La Bibliothécaire d'Auschwitz

Les livres clandestins du camp de la mort

Antonio G. Iturbe, journaliste et romancier espagnol, retrace dans La Bibliothécaire d’Auschwitz (Flammarion, 2020, 512 pages) l’histoire vraie de Dita Kraus. À 14 ans, cette jeune tchèque se voit confier une mission des plus périlleuses : veiller sur la bibliothèque clandestine du camp d’extermination d’Auschwitz. Un roman qui mêle la mémoire de la Shoah et le rôle essentiel de la littérature dans un récit haletant et inspirant.

La Bibliothécaire d'Auschwitz

Née à Prague en 1929, Dita Kraus a treize ans lorsqu’elle est déportée avec ses parents dans le Ghetto de Theresienstadt en 1942. Les juifs tchèques de Theresienstadt sont ensuite envoyés au camp BIIB dans le camp d’extermination d’Auschwitz. Sous les planches du bloc 31 de ce « camp familial » où sont entassés 500 enfants, se trouve une bibliothèque. La plus petite et la plus dangereuse du monde. 

À Auschwitz, les prisonniers sont soumis à une étroite surveillance. Les SS font régner l’ordre et la mort est partout. Son odeur, sa vue, le bruit des coups et des balles. « La première leçon que tout vétéran donne à un nouvel arrivant est qu'il faut toujours garder clairement à l'esprit son objectif : survivre. Survivre quelques heures de plus, et accumuler ainsi un jour de plus, qui additionné à d'autres pourra devenir une semaine de plus. Et ainsi de suite : ne jamais faire de grands projets, ne jamais avoir de grands objectifs, seulement survivre à chaque instant. Vivre est un verbe qui ne se conjugue qu'au présent. »

Dans le bloc 31, Alfred « Freddy » Hirsch, un éducateur sportif, fonde un ersatz d’école. Il parvient à convaincre les autorités allemandes qu’occuper les enfants dans un baraquement faciliterait le travail des parents. Si le bloc 31 devient un bloc d’activité ludique, l’enseignement de la moindre matière scolaire y est interdit. Hirsch contourne cette prohibition et enseigne aux enfants grâce aux livres que les prisonniers ont réussi à dissimuler aux gardiens de camp. 

Un charpentier polonais en a apporté trois, un électricien slovaque deux autres. Employés à des tâches de maintenance, ils se déplacent plus facilement dans le camp et apportent leur trésor à Hirsch. La bibliothèque clandestine contient huit ouvrages : Brève Histoire du monde d’Ernst Gomdrich (1936), un atlas, un traité élémentaire de géométrie, une grammaire russe, Le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas, un essai de Sigmund Freud, un roman en russe qui n’a pas de couverture et un roman tchèque.

Dita Kraus en 1942 avant sa déportation dans les camps.Quand arrive « le curé », surnom donné au sous-officier SS car ses mains sont rentrées dans ses manches à la façon d’un prêtre, il faut se tenir à carreau. « Les leçons s'arrêtent et se transforment en banales chansonnettes en allemand ou en jeux de devinettes afin de feindre que tout est en ordre lorsque les loups aryens pointeront le bout de leur regard blond. »  

Au moment de l’inspection ont lieu des interrogatoires au cours desquels on questionne les plus petits pensant profiter de leur naïveté. Mais il n’en est rien. Les SS fouillent de fond en comble le baraquement. Ils traquent tous les effets personnels auxquels les prisonniers n’ont pas droit et en priorité les livres.

Censure, autodafés... la littérature a toujours été la bête noire de ceux qui voulaient avoir le contrôle sur les autres. « Au cours de l'Histoire, tous les dictateurs, tyrans et répresseurs, qu'ils soient aryens, noirs, orientaux, arabes, slaves ou de n'importe quelle autre couleur de peau, qu'ils défendent la révolution du peuple, les privilèges des classes patriciennes, le mandat de Dieu ou la discipline sommaire des militaires, quelle que soit leur idéologie, tous ont eu un point commun : ils ont toujours traqué les livres avec acharnement. Les livres sont très dangereux, ils font réfléchir. »

Hirsch a besoin d’aide pour mener à bien sa mission éducative. Si la solidarité entre les prisonniers est un soutien utile et nécessaire, il lui faut une personne de confiance. Il se tourne vers Dita, quatorze ans, et lui confie la charge de veiller sur la bibliothèque clandestine. Les livres offrent une promesse d’évasion. Sortir du camp par la pensée, car l’imagination n’a pas d’horizon. 

Au péril de sa vie, Dita protège son trésor. Chaque nuit, elle cache les livres dans des endroits différents. Avant de les enfouir sous le parquet, elle les transporte dans les coutures de sa robe trop large. Elle les donne aux professeurs. Certains des professeurs n’ont pas besoin de support. Ils maîtrisent parfaitement certaines œuvres littéraires et deviennent des « personnes-livres ». Ils racontent aux enfant les histoires qu’ils connaissent pratiquement par cœur.

Dita prend soin de ces livres. La plupart des ouvrages sont en lambeaux. Ils sont aussi précieux et fragiles que les vies des prisonniers. « La technique géographique, qui nous permettait de connaître la forme du monde ; l'art de la littérature, qui multipliait la vie d'un lecteur par des douzaines d'autres ; le progrès scientifique que signifiaient les mathématiques ; l'histoire, qui nous rappelait d'où nous venions et nous aiderait peut-être à décider vers où aller ; la grammaire, qui permettait de tisser les liens de la communication entre les gens... Plus qu'une bibliothécaire, Dita était devenue ce jour-là une infirmière de livres. » 

Sa mission la maintient en vie, mais ses proches aussi. Dita parvient à voir ses amies et ses parents, qui ne survivront pas au camp.

Enfants montrant leur numéro d'identification lors de la libération du camp d'Auschwitz en 1945.

À la Libération, Dita épouse Otto, son camarade du bloc 31 qui faisait des tours de magie.  Ils s’installent en Israël en 1949 suite à la montée du communisme en République tchèque. Ils deviennent tous les deux enseignants et ont trois enfants. 

Un jour, en Israël, Dita recroise un enfant du bloc 31 qu’elle aimait beaucoup et à qui elle avait offert une règle. Il est devenu un grand chef d’orchestre. Sa règle de direction ? Celle de Dita. 

Aujourd’hui âgée de 91 ans, elle vit seule à Netanya depuis la mort de son mari. Entourée de ses quatre petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants, elle se bat pour faire vivre la mémoire des victimes de la Shoah. 

Vendu dans 24 pays, à plus de 600.000 exemplaires, La Bibliothécaire d’Auschwitz pourrait être prochainement adapté au cinéma. Histoire vraie aux aspects romanesques, le témoignage de Dita Kraus est, comme tous les témoignages des survivants des camps de la mort, nécessaire et exemplaire.

À la lecture du roman d’Iturbe, Dita est fâchée que l’auteur la présente comme une héroïne, mais si ce n’est pas comme ça qu’elle se perçoit, les lecteurs sont unanimes, Dita est bel et bien une héroïne. 

En sauvant ces livres, elle a aidé les prisonniers à conserver une part d'humanité. Comme l'écrivait avec justesse William Faulkner, « La littérature a le même effet qu’une allumette craquée au cœur de la nuit au milieu d’un bois. Une allumette n’éclaire presque rien, mais elle permet de mieux voir l’épaisseur de l’obscurité qui règne autour. » 

 

Publié ou mis à jour le : 2020-12-18 18:51:19

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net