Avril 2007

Présidentielles : trois candidats face à l'Histoire

Le président de la République française est un véritable roi sans couronne. Aussi la personnalité de l'élu a-t-elle plus d'importance que ses promesses de campagne.

Que penser des trois principaux postulants, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, qui replacent la Nation au coeur du débat, et François Bayrou, le centriste européen ?

Présidentielles 20077 avril 2007 : le choix du prochain président de la République française est aussi important que pouvait l'être l'avènement d'un nouveau Capétien. C'est en effet un roi sans couronne que la France va porter à sa tête pendant cinq ans.

La personnalité de l'élu orientera l'avenir du pays bien plus que ses promesses de campagne comme le prouvent les élections précédentes : les 110 engagements du candidat François Mitterrand en 1981 ont résisté à la réalité pendant deux ans seulement et il n'en est resté que l'abolition de la peine de mort ; en 1995, de même, les promesses du candidat Jacques Chirac ont été enterrées au bout de quelques mois... et sa réforme la plus importante, à savoir la professionnalisation de l'armée, était absente de ses promesses électorales !

Des parcours très contrastés

L'élection des 22 avril et 6 mai 2007 se jouera entre trois candidats susceptibles d'être élus :
• Nicolas Sarkozy, représentant de la majorité sortante et favori des sondages ; il capte la majorité de l'électorat de droite malgré la concurrence de Jean-Marie Le Pen,
• Ségolène Royal, plébiscitée par les militants socialistes ; elle profite à gauche de la faiblesse de ses rivaux d'extrême-gauche,
• François Bayrou rassemble l'électorat du centre ; il attire aussi des électeurs de droite désireux d'éliminer la gauche dès le premier tour, ainsi que des électeurs de gauche convaincus qu'il est le mieux à même de battre le favori de la droite.

Affiche de campagne de Nicolas Sarkozy (2e tour des élections de 2007)Pour ses amis, Nicolas Sarkozy eut mérité dans la tradition capétienne le surnom de Nicolas le Bon, eu égard à sa formidable énergie et à ses talents d'orateur (bon est à prendre au sens d'énergique ou brave, comme chez le roi Jean le Bon qui se jeta tout feu tout flamme dans la mêlée à Poitiers). Pour ses ennemis, ce serait plutôt Nicolas le Hutin ou le Querelleur, du fait de ses nerfs à fleur de peau (comme Louis le Hutin, dont l'Histoire a surtout retenu qu'il avait été trompé par sa femme Marguerite de Bourgogne).

Son attitude inspire parfois de la gêne. Sur un plateau de télévision, il se montre déférent à l'égard de la journaliste : «Comme vous le savez, Arlette Chabot...», mais aux citoyens lambda qui l'interpellent respectueusement («Monsieur Sarkozy...»), il s'adresse avec familiarité, au bord du tutoiement : «Je suis d'accord avec vous, Paulo... Vous avez raison, Brigitte...».

Le trait le plus caractéristique de Nicolas le Bon est son ambition, ce qui lui vaut d'être dépeint par le caricaturiste Plantu sous les traits du vizir de bande dessinée Iznogoud («Is no good»). Dans le sillage de son mentor Jacques Chirac, il poursuit depuis l'adolescence un unique but : accéder à la première place. Il y emploie toute son énergie.

Très réceptif aux inquiétudes des Français et à leur aspiration au changement, il a levé le tabou du rapprochement de la droite et de l'extrême-droite et repris à son compte les thèmes de cette dernière.

Il dit à chacun ce qu'il a envie d'entendre et multiplie les promesses avec le risque de quelques contradictions. Ainsi, il s'engage un jour à limiter le regroupement familial des étrangers et un autre jour à instituer la discrimination positive ou «accorder la citoyenneté française à toutes les femmes martyrisées dans le monde» (Le Figaro, 7 avril 2007), ce qui concerne au bas mot un milliard de personnes !

Étiqueté comme libéral en économie, il annonce qu'il n'aura rien de plus pressé à l'Élysée que de réduire les droits de succession sur les gros héritages. Ce cadeau à ceux qui «ne se sont donnés que la peine de naître» (Beaumarchais) contraste avec la morale affichée par de grands libéraux comme Bill Gates ou Warren Buffett, qui préfèrent léguer l'essentiel de leur fortune à de bonnes oeuvres plutôt qu'à leurs enfants !

Nicolas est un bosseur qui étudie ses dossiers à fond. Il se présente comme un homme d'action et un fonceur et se fait fort d'imposer en quelques mois ou deux ans ce que ses prédécesseurs n'ont pas réussi depuis dix ou vingt ans : service minimum dans les transports, réduction accélérée du nombre de fonctionnaires, plus aucun SDF dans la rue, réduction drastique des impôts et des charges...

à Paris, dans une famille bourgeoise, d'une mère avocate et d'un père issu de l'aristocratie hongroise, coureur de jupons et flambeur, Nicolas a souffert d'avoir été rejeté avec mépris par celui-ci. L'élection est sa revanche et l'aboutissement de sa vie. L'Élysée est pour lui une fin, pas un commencement. Lui-même confesse que l'imminence de la victoire lui fait craindre de s'ennuyer ensuite. L'énergie et la détermination qui font l'admiration de ses partisans pourraient bien alors fondre comme neige au soleil...

Ses meilleurs amis dans le grand patronat ne sont pas des «self-made men» mais des «fils de», des héritiers : Arnaud (Lagardère), Martin (Bouygues), Michel-Édouard (Leclerc)... comme lui peut-être oppressés par l'ombre paternelle. Encore plus curieux : en 2006, lorsqu'il s'est agi de régulariser des familles étrangères, Nicolas, alors ministre de l'Intérieur, a confié une mission de médiation à Arno, un «adulescent» (adulte-adolescent) de 40 ans dont la notoriété vient exclusivement de ses parents, les grands avocats anti-nazis Beate et Serge Klarsfeld.

La culture n'est pas sa tasse de thé. Sans doute par manque de temps (peut-être aussi par manque de prédispositions génétiques : le petit Nicolas a redoublé sa sixième et échoué à l'examen final de Sciences Po;-). Quand le candidat parle philosophie avec l'écrivain Michel Onfray, c'est pour tenir des propos de café du commerce sur l'origine génétique de la pédophilie et du suicide, propos ahurissants dans la bouche d'un possible futur président («Est-ce normal de désirer un enfant de trois ans ? Je voudrais porter un témoignage personnel... ça ne m'a jamais traversé l'esprit»). Paradoxe : Nicolas est hyperactif mais pas aventurier pour un sou. Il a effectué son premier voyage aux États-Unis à 31 ans à l'invitation du gouvernement américain... Le candidat est relativement jeune mais ses références culturelles fleurent bon les années 60 : Enrico Macias, Mireille Mathieu, John Wayne, Marylin Monroe.

[on peut lire avec intérêt le portrait au vitriol du candidat, par l'hebdomadaire Marianne]

Affiche de campagne de Ségolène Royal (2e tour des élections de 2007)La culture n'est pas non plus le fort de Ségolène Royal (elle-même n'a d'abord rien trouvé à redire aux bêtises de Nicolas sur la génétique !). Mais qu'importe. L'essentiel n'est pas là. La candidate socialiste mérite le surnom de Ségolène la Hardie (comme le roi Philippe III ou le duc Philippe de Bourgogne) au vu de sa marche triomphale de l'automne 2006 qui lui a valu l'investiture de son parti au détriment d'«éléphants» autrement plus aguerris qu'elle.

Née dans la famille d'un officier quelque peu rigide, version droite traditionnelle, elle accomplit non sans mérite un excellent parcours jusqu'à l'Élysée, dans le cercle des conseillers de François Mitterrand. Ambitieuse et avide de reconnaissance, elle gravit toutes les marches de la hiérarchie : députée, plusieurs fois ministre (Environnement, Enseignement scolaire, Famille), enfin présidente de Région.

Jusqu'en 1995, elle sert loyalement son compagnon, François Hollande, et l'aide à conquérir le parti. Elle-même postule sans guère d'espoir à l'investiture socialiste pour les présidentielles de 1995, contre Henri Emmanuelli et Lionel Jospin. En 1997, elle se porte à nouveau candidate, cette fois pour la présidence de l'assemblée nationale, contre Laurent Fabius. Mais rien, surtout pas son modeste parcours ministériel, ne lui permet d'espérer un quelconque succès.

C'est seulement après que Ségolène ait conquis la présidence de la région Poitou-Charentes, en 2004, que l'opinion publique commence à lui voir un destin national. Mais pour qu'il se concrétise, il faut encore le référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne et l'implosion du parti socialiste.

Ségolène peut alors se présenter en candidate du renouveau face à des leaders délégitimés par leur échec et affaiblis par leurs dissensions publiques. D'emblée, elle rejette les conventions langagières de la gauche française et décomplexe les militants en reprenant à son compte les thèmes ordinaires de la droite (sécurité, autorité, justice).

Elle est aussi servie par sa qualité de femme... et sa séduction. Notons que l'on compte sur les doigts d'une main les réflexions misogynes à son égard, preuve que les citoyens français, plus ouverts que la classe politique elle-même, ont parfaitement admis l'éventualité d'une Présidente en jupe.

La candidate ne manque cependant pas de détracteurs, y compris dans son parti, qui l'accusent de mal étudier ses dossiers. Ils lui reprochent sa suffisance. Elle se défend de ces accusations en promouvant la «démocratie participative», qui revient à laisser parler les militants dans les réunions électorales !

Ségolène la Hardie peine à tenir le cap entre un projet de gauche traditionnel inadapté à la donne actuelle et un discours plus droitier sur l'«ordre juste», l'autorité nécessaire et le retour aux symboles patriotiques (drapeau et Marseillaise).

De la même façon, elle entretient l'incertitude entre la promesse du renouveau et le retour à 1981 (arrivée de la gauche au pouvoir) qu'il lui arrive d'appeler de ses voeux. Sa garde rapprochée suscite des interrogations : de Jack Lang à Jean-Pierre Chevènement en passant par Pierre Mauroy, les papys sont de retour. Alors, bond en avant ou bond en arrière ?

D'abord ignoré par les médias, François Bayrou, candidat d'un petit parti centriste, a bousculé toutes les prévisions en s'immisçant dans le duel entre Nicolas le Bon et Ségolène la Hardie.

Ses amis et ses adversaires pourraient s'entendre pour lui attribuer le surnom de Sage (comme Charles V qui redressa la France avec Du Guesclin) :
- ses amis voient dans ce surnom l'expression de sa capacité à rassembler les Français et à les mobiliser autour d'un objectif commun, tissé de compromis et d'efforts,
- ses adversaires y voient la marque de l'immobilisme quand eux-mêmes rêvent de redresser le pays à coup de mesures choc (plutôt sociales à gauche, plutôt sécuritaires à droite). Ils soulignent que le candidat a le plus souvent servi la droite et rappellent sa maladresse comme ministre de l'Éducation nationale il y a dix ans lorsqu'il tenta de faire passer en force une réforme de la loi Falloux.

Né dans une ferme du Béarn, élève studieux (agrégation de lettres), François le Sage a retenu de son parcours (et de sa malheureuse expérience à l'Éducation) que l'on ne réforme pas la France en la brutalisant.

Cela vaut pour la politique intérieure et plus encore la politique étrangère, domaine réservé du chef de l'État : on ne s'adresse pas à des leaders étrangers comme à des concitoyens lambda sur un plateau de télévision, à coup de rodomontades ! Il y faut une grande capacité d'écoute et un solide sens de la dialectique, choses en lesquelles le Béarnais croit exceller.

François le Sage est un dilettante qui prend la vie du bon côté, bien dans sa tête, à l'aise avec ses concitoyens de quelque milieu qu'ils soient. C'est aussi un homme qui a une très haute opinion de lui-même. Son ego est plus grand que son ambition. Il considère volontiers qu'il accèdera au pouvoir si les événements l'y poussent et si la Providence le veut... À l'image des hommes d'État qui, tels de Gaulle ou Churchill, ont trouvé leur 18 Juin ou leur 10 Mai (1940) mais auraient pu aussi bien finir leur vie dans un semi-anonymat.

Auteur d'une biographie à succès du roi Henri IV pour lequel il a de l'admiration, il se verrait en réconciliateur d'une France paralysée par les guerres partisanes, divisée et troublée.

Ses atouts sont sa personnalité et son parti. Celui-ci est l'héritier de la démocratie chrétienne et de la social-démocratie, les deux courants politiques qui ont reconstruit la France après la Seconde Guerre mondiale, amorcé la décolonisation et jeté les bases de l'Union européenne. Tout cela en une dizaine d'années ! Ces courants politiques dont se réclame François Bayrou ont fait la preuve qu'il était possible à une coalition de centre-gauche de moderniser le pays et de lui conserver son rang dans le monde sans heurts inutiles...

Plus près de nous, dans le dernier quart de siècle, les deux seuls Premiers ministres qui ont conservé une popularité élevée jusqu'au terme de leur gouvernement sont aussi les héritiers de ces courants : Michel Rocard (social-démocrate, centre gauche) et Édouard Balladur (centre droit). Notons que le premier a gouverné de 1988 à 1991 avec seulement une majorité relative à l'assemblée nationale. C'est la preuve qu'un gouvernement a tout à gagner à avoir en face de lui des députés critiques et vigilants plutôt que des «godillots».

Un choix historique

Las, après un demi-siècle de régime présidentiel semi-monarchique, beaucoup de Français ont du mal à croire aux vertus de la démocratie parlementaire... Peut-être en veulent-ils à la classe politique d'avoir ignoré leur vote du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne?

Plus que jamais, ils sont portés à s'en remettre à un homme énergique, parlant fort et tapant du poing sur la table, comme en Pologne, en Slovaquie ou encore aux États-Unis, avec l'espoir que «ça bouge enfin».

Qu'importe que cela débouche sur une insécurité généralisée, voire la ruine de l'économie comme en Argentine ou la destruction de la démocratie comme au Chili... Le cas chilien mérite notre attention : élu en 1970 sur un programme de «rupture» grâce à la désunion de ses adversaires, Salvador Allende s'est engagé dans une fuite en avant qui a débouché au bout de trois ans sur une explosion de la société. Le pays ne s'en est pas encore remis.

L'espoir d'une «rupture salvatrice» est partagé par de nombreux intellectuels comme Jacques Attali ou André Glucksmann que l'on a connus plus circonspects dans l'analyse des grands drames du passé, en général nés de ce faux espoir.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2020-12-05 16:07:55

Voir les 8 commentaires sur cet article

Bernard (22-05-2012 09:15:43)

Vraiment déçu par cet article qui présente ces trois personnalités de façon très superficielle, très ironique et très partiale !!! de la part d'Hérodote, je m'attendais à quelque chose de pl... Lire la suite

Boutté Jacques (05-05-2007 18:27:41)

Remarque pour Jean-René : Quand, en français, on parle de Président sans désigner nommément quelqu'un, on emploi toujours la forme masculine, notre langue ignorant le neutre. C'est une règle con... Lire la suite

Marie (18-04-2007 00:55:54)

Je m'étonne de la réflexion d'Itsas puisque la première chose que j'ai remarquée dans le portrait de BAYROU c'est justement la mention de ses maladresses en tant que Ministre de l'Éducation natio... Lire la suite

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