Mars 2003

Jacques Chirac et l'Histoire

Historia (N° 676, avril 2003)Dans son numéro 431 d'octobre 1982, le magazine Historia a posé la question : Français, aimez-vous l'Histoire ? Le magazine a ajouté à son sondage les opinions de quelques personnalités. Deux d'entre elles émergent par la qualité de leurs réponses. L'une n'est autre que Jacques Chirac, alors maire de Paris et âgé de 50 ans; l'autre est Laurent Fabius, présidentiable de gauche, alors ministre du budget et âgé de 36 ans...

Extrait du magazine Historia (octobre 1982) :

Jacques CHIRAC, Maire de Paris

1. Y a-t-il dans l'Histoire une période qui vous intéresse particulièrement ?

J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer dans votre magazine mon intérêt pour l'empire de Gengis Khan, la Chine des Song et des Ming et, en France, pour le Moyen Âge, véritable creuset de la civilisation moderne qui prend forme dans un jaillissement de vitalité, d'humanisme et de foi. S'y ajoute actuellement une réelle curiosité pour toute la période de la Renaissance.

L'âge médiéval est marqué par une croyance obscure en un Dieu omniprésent, redoutable bien que familier, qui suscite un culte proche du panthéisme, ou des déviances de sorcelleries.

La Renaissance, au contraire, c'est la foi en l'homme, en l'infini de ses possibilités. Il y a là une prodigieuse soif de découvertes, le besoin de se situer dans un monde dont les contours se précisent peu à peu et, parallèlement, la prise de conscience de l'«autre» - civilisations différentes révélées par les grands navigateurs -, et donc l'apprentissage de la tolérance.

Dans la psyché collective, se mêlent orgueil et humilité car, grâce à Copernic et plus tard à Galilée, l'homme de la Renaissance commence à avoir une juste appréhension de la place de la terre dans l'univers, en sorte qu'il acquiert la notion de ses limites en même temps que de sa puissance : se profilent déjà les deux infinis de Pascal. Ce double mouvement s'accompagne de cette vitalité, de cette relation directe aux forces de vie héritées du Moyen Âge. C'est à la fois Montaigne et Rabelais, la truculence et l'importance croissante des arts.

Je trouve passionnante cette période contradictoire et féconde pendant laquelle, pour la première fois, l'homme prend en charge son propre destin au lieu de se sentir mû par des puissances mystérieuses.

2. Avez-vous un personnage préféré ?

Parmi les fédérateurs, les rassembleurs pour lesquels j'ai toujours eu beaucoup de sympathie, j'éprouve une prédilection pour Philippe le Bel, qui est d'ailleurs liée à mon intérêt pour le Moyen Âge.

Dans une époque troublée, dans une France éclatée et soumise à quelques grands féodaux, il a su donner au concept de patrie une réalité concrète. Il a fortifié, pacifié, tout simplement construit le royaume, poursuivant inlassablement son projet d'unité nationale par des mariages judicieux, une diplomatie habile et des interventions armées, quand elles s'avéraient nécessaires.

Comme tous les grands rois, Philippe le Bel fut un remarquable législateur qui est parvenu à mettre en place une première ébauche d'administration centralisée. Il a su s'entourer des meilleurs serviteurs de l'État, uniquement soucieux du bien public comme, par exemple, Enguerrand de Marigny. Sans doute, il fut un monarque très autoritaire, qui faisait peser sur la France une main de fer, et qui s'est débarrassé des Templiers - véritable État dans l'État - d'une manière pour le moins radicale.

Pourtant, il a joué un rôle essentiel dans l'histoire de notre pays, bien que son oeuvre ait été défaite par la médiocrité de ses successeurs et, bien sûr, par la guerre de Cent Ans : il est plus facile en effet de reconquérir ce qui a été perdu plutôt que d'inventer ex nihilo une réalité nationale.

3. Y a-t-il un personnage qui vous est particulièrement antipathique ?

D'une manière générale, je n'ai pas une grande sympathie pour tous ceux qui avancent dans le brouillard... Dans le passé, je pense au neveu de Philippe le Bel, Jean, abusivement surnommé «le Bon», qui fut un exemple de ces personnalités faibles, dépourvues d'une vision synthétique des choses, se décidant à contretemps, en fonction de leur entêtement et de leur vanité.

Il laissa déliter le patrimoine territorial, donnant à ses fils d'immenses apanages qui devinrent des États dans l'État, dilapida les réserves, en particulier monétaires, accumulées par ses prédécesseurs et notamment par son oncle.

Il trouva le moyen d'être vaincu à la bataille de Poitiers alors que le rapport des forces en présence penchait très largement en sa faveur, et, pour finir, ruina la France, qui dut verser l'énorme rançon exigée par les Anglais pour le libérer.

Il est assez effrayant de constater que le seul règne d'un monarque incompétent suffise à affaiblir un pays et détruire ce qu'il avait patiemment et courageusement édifié.

4. Y a-t-il un personnage que vous connaissez mal mais qui vous intrigue et sur lequel vous aimeriez en savoir davantage ?

Je suis assez intrigué par la personnalité et la vie d'Aliénor d'Aquitaine... Sa vie me semble marquée par une aventure artistique : sa cour occitane était un des rares foyers culturels du haut Moyen Âge, qui attirait les troubadours en renom. Une aventure politique aussi puisqu'elle épousa successivement le roi de France Louis VII et le roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt...

Je pense qu'elle fait partie de ces femmes qui ont laissé leur empreinte dans l'Histoire, parce qu'il y avait en elles de l'artiste, du politique, du chef militaire, comme plus tard Jeanne d'Arc, Catherine II de Russie, la duchesse de Chevreuse, Elisabeth 1ère d'Angleterre.

5. Pouvez-vous citer un ouvrage ou un roman historique que vous relisez ou que vous avez relu ?

Je relis volontiers La Guerre de Cent Ans de Jean Favier, et l'Histoire des croisades... Je suis très intéressé par le phénomène religieux et militaire de la croisade, ce mélange de splendeur et de misère, où se mêlent la quête d'absolu, les motivations mystiques, et les pires exactions. Je trouve assez fascinant cet élan qui portait toute la chevalerie d'Occident sus à l'Infidèle, vers la Palestine ou l'Afrique du Nord. Même si les croisades trouvaient souvent leurs justifications véritables dans des considérations financières, politiques ou hégémoniques. Quelles qu'en soient les coulisses, c'était quand même la «foi en acte», chère, par exemple, à Bernanos.....

Publié ou mis à jour le : 2021-11-11 11:40:16

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