effet qu'au terme d'une génération. Elle n'a rien à faire dans des préconisations destinées à donner une nouvelle impulsion au pays.

Pour en revenir à l'Histoire, observons que Jeanne d'Arc n'a pas présenté 316 « décisions » à Charles VII. Elle s'en est tenue à deux actions à forte charge symbolique qui ont suffi à retourner la situation : lever le siège d'Orléans et faire sacrer le roi à Reims.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-01-07 23:50:56
Gifa (07-11-2023 10:04:45)

L'Histoire est une réalité que nous pouvons vérifier même si cela demande parfois de longues années. Votre présentation du rapport Attali est ciblé négatif à fond. En le lisant je découvre q... Lire la suite

Anonyme (28-02-2013 16:16:21)

évidemment l'énoncé de la décision 122 est "développer les FORMATIONS professionnalisantes à l'université" et non "les PROFESSIONS professionnalisantes"... Même si ça ne... Lire la suite

Régis Hulot (23-11-2011 09:14:27)

In cauda venenum...


Et dire qu'il était si brillant, dans les années 70, ce Jacques Attali qui ne cesse de se croire utile. La vieillesse est bien un naufrage.

Sylvie (22-11-2011 13:10:51)

Attali, haut fonctionnaire, économiste, écrivain ,banquier, etc. Mais qui est donc ce personnage qui a trempé dans la politique,avec un réseau de connaissance étendu, toujours présent selon que ... Lire la suite

Pierre (02-03-2008 06:10:13)

Entièrement d'accord avec vous. Ce rapport est une mauvaise et triste farce.

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