Charles de Gaulle

« Dévoué à la grandeur de la nation »

On a pu croire qu'avec sa monumentale biographie de Charles de Gaulle (2 500 pages), Jean Lacouture avait épuisé le sujet, pourtant aussi vaste que complexe. Erreur ! Éric Roussel a relevé avec brio le défi d'enrichir l'histoire du « plus illustre des Français ». Son ouvrage publié, il y a une vingtaine d'années, a fait l'objet d'une réédition, revue et augmentée (Charles de Gaulle, Tempus, Perrin, 16 €), à l'occasion des célébrations du cinquantième anniversaire de la mort du fondateur de la Ve République devenu, à bon compte avec les années, une référence pour de nombreux responsables politiques.

Charles de Gaulle

« Il reste que l’approbation quasi générale dont bénéficie son œuvre est ambiguë. Dans ce concert de louanges, nul ne sait très bien ce qui s’adresse au style ou à une action obstinément conduite selon des principes définis de longue date. Le temps n’est-il pas venu d’une vision plus précise, plus équilibrée ? », s’interroge l’auteur. C’est l’objectif de son livre. Objectif atteint. Car la vie de De Gaulle y est retracée sans lyrisme certes, mais avec une fluidité de style qui entraîne le lecteur jusqu’au bout de la saga gaullienne sans nuire à la pénétration des analyses.

Ce livre n’est pas une hagiographie, mais il fait de De Gaulle un de ces phares apparaissant « à la fois comme un résumé et un aboutissement de tout le passé national. Plus proche assurément de Richelieu, de Louis XIV, de Napoléon, ou de Clemenceau que de Henri IV -le sens du pardon n’était pas son fort-, il est le type même de ces personnages, à présent disparus, totalement dévoués à la grandeur de la nation, et fervents de la raison d’État. Ainsi régla-t-il notamment le problème algérien. La brutalité qu’il employa était familière à ses modèles et la hâte qu’il mit à tourner la page était justifiée par la nécessité de mettre en œuvre la grande politique étrangère dont il rêvait. Celle-ci n’était rien d’autre que la continuation d’une ligne multiséculaire visant à assurer l’indépendance, la prépondérance et le rayonnement de la France », affirme Roussel.

Si l’auteur n’a apporté que de minimes corrections au texte d’origine, il l’a enrichi, notamment dans les chapitres relatifs à l'après-guerre, grâce à « des documents ou des extraits de documents figurant dans divers fonds d'archives désormais accessibles et qui, inédits, [lui] ont semblé venir en illustration de [son] propos. »

De Gaulle sous un jour nouveau

Ainsi en France, mais aussi en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Russie, au Canada, en Israël et en Allemagne, de nombreuses archives disponibles depuis peu, permettent d'éclairer d'un œil neuf certains épisodes de la vie du Général. Notamment les débuts de la France libre. « C'est l'histoire d'un bluff qui a réussi », avouera de Gaulle à André Gillois, son porte-parole à Londres.

De même, l'auteur donne des détails sur la journée méconnue du 23 juin 1940 au lendemain de la signature de l'armistice : « Si de Gaulle n'en parlera pas dans ses Mémoires de guerre, la journée du 23 est fertile en événements que les archives ont récemment révélés. L'armistice signé, Churchill triomphe lui aussi et, ce jour-là, il stigmatise dans une déclaration très dure l'asservissement où est tombé le gouvernement de Bordeaux et propose au cabinet de guerre d'entériner le projet soumis par le général le jour même de constituer un Comité national français, ou comme le nomme Churchill un "Conseil de la Libération". Le secrétaire du Foreign Office, lord Halifax, toujours circonspect, n'est pas non plus en reste, qui voit en de Gaulle "le centre autour duquel les plus résolus se rallieraient". Seul préalable avant une reconnaissance formelle : le cabinet de guerre souhaite connaître les noms des personnalités auxquelles le général compte faire appel. Sous cette réserve, l'accord du cabinet est acquis. »

Les archives de Moscou dévoilent comment les Soviétiques analysent, entre autres, l’évolution de De Gaulle vis-à-vis des communistes français durant l’Occupation. En 1966, elles révèlent des discussions entre Brejnev et de Gaulle. Sur la crise au Proche-Orient en 1967, les archives israéliennes détiennent un texte du président français montrant la certitude de celui-ci de voir la fermeture du golfe d’Akaba aboutir à un conflit armé.

Grâce à une impressionnante documentation et un grand nombre de témoignages recueillis, Roussel tente de cerner au plus près un de Gaulle, structuré par une profonde culture littéraire et historique, tacticien, stratège, habile politique, visionnaire (« il devina la chute du communisme en Russie comme dans le bloc soviétique et prédit la résurgence des identités nationales »).

Il en pointe aussi les erreurs. Notamment ce jugement de De Gaulle sur les Juifs, « un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Une formule malheureuse que le chef de l’État regrettera d’avoir employée. « De Gaulle n’a rien d’un antisémite mais, fortement influencé par le nationalisme le plus intransigeant, il n’accepte pas facilement qu’un citoyen français puisse avoir des liens privilégiés avec un autre pays que le sien (…) Quoi qu’il en soit, l’erreur constituée par cette remarque ambiguë est lourde », constate l’auteur qui reconnaît aussi se heurter à la complexité du personnage.

Le 23 juillet 1967, à Québec, la foule salue le général de Gaulle. En agrandissement, la Une du Devoir du 25 juillet 1967, au lendemain du discours du général de Gaulle.Ainsi, le mystère de sa fracassante déclaration « Vive le Québec libre ! » n’est pas totalement élucidé. Après avoir exposé avec précision le contexte de ce déplacement du Général au Canada en 1967, Roussel se montre perplexe : « Il importe peu finalement de savoir ce que souhaitait vraiment de Gaulle : favoriser l’apparition d‘un État indépendant ou bien contribuer simplement à l’affirmation de la personnalité québécoise au sein du Canada ? Le savait-il lui-même ? Seule reste une exigence de dignité et de justice extraordinairement exprimée par un vieil homme qui savait son temps compté et disposait pour cette raison d’une liberté totale. »

En conclusion de son ouvrage, l’auteur fait sien le jugement du diplomate américain, David Bruce : « La mort du grand homme a provoqué, comme on pouvait s’y attendre, une tristesse presque universelle. Tout ce qui avait trait à sa personnalité, y compris ses défauts, était de grande envergure, d’une dimension inconnue en France depuis Napoléon. »

Jean-Pierre Bédéï
Publié ou mis à jour le : 2021-02-04 17:27:46

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