Histoire du vin

« Un chant plein de lumière et de fraternité »

Toujours jeune, toujours renouvelé, le vin conquiert aujourd’hui la planète en dépit de sa stigmatisation, ici et là, pour des motifs prétendûment religieux, et aussi des risques sanitaires liés à l'abus d'alcool.

Le voilà en Chine et au Chili, loin de son berceau caucasien. Avec huit millions d’hectares de vigne et une production annuelle de 250 millions d’hectolitres (environ trois litres par personne et par an), il est devenu un élément clé du commerce mondial.

Saint Vincent, patron des vignerons

« Saint Vincent, patron des vignerons, obtiens-nous l'abondance des récoltes ! »... Tous les 22 janvier, la coutume veut que les vignerons adressent cette prière à leur saint patron pour obtenir une récolte copieuse et de qualité.
Saint Vincent, patron des vignerons, imagerie populaire religieuse de Pellerin à Épinal, 1836. Depuis son martyr au IIIe siècle, pendant la grande persécution de Dioclétien (304), cet archidiacre de Saragosse est en effet sollicité et fêté du Champenois à l'Espagne.
Est-ce parce qu'il mourut, dit-on, sur une roue de pressoir, ou parce que son nom comporte le mot « vin » qu'il fut choisi pour protéger les professionnels de la vigne ? Ne serait-ce pas plutôt parce que la date de sa fête est un bon indicateur des vendanges à venir ?
« À la fête de la saint Vincent, si le soleil brille
Souviens-toi, alors prépare un grand récipient
Car la vigne te donnera des grappes de raisin »
.
Rien n'est sûr, si ce n'est la ferveur et la bonne humeur qui règnent dans les défilés organisés tous les ans par les confréries locales.
L'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, a été fondée, notons-le, pour abriter ses reliques. Elle s’appela d’abord Saint-Vincent-hors-les-Murs.

Le grand mérite des moines

Au début du Moyen Âge, les monastères deviennent les principaux promoteurs de la viticulture, pour le service de la messe et le bien-être des moines. Les vignobles accompagnent l’évangélisation de l’Europe et s'étendent jusqu'aux latitudes les plus extrêmes, en Angleterre et au sud de la Scandinavie.

Moine goûtant son vin, enluminure du Li livres dou santé, par Aldobrandino da Siena, XIIIe s., British Library, LondresEn Bourgogne, sur les bords de la Saône, à quelques kilomètres de l'abbaye-mère de Cîteaux, les moines cisterciens font du petit vignoble du clos Vougeot un laboratoire de recherche viticole et le plus célèbre « cru » (du verbe croître) bourguignon.

Pour l'eucharistie, le clergé adopte, à partir du XIIIe siècle, le vin blanc : il faut en effet éviter les taches trop visibles sur le linge liturgique.

Au XIIe siècle, avec les débuts de l’urbanisation et l’avènement d’une élite bourgeoise et aristocratique, le vin devient aussi un enjeu commercial majeur.

En 1241, en récompense de leur fidélité aux Plantagenêt, les vignerons bordelais reçoivent du roi d'Angleterre le privilège de vendre leur vin outre-Manche. Leur vin, un « claret » léger et rafraîchissant, n'a alors rien à voir avec le vin noir qui sera développé avec succès par Arnaud de Pontac, propriétaire du château de Haut-Brion, dans les Graves, près de Bordeaux, à la fin du XVIIe siècle. Ce vin luxueux et très cher fera la fortune de Bordeaux et de ses négociants et courtiers, souvent d'origine anglaise ou hollandaise, installés sur le quai des Chartrons.

Cuve a fouler, Psautier de la reine Mary (1315), Londres
« Fouette-moi ce verre galantement ! »

Au XVIe siècle, François Rabelais figure parmi les plus célèbres soutiens de la « Dive bouteille ». Voici quelques-uns des célèbres « Propos des bien ivres », dans son roman Gargantua :
« Nous autres innocents ne buvons que trop sans soif. »
« Je bois pour la soif advenir ».
« Je bois éternellement, ce m'est éternité de beuverie, et beuverie d'éternité ».
« Si je ne bois, je suis à sec ».
« L'appétit vient en mangeant, la soif disparaît en buvant. »
« Buvez toujours, ne mourrez jamais. »

Les Vendanges, tapisserie du début du XVIe s., Paris, musée de Cluny.

Les souverains et les princes portent grande attention à la qualité de leurs cépages. Ainsi le duc de Bourgogne Philippe le Hardi interdit-il en 1395 le cépage gamay et n'autorise-t-il que le pinot noir sur ses terres. Par la même occasion, il interdit l'emploi de fientes dans les vignes.

Septembre, Les Très Riches Heures du duc de Berry, XVe siècle, Chantilly, musée Condé. Agrandissement : Vendanges, foulage et ouillage. Mois d'octobre. Maître de Rohan et atelier, Grandes Heures de Rohan, 1430, Paris, BnF.Ces normes de qualité vont faire des vins de Bourgogne, sous la Renaissance, les « meilleurs vins de la chrétienté ».

Le XVIIe siècle est le siècle des innovations. On redécouvre des techniques ébauchées par les Romains, avec la bouteille de verre épais, la généralisation du bouchon en liège et l'utilisation du soufre pour assainir les barriques. Il voit aussi l’émergence du champagne sous l'impulsion du légendaire Dom Pérignon.

Ce vin effervescent va connaître un essor international, en particulier à la cour du tsar, grâce à Nicole-Barbe Ponsardin.

Léon Cogniet, Portrait de Madame Clicquot Ponsardin,vers 1860, hôtel particulier du Marc à Reims. Agrandissement : Léon Coignet, Portrait de la veuve Clicquot et de son arrière petite-fille, Anne de Mortemart, vers 1860, château de Brissac (Maine-et-Loire).Fille d'un négociant en vin, elle épouse le banquier et négociant François Clicquot. Veuve à 28 ans, en 1805, elle reprend l'activité viticole, invente le moyen d'éclaircir le champagne en tournant régulièrement les bouteilles dans le chais, invente aussi les cuvées millésimées et confie le négoce international à un vendeur talentueux, Louis Bohne. La « veuve Clicquot » va ainsi multiplier par vingt le chiffre d'affaires de son entreprise.

Charles Baudelaire, « L'âme du vin »

Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.
Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;
J'allumerai les yeux de ta femme ravie ;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

Les Fleurs du mal (1857)

Le monde sous le charme

Au XVIIIe siècle, en France, les superficies vouées à la vigne doublent jusqu'à atteindre 1 600 000 hectares à la veille de la Révolution, soit le double d'aujourd'hui. Les terroirs couvrent essentiellement les vallées des quatre grands fleuves (Garonne, Seine-Marne, Loire et Rhône-Saône) ainsi que la vallée de l'Adour et le versant alsacien des Vosges. On produit 27 millions d'hectolitres par an, soit une centaine de litres par Français (tous âges confondus).

La Révolution, en redistribuant les terres des monastères, fragmente les exploitations et contribue à asseoir le pouvoir des négociants qui vont se tourner vers l'étranger.

Dans les classes populaires, le vin, au demeurant assez peu alcoolisé, devient source de calories plus encore que de plaisir. Les travailleurs de force, dans les champs, les chantiers et les mines, en consomment jusqu’à trois litres par jour. Le savant Louis Pasteur pourra formuler cette forte sentence : « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ». Ce sera avant la grande crise de surproduction du Languedoc, qui va déboucher sur la révolte de Marcellin Albert.

L'Alcool, voilà l'ennemi, tableau mural, XIXe s., Ecomusée de la Communauté Urbaine Le Creusot Montceau-Les-Mines

À la fin du XIXe siècle et au début du suivant, le vin semble en péril avec la multiplication des campagnes contre l'alcoolisme. Mais c'est aussi à cette époque que sa production se mondialise. Les États-Unis, le Canada, le Chili et l’Argentine, l'Afrique du Sud ou encore l'Australie deviennent à leur tour des producteurs de vins de qualité qui concurrencent l'hégémonie européenne. Aujourd'hui, c'est du côté de l'Asie que l'avenir du vin pourrait se jouer. La Chine est désormais le septième producteur de la planète mais la France, l’Italie et l’Espagne, héritières de Rome, restent fermement installées sur les trois marches du podium.

L'Europe devra s'appuyer sur ses terroirs et mettre en avant la qualité pour maintenir une tradition millénaire et continuer à donner raison à notre bon roi Henri IV qui proclama avec gourmandise que « Bonne cuisine et bon vin, c'est le paradis sur terre ! »

La vigne, un travail d'orfèvre

Aujourd'hui comme il y a cinq cents ans, les viticulteurs portent le plus grand soin à la qualité de leur vin. Ils n'ont de cesse de l'améliorer. C'est au prix d'un travail de tous les instants qui mobilise une main-d'oeuvre nombreuse et qualifiée. La preuve dans les grands cépages du Bordelais.
• Dans les vignes, l'année débute en avril, sous la conduite du chef de culture : on « tire les bois » (on coupe les sarments) et l'on « cale la vigne » : avec un fil de nylon, on attache l'« aste » (la branche à fruits qui reste sur le ceps) sur un fil de calage horizontal.
• En mai vient le « bourgeonnage » : on laisse sur chaque aste le nombre de bourgeons désiré (chaque bourgeon est appelé à donner une grappe) ; on enlève par la même occasion les contre-bourgeons (bourgeons en double). Dans le même temps, on fait du « levage » : sur chaque piquet, on ajuste deux fils de levage (sous le fil de calage) qui vont tenir les feuilles et leur éviter de se disperser. Un quatrième fil sert à accrocher les extrémités des branches. C'est encore en mai que l'on traite la vigne à la bouillie bordelaise, un fongicide à base de cuivre et de chaux. 
• En juin vient l'« egrappage » ou « vendange verte » : on coupe les grappes en excès pour éviter qu'elles se touchent. On pratique aussi l'« epamprage » : au pied et à la tête de chaque ceps, on coupe les rejets.
• En juillet vient un premier « effeuillage » du côté du soleil levant (le moins fort) : on coupe une partie des feuilles pour faciliter le mûrissement des grappes.
• En août vient l'« effeuillage » du côté du soleil couchant.
• En septembre vient enfin le temps des vendanges. Il se conclut par la « gerbaude », une fête qui réunit tous les vendangeurs.
Le chef de chais et ses équipes prennent le relais, sous la surveillance de l'oenologue. À leur arrivée au chais, les grappes sont examinées et triées grain par grains et rien n'est laissé au hasard. C'est ce qui fait le prix du nectar.


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Publié ou mis à jour le : 2024-11-05 20:12:00

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