L’Histoire de la Commune de 1871, rédigée par Prosper-Olivier Lissagaray est le premier grand récit de la Commune. C’est l’œuvre d’un témoin et acteur des événements, qui constitue un matériau de base très précieux pour celui qui veut se plonger dans cet épisode sanglant de notre histoire. Il est intéressant de le mettre en perspective avec le récit d'un autre socialiste, Karl Marx, qui livre une approche très différente de la Commune de Paris.
L’originalité de ce livre réside d’abord dans son auteur. Lissagaray, né le 24 novembre 1838 à Auch, n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire de la Commune, mais il était un journaliste républicain et socialiste. Il a publié les six numéros de l’Action (4 au 9 avril) et plus tard le Tribun du Peuple (17 au 24 mai) avant de devenir un acteur de la Commune montant sur les barricades du 25 au 28 mai dans le XIe arrondissement puis à Belleville. L’Histoire de la Commune de 1871 a été publié en 1876 en Belgique puis vingt ans plus tard en France avec des ajouts avant d’être l’objet de nombreuses rééditions jusqu’à nos jours.
Si son récit est événementiel, reconstituant minutieusement presque jour par jour ces deux mois et demi de guerre civile, il sait aussi prendre du recul, la richesse de cet ouvrage tenant également dans les recherches auxquelles s’est livré Lissagaray pendant vingt-cinq ans. Car réfugié en Angleterre, il a été condamné par contumace en 1873 à la déportation dans une enceinte fortifiée en raison de sa participation aux affrontements de la Commune.
Il a profité de son exil outre-Manche pour recueillir un grand nombre de témoignages directs de proscrits, se plonger dans la presse, utiliser les procès-verbaux du Comité central de la Garde nationale ainsi que ceux de l’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871.
Cette imposante documentation lui a permis de couvrir tous les aspects de la Commune qu’il s’agisse des différents courants politiques et sociaux, des affrontements et des rivalités internes, mais aussi des réalisations et des aspirations des insurgés. Son récit est servi par une plume alerte qui procure un vrai plaisir de lecture.
Faisant œuvre à la fois de journaliste et d’historien, Lissagaray excipe de sa bonne foi en concluant : « Ai-je voilé les actes, caché les fautes du vaincu ? Ai-je falsifié les actes des vainqueurs ? Que le contradicteur se lève, mais avec des preuves. » Depuis, d’autres historiens ont complété l’étude de la Commune, mais tous sont redevables à Lissagaray de leur avoir ouvert la voie avec précision et hauteur de vue.
Karl Marx a lui aussi écrit sur la Commune. Non pour délivrer un récit circonstancié des événements comme Lissagaray, mais pour analyser de manière plus théorique ce soulèvement.
Depuis Londres où il vivait, il s’est montré sceptique tout d’abord sur l’opportunité d’une insurrection ouvrière en temps de guerre. Puis, informé par ses correspondants parisiens de l’évolution de la situation, il s’est enthousiasmé dans une lettre au docteur Kugelmann, du 17 avril 1871 : « La lutte de Paris a fait entrer dans une nouvelle phase de la lutte des classes ouvrières contre la classe capitaliste et son Etat. Quelle qu’en soit l’issue immédiate, elle a permis de conquérir une nouvelle base de départ d’une importance historique universelle. »
L’échec de la Commune ne l’a pas désappointé. Dans une adresse intitulée La Guerre civile en France, une brochure d’une quarantaine de pages, qu’il lut le 30 mai 1871 au Conseil général de l’Internationale, il estimait : « La Commune a été la représentation authentique de tous les éléments sains de la société française ; pour cette raison, elle a été réellement un gouvernement national (…) C’était la première révolution où la classe ouvrière eût été reconnue seule capable d’une initiative sociale : elle a été reconnue comme telle par le tiers-état de Paris -petits marchands, artisans, commerçants- par tous, à l’exception des riches capitalistes (…) C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du Travail. »
Il voyait même dans la Commune un véritable régime démocratique : « La Commune était formée de conseillers municipaux élus dans les circonscriptions parisiennes au suffrage universel (…) En supprimant ceux des organes de l’ancien pouvoir gouvernemental qui servaient seulement à opprimer le peuple, la Commune a dépouillé de ses fonctions légales le pouvoir qui prétendait se tenir au-dessus de la société et les a transmis aux serviteurs responsables de celle-ci. »
Mais dix ans plus tard, Marx dressa un bilan beaucoup plus sombre. « La majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. » (Lettre à F. Domela Nieuwenhuis, 22 février 1881).
Dans son édition du 22 août 1871, Le Gaulois, journal monarchiste et antirépublicain, rapporte un entretien entre Karl Marx et le correspondant du New-York Herald. Le philosophe et chef de l'Internationale socialiste prend ici ses distances avec la Commune tout en montrant un intérêt aigu pour ses différents acteurs. Il porte sur chacun d'eux un jugement abrupt...
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