Xe-XVIIIe siècles

La pensée économique

L'économie fait l'objet d'une réflexion savante depuis à peine un demi-millénaire. Sous l'Antiquité, certes, des penseurs comme Aristote se sont penchés sur la question des échanges mais sans s'y attarder.

André Larané
Montchrestien, le précurseur

Antoine de Montchrestien, né en Normandie (1575-1621), invente l'économie politique - le mot et l'idée - dans un livre aujourd'hui oublié : Traité de l'économie politique (1615). L'ouvrage est écrit pendant les états généraux de Blois, dans une période de crise aigüe.
L'auteur, qui voit dans le travail de chacun la source de la richesse collective, suggère au souverain de tout mettre en oeuvre, dans son intérêt, pour que chacun puisse travailler au mieux de ses capacités. Pour mener à bon escient une telle politique, il importe de collecter régulièrement des données complètes sur l'activité du royaume.
« Toute la quintessence du gain, que le trafic, le labeur et l'industrie de vos sujets amassent est, en cas de besoin, pour fournir aux dépenses de votre État, aux nécessités de votre couronne », écrit Montchrestien avec les mots de son époque mais dans une démarche très moderne. 
Précurseur d'Adam Smith et des libéraux, il voit dans la recherche de l'intérêt personnel le moteur de l'activité humaine : « Tant de tracas, tant de labeurs de tant d'hommes n'ont point d'autre but que le gain. À ce centre se réduit le cercle des affaires, la nécessité du mouvement cherche ce point ».

Capitalisme médiéval

Montchrestien a pu fonder ses principes sur l'observation d'une société déjà très active et industrieuse, dont les fondements sont apparus un demi-millénaire plus tôt, dans l'apparent désordre féodal. 

Traicté de l'oeconomie politique écrit par Antoyne de Montchrétien de Vatteville en 1615.Quand l'économie occidentale entame sa croissance, après l'An Mil, le pouvoir politique est éclaté entre d'innombrables acteurs (seigneuries et principautés, communautés villageoises, républiques urbaines, Église...). Il en va de même du pouvoir économique qui se partage entre paysans, bourgeois, propriétaires (seigneurs, clercs, monastères...), artisans et compagnons.

Il s'ensuit une grande violence dans les rapports sociaux mais aussi une relative autonomie des individus. C'est une nouveauté majeure par rapport aux temps antérieurs et aux autres sociétés, tels que les empires byzantin, arabe, romain, chinois... où prime l'arbitraire d'une administration toute-puissante.

Les communautés urbaines et villageoises tirent parti des divisions entre les féodaux pour imposer le respect du droit et de la coutume.  Elles bénéficient du concours de l'Église, qui brandit la menace de l'excommunication et de l'enfer contre les délinquants. C'est ainsi que les paysans voués au servage grignotent peu à peu l'arbitraire seigneurial, au point que le servage disparaît pratiquement d'Europe occidentale dès le XIIIe siècle.

Artisans et marchands sont tenus de se soumettre à l'autorité des syndics, corporations et autres jurandes. Ces associations organisent l'entraide et sévissent contre les franc-tireurs qui voudraient casser les prix ou dénaturer les pratiques professionnelles.

À la même époque, dans les villes, des marchands commencent à deviner l'intérêt de regrouper leur épargne pour investir dans des activités prometteuses. C'est le cas des meuniers toulousains qui créent la Société du Bazacle. Avec ces premières sociétés par actions naît le capitalisme moderne.

Mercantilisme et « lois naturelles »

Le protocapitalisme médiéval, efficace et relativement protecteur, est contrarié au XVIIe siècle par le « système mercantile » qui coïncide avec la montée en puissance de grands États relativement centralisés : France, Espagne, Angleterre. Leurs représentants, tel Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), ministre de Louis XIV, sont convaincus que la puissance d'un gouvernement dépend de la quantité de numéraire (métaux précieux) en circulation à l'intérieur du pays. 

Leur premier objectif est donc de limiter au maximum les sorties de métaux précieux et leur deuxième objectif d'encourager les rentrées. Toute la politique de Colbert s'inscrit dans ce diptyque. « N'y ayant qu'une quantité d'argent qui roule dans toute l'Europe et qui est augmentée de temps en temps par celui qui vient des Indes occidentales, il est certain et démonstratif que, s'il n'y a que 150 millions de livres d'argent qui roulent dans le public, on ne peut parvenir à l'augmenter de 20, 30 ou 50 millions qu'en même temps qu'on ôte la même quantité aux États voisins », écrit-il (cité par Herbert Lüthy, La Banque protestante en France, Sevpen, Paris, 1959).

C'est ainsi que le gouvernement français instaure des droits de douane élevés sur les importations et favorise les exportations par une politique de bas salaires. Pour éviter les importations de produits de luxe, les plus coûteux en précieuses devises, l'État lui-même participe à la création de manufactures royales. C'est l'origine des industries de luxe qui sont toujours l'un des atouts de la France.

Enfin, de façon plus douteuse, les grands États européens, toujours soucieux d'économiser leurs devises, orientent leurs colonies d'outre-mer vers l'économie de plantation afin de pourvoir les classes supérieures en produits de luxe (sucre, tabac, cacao, café...). Dans ce but sont créées les compagnies à charte. L'économie de plantation et son corollaire, la traite et l'esclavage, sont donc, ainsi que le rappelle l'historien Olivier Grenouilleau, le résultat d'un choix politique, le « système mercantile ».

Ce « système mercantile », fondé sur l'intervention directe de l'État dans les circuits économiques, privilégie les protections douanières et les productions industrielles réputées stratégiques, au détriment des cultures vivrières. Il se rapproche de l'« économie socialiste » mise en oeuvre par les dirigeants soviétiques dans les années 1920. Il s'oppose de toutes les manières possibles au libéralisme qui va s'épanouir au Siècle des Lumières en Angleterre et aux Pays-Bas, et dont Adam Smith se fera le théoricien.

Le mercantilisme est pour la première fois contesté par un magistrat français, féru d'économie, Pierre Le Pesant de Boisguilbert, précurseur méconnu du libéralisme et d'Adam Smith.

Il ne va pas résister à l'année 1776, avec la publication à Philadelphie d'une Déclaration d'indépendance qui place la liberté individuelle au coeur des enjeux, et à Édimbourg des Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des Nations (An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations), oeuvre majeure d'Adam Smith.

Ces publications suivent de peu l'invention de la machine à vapeur par James Watt (1769), d'où vont sortir la révolution industrielle et la production de masse.

Publié ou mis à jour le : 2023-06-23 12:39:04

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