Les tombeaux, un miroir de la société romaine (Ier-IIIe s. ap. JC)

Décor et architecture des monuments funéraires

14 août 2019. Avec l'équipe franco-italienne du Centre Jean Bérard (USR3133-CNTS-EFR), Dorothée Neyme a fouillé la nécropole romaine de Cumes, non loin de Naples, et fait l'inventaire des décors funéraires de la Campanie du Ier à la fin du IIIe siècle. Elle a eu l'idée de comparer ces données inédites aux trouvailles archéologiques de la Campanie, dont la région de Pouzzoles, un grand port de l’époque romaine.

L'étude des peintures murales, de l’architecture des tombeaux mais aussi des inscriptions funéraires et des traces laissées par les artisans lui a permis de retrouver toutes les strates sociales de la société romaine !

Pourquoi avez-vous choisi ces limites chronologiques et géographiques ? Quelles sont les particularités des peintures et architectures que vous avez étudiées ?

Cette période correspond à un moment de l’histoire où la production picturale est mal connue. En effet on s’est beaucoup intéressé à la peinture pompéienne (IIe av. – Ier ap.), à la peinture funéraire étrusque et grecque (VIIIe-IIe av.) ainsi qu’à la peinture chrétienne plus tardive. Celle-ci se développe véritablement au IIIe siècle, au début de la crise de l’Empire romain et offre souvent des représentations narratives. En revanche, la période intermédiaire (Ier-IIIe), où les peintures sont moins impressionnantes et dans un état bien plus fragmentaire, a été laissée de côté.

La destruction de Pompéi en 79 ap. J.-C. entraîne la conservation exceptionnelle des peintures romaines présentes. Les historiens se sont donc concentrés sur l’histoire de la peinture romaine jusqu’en 79, mais on a ensuite une lacune dans les études de la peinture murale. Cette période correspond aussi à une phase de changement social. Pour simplifier : les affranchis plus nombreux s’enrichissent, deviennent plus puissants et cela se retrouve dans les constructions funéraires. Mon corpus est constitué en grande partie de ces tombes monumentales le plus souvent décorées.

À l’époque, la Campanie faisait partie de la même région administrative que Rome. C’est là que les empereurs et leurs proches avaient leurs villégiatures. Il faut donc mettre en lien cette région riche, culturellement et économiquement, avec la capitale. En effet, les propriétaires fortunés pouvaient faire venir de Rome leurs artisans avec leur savoir-faire.

Il est intéressant de constater qu’en comparant les décors des monuments funéraires aux décorations domestiques, on retrouve les mêmes motifs. On peut donc faire l’hypothèse queles ateliers étaient spécialisés dans une technique, mais qu’ils décoraient ensuite des intérieurs de maisons comme de tombeaux.

Décor du tombeau hypogée D50 dans la nécropole romaine de Cumes

Plusieurs univers sociaux se rencontrent dans les monuments funéraires, ceux qui sont enterrés, ceux qui ont participé à leur construction… Qu’est-ce que les fouilles archéologiques peuvent nous apprendre sur eux?

Les matériaux utilisés dans les tombeaux ne sont pas très luxueux : on a beaucoup de peintures et de stuc, de corniches moulées, quelques mosaïques mais pas de marbre quiétait très coûteux.

Cela nous permet d’avoir une idée de la richesse et de la position sociale des personnes enterrées. Les tombeaux étaient généralement collectifs, regroupant des corporations ou des familles au sens élargi. La tombe était très importante pour la représentation sociale et peut-être que les gens s’endettaient pour avoir de beaux tombeaux; en tout cas, il fallait être très pauvre pour ne pas en avoir.

À travers les traces laissées par l’artisanat (des gouttes tombées sur le mur ou des marques de compas), on a accès au travail des ouvriers et des artisans d’art. Cela nous permet d’avoir une idée de l’organisation des chantiers, de l’ordre suivant lequel les parois étaient peintes et encore des phases de construction successives.

Votre thèse souligne le rapport étroit entre les peintures et l’architecture. Qu’est-ce que cette mise en relation apporte à notre compréhension du monde romain?

Décor du tombeau A41 de la nécropole romaine de CumesComme les motifs étaient souvent les mêmes dans l’espace domestique et dans les nécropoles, il faut étudier l’ensemble d’un bâtiment pour bien comprendre sa valeur funéraire (ce qui est compliqué quand on n’a conservé que des fragments !). La peinture est seulement un élément faisant partie d’un ensemble architectural.

De plus, l’architecture conditionne l’élaboration des motifs, qu’on choisit suivant la surface à décorer. Sur une surface large on aura tendance à développer une scène avec personnages ou des animaux ; sur des surfaces étroites, on aura plutôt des motifs végétaux. A travers l’étude des décors, il n’est pas aisé de comprendre vraiment les croyances romaines, même en croisant les données avec des textes de l’époque. Les romains restent pudiques sur leurs croyances et les peintures retrouvées semblent plutôt exprimer une célébration de la vie qu’une croyance dans un au-delà.

Pour mettre en lien le plus d’éléments possibles, on travaille en équipe avec des anthropologues par exemple qui analysent les os trouvés sur le site, qu’on relie ensuite aux études des épigraphistes qui déchiffrent les inscriptions funéraires. Les tombeaux font aussi partie d’une géographie plus large. Situés le long des voies menant à la ville, ils sont vus de tous et sur leur façade des inscriptions interpellent les voyageurs qui peuvent s’asseoir sur des bancs. La position de la tombe nous donne des indices sur sa visibilité et donc sur le statut des personnes enterrées : d’une manière générale plus on était riche, mieux les tombeaux étaient décorés et plus la tombe était en vue. À travers la hiérarchie des tombeaux, on retrouve la hiérarchie des vivants !

Propos recueillis par Soline Schweisguth
L'auteure : Dorothée Neyme

Dorothée Neyme est archéologue et toichographologue (spécialiste des peintures murales).

En décembre 2017, elle a soutenu sa thèse Décor et architecture des monuments funéraires de la fin du Ier s. de n. è. à la fin du IIIe s. à Cumes et en Campanie sous la direction de Renaud Robert (Université Aix-Marseille) et Irene Bragantini (Università degli Studi di Napoli « L’Orientale »). Ses travaux actuels s'intéressent également à l'histoire du collectionnisme et à la réception de l'Antiquité à travers des vestiges provenant de Campanie qui, à partir du XVIIIe siècle, ont été éparpillés en Europe.

Elle participe également à des activités de vulgarisation vers le grand public, notamment des ateliers d'archéologie expérimentale avec des enfants et des participations à des documentaires, notamment sur la conservation et la mise en valeur de la nécropole romaine de Cumes.

Publié ou mis à jour le : 2020-09-21 14:14:29

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