29 avril 2011. Pour l’immense majorité des Français, la monarchie apparaît comme l’antithèse de la modernité et de la démocratie. C’est au point que le mot république (contraire de monarchie) est, en France, devenu synonyme de démocratie.
Peut-on comprendre dans ces conditions que des Européens, aujourd’hui encore, endurent avec le sourire monarchies, carrosses, sacres et couronnes ? Plaidoyer d’un républicain pour une institution archaïque...
Les noces de William et Kate, futurs souverains de Grande-Bretagne et d'Irlande, le 29 avril 2011 à Westminster, furent le grand événement médiatique et cathodique du printemps 2018, avant celles d'Albert de Monaco et Charlene, en juillet de la même année.
Dans la France républicaine, on se gausse volontiers de ces rituels désuets, aux antipodes de notre moderne vision du monde et de la politique. Et chacun de guetter le moment où les Britanniques, enfin, ouvriront les yeux et se rallieront à la République. Disons-le clairement, ce n'est pas pour demain, ni même après-demain.
Fausse monarchie, vraie république...
Pour nous défaire de nos œillères et comprendre l'attachement très majoritaire des Britanniques et de quelques autres peuples européens à la monarchie, observons en premier lieu que ces peuples-là comptent parmi les plus démocratiques de la planète, sinon les plus prospères. Ainsi en va-t-il du Royaume-Uni, de la Norvège, de la Suède, du Danemark, des Pays-Bas et du Luxembourg mais aussi de la Belgique et de l'Espagne.
Dans ces deux derniers pays, les difficultés conjoncturelles, liées aux tensions séparatistes (Flandre, Catalogne, Pays Basque), seraient très certainement bien plus graves sans le lien symbolique que représente la royauté.
• En Belgique, où elle remonte à seulement 170 ans, la royauté demeure envers et contre tout le ciment qui empêche l'éclatement du pays. Par sa détermination et son courage, le roi Albert Ier a fait de son pays une véritable Nation en résistant à l'invasion allemande en 1914.
• En Espagne, où elle a été rétablie il y a à peine 35 ans, après une tragique éclipse de 45 ans, elle a incontestablement facilité la transition du franquisme vers la démocratie. La force symbolique de la monarchie a permis de surmonter le coup d'État du 23 février 1981 ainsi que de différer la sécession de la Catalogne.
En-dehors de ces aspects particuliers, les monarchies européennes attestent d'un fonctionnement démocratique exemplaire et sans bavure.
Si l'on se conforme au discours en vogue aujourd'hui en France, qui confond république et démocratie (« pacte républicain », « valeurs républicaines »...), ces monarchies sont des « républiques », au sens où l'entendent les Français, et d'authentiques démocraties représentatives, pour parler le langage des constitutionnalistes.
Le monarque est le chef de l'État, l'équivalent d'un président de la République. Mais il ne dispose que d'un pouvoir symbolique et d'une fonction de représentation. Ces monarchies sont donc nécessairement des régimes parlementaires.
Le pouvoir y est exercé par le Parlement, lequel est constitué de deux assemblées selon une vieille tradition héritée de l'Angleterre :
• Une Chambre haute (Chambre des Lords ou Sénat), à recrutement plus ou moins aristocratique et élitiste (élections au suffrage indirect, à deux niveaux), avec une fonction législative généralement limitée au contrôle et à la validation des lois.
• Une Chambre basse (Communes, assemblée législative ou Chambre des députés), avec des représentants élus au suffrage direct et plus proches du peuple.
La Chambre basse vote les lois et en partage l'initiative avec le chef de l'exécutif. Plus important encore, elle désigne la personnalité que le monarque se fera une obligation d'appeler à la tête du gouvernement, pour administrer le pays et mettre en application les nouvelles lois. Il s'agit en général du chef du parti majoritaire. Une fois nommé Premier ministre, il n'a de comptes à rendre qu'à l'assemblée législative et à la majorité qui l'a mis en place.
Si le Premier ministre se montre défaillant ou devient décidément trop impopulaire, son propre parti peut lui retirer sa confiance et le remplacer par une personnalité plus acceptable, dans l'espoir d'éviter une défaite aux élections législatives suivantes ou tout simplement dans l'intérêt de la nation.
À l'heure la plus grave de leur histoire, le 10 mai 1940, après que l'Allemagne de Hitler eut attaqué ses voisins occidentaux, les députés anglais ont poussé vers la sortie le Premier ministre Neville Chamberlain, coupable de s'être montré trop accommodant avec le Führer, et l'ont derechef remplacé par Winston Churchill. Plus près de nous, le 28 novembre 1990, Margaret Thatcher a été débarquée par le groupe parlementaire conservateur au profit de John Major à la suite des troubles ayant suivi l'annonce de la « poll tax ».
On peut discuter de la pertinence de ce régime. Force est de reconnaître qu'il est démocratique, stable... et ouvert au progrès. Le député travailliste Denis MacShane note que les monarchies européennes sont en général plus avancées sur le plan social et sociétal que les républiques du même continent. « Si Marx était vivant aujourd'hui, serait-il monarchiste ? » se demande-t-il avec humour (Le Monde, 29 avril 2011).
Notons que de nombreuses républiques ont également un régime parlementaire, avec un président sans plus de pouvoir qu'un monarque et voué à l'inauguration des chrysanthèmes : Allemagne, Italie, Finlande, etc.
En marge de l'aspect politique, ne sous-estimons pas l'aspect symbolique de la monarchie. Le souverain représente l'État, à l'étranger comme dans toutes les manifestations protocolaires. C'est très pratique pour le chef du gouvernement qui est ainsi déchargé de ces corvées... comme doit se le dire avec regret le président des États-Unis, lequel est mobilisé la moitié de son temps par les obligations protocolaires en sa double qualité de chef du gouvernement et chef de l'État !
Plus sérieusement, la personne royale et sa lignée portent témoignage de la continuité de l'État. Elles manifestent l'unité de la Nation et sa survivance à travers les siècles. Elles contribuent aussi à la cohésion nationale, ce qui est d'une grande importance à l'heure du multiculturalisme.
La fidélité à la couronne et à la personne du souverain est plus facile à admettre de la part des citoyens, quelle que soit leur origine ethnique ou religieuse, que la référence à une « identité nationale » et des « valeurs républicaines » dont on est bien en peine de définir l'essence... Il est ainsi plus naturel à un immigrant africain ou asiatique d'exprimer son attachement et son affection à la reine Elizabeth II qu'à la Constitution de la Ve République française !
Accessoirement, le souverain a appris dès son plus jeune âge à se maîtriser et rester poli vis-à-vis de ses sujets. Il est la référence en matière de civilité (même si les écarts ne sont pas rares), ce que ne peuvent être les politiciens professionnels, voués à des combats sans merci et souvent peu soucieux de bonnes manières.
D'autre part, en sacrifiant ses ambitions et ses goûts personnels à l'obligation de conserver et transmettre la couronne, il témoigne de ce que chacun, en tant qu'individu, doit se soumettre à des valeurs supérieures et assumer humblement sa place dans la longue chaîne des générations. C'est un pied-de-nez au sacro-saint individualisme contemporain (« Je veux ça et pas autre chose »). Difficile de faire plus archaïque... et plus humain.
Détail financier : en dépit des apparences, le décorum monarchique et les dotations dont bénéficient les familles royales pèsent relativement peu sur les finances publiques si on les compare au coût des élections présidentielles en France et surtout aux États-Unis ; elles sont par ailleurs source de profits touristiques (c'est particulièrement vrai au Royaume-Uni).
Pour la monarchie des Windsor comme pour ses homologues d'Europe continentale, le principal défi à venir réside moins dans les péripéties sentimentales (divorces, adultères...), lesquelles ont existé de tout temps, que dans le vieillissement, résultat bienvenu de l'augmentation générale de l'espérance de vie.
Nous risquons de voir, à l'avenir, des grands-pères succéder à des arrière-grand-mères. Pas de quoi ravir les foules. Sauf à imaginer des sauts de génération, avec le désistement des héritiers trop âgés. De mauvais esprits posent la question à propos du prince Charles, fils aîné d'Elizabeth II, qui bat un record familial en ayant porté pendant 74 ans le titre d'« héritier présomptif » (il est né le 14 novembre 1948).
Fausse république, vraie monarchie...
Le plaidoyer ci-dessus n'a d'autre but que d'expliquer l'attachement des Anglais et de quelques autres peuples européens à l'institution monarchique, si archaïque qu'elle paraisse. La question n'est plus en débat en France. Elle a été tranchée par les élections, il y a 130 à 140 ans, et plus encore par le comportement malavisé des prétendants au trône.
Il n'en reste pas moins que l'esprit monarchique plane sur notre Constitution. Il n'est que de lire les commentateurs et les constitutionnalistes pour s'en rendre compte.
Charles de Gaulle, qui a inspiré le texte constitutionnel de 1958, a voulu établir une « monarchie républicaine », autrement dit un régime qui donne au président la prééminence sur le Parlement, avec notamment le droit de provoquer de nouvelles élections législatives. La clé de voûte du système est l'élection au suffrage universel direct du Président, qui rehausse sa légitimité, sinon son prestige.
Le système a fonctionné sans à-coups de 1962 à 1986. À cette date, une majorité législative de droite, opposée à un président de gauche, François Mitterrand, a contraint celui-ci à un gouvernement « de cohabitation ». En 2002, pour éviter le retour de ce genre de désagrément, droite et gauche réunies ont aligné le mandat du Président sur celui des députés (cinq ans au lieu de sept) et fait en sorte que les députés soient élus dans la foulée de l'élection présidentielle.
Il s'en est suivi un déséquilibre majeur des institutions dont nous commençons à prendre la mesure : du jour où il est élu, le président ne rencontre plus d'obstacle institutionnel sur sa route. Les députés ne sont pas en mesure de lui faire obstacle car la majorité lui doivent leur siège et leur réélection dépend de la sienne. Il peut d'autre part user des pouvoirs de nomination que lui donne la Constitution pour former autour de lui une cour d'obligés, jusque dans le camp adverse. C'est un monarque en CDD (contrat à durée déterminée). L'efficacité est-elle au rendez-vous ? Rien n'est moins sûr, surtout quand la fonction présidentielle est assurée par des politiciens médiocres. N'étant plus relayées par le Parlement, les aspirations populaires s'expriment sinon dans la rue, du moins de manière feutrée par le désengagement civique, la culture du cynisme et le contournement de la loi, comme dans tous les régimes peu ou non démocratiques.
Vos réactions à cet article
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Francis Chouville (08-06-2022 15:27:06)
Merci pour cet excellent article, Monsieur LARANÉ ! Vous avez, à mon humble avis, parfaitement cerné les données de la question monarchique. Royaliste depuis si longtemps, j'ai trouvé dans votre... Lire la suite
Christian (02-06-2022 08:47:17)
Excellent article, à la fois concis et percutant ! J'ai particulièrement apprécié le petit coup de griffe à tous ceux qui invoquent à tort et à travers le "pacte républicain" et les "valeu... Lire la suite
GRELIER (07-05-2015 08:36:30)
C'est à de demander s'il ne convient pas de faire la révolution...à l'envers
Saels Jean-Pierre (21-08-2014 21:35:47)
Je suis belge et je n'ai pas d'étiquette "monarchique ou républicaine". Simplement, il faut comprendre que notre système de monarchie constitutionnelle permet au Roi de "confesser&q... Lire la suite
Charles (06-06-2014 19:02:01)
Très bon article, où la 5ème république française est bien relativisée.
Comment sera la 6ème ?
MR (06-06-2014 18:58:45)
Depuis la fin de l'Ancien Régime, la France n'a jamais connu de stabilité institutionnelle. En 166 ans, de 1792 à 1958, et après 8 siècles de monarchie capétienne, elle aura connu 12 régimes po... Lire la suite
Anonyme (14-11-2011 23:41:58)
Bien vu, bien écrit : merci !