Le 2 août 2022, un avion officiel américain se pose sur l’aéroport de Taipeh, capitale de Taïwan (République de Chine). À son bord, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants de Washington, accueillie par Joseph Wu, ministre du gouvernement du parti indépendantiste DPP, actuellement au pouvoir.
Comme les précédentes visites de parlementaires occidentaux à Taipeh, cette visite a déclenché la fureur de la République Populaire de Chine. Le gouvernement de Pékin y voit une mise en cause du dogme admis par quasiment tous les États de la planète, y compris les États-Unis, selon lequel il existe une seule Chine. Taïwan, séparée de la Chine continentale par les aléas de l’Histoire, a vocation à se réunifier à elle un jour ou l’autre.
De fait, le caractère chinois de l’île de Formose n’a jamais été mis en question, du moins jusqu'à ces dernières années. À titre d’exemple, l’édition de 1930 du Larousse du XXème siècle rappelle que l’île « redevint chinoise dans le dernier tiers du XVIIe siècle, comme elle l’avait été avant la venue des Hollandais ; elle le resta jusqu’au traité de Shimonoseki, qui la rendit japonaise en 1895. »
Mais depuis peu, en France même, des universitaires et des médias de bonne réputation remettent en cause cette Histoire comme pour attiser le ressentiment de Pékin à l’égard des Occidentaux (guerres de l’opium et traités inégaux).
Revenant sur l’histoire de l’île, le quotidien La Croix titrait le 10 janvier 2020 : « Taïwan n’a jamais appartenu à la République Populaire de Chine », en rappelant que « ce n'est qu'en 1887, à la fin de la dynastie Qing (la dernière dynastie chinoise) que Formose est élevée au rang de province chinoise ». Plus près de nous, la sinologue Valérie Niquet, auteure de Taïwan face à la Chine (Tallandier, 2022), rappelle également que « L’incorporation officielle dans l’Empire n’intervient qu’en 1885 » (in interview revue Guerre et Histoire numéro 68, août 2022). Cela est formellement exact. De façon toute aussi exacte, on aurait pu dire en 1918 que l’Alsace-Lorraine n’avait jamais appartenu à la IIIe République française.
On peut aussi lire dans Le Monde, dans l’édition mise en ligne le 17 août 2022 : « La Chine revendique une souveraineté sur Taïwan en parlant de “réunification” alors que le terme est tout à fait impropre, puisque Taïwan n'a jamais été chinois. Il n'y aurait pas de “réunification”, mais une unification par la force », souligne Marianne Péron-Doise, chercheuse associée et directrice de l'Observatoire géopolitique de l'Indopacifique à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). »
Faut-il voir dans cette réécriture de l’Histoire l’« effet Rollerball », en référence au film de Norman Jewison (1975) où un ordinateur central, devenu source unique de connaissance, perdait la mémoire ? Il nous paraît plus nécessaire que jamais de la rafraîchir…
Taïwan avant Taïwan
Taïwan est une île montagneuse de 36 000 km2 (à peine plus étendue que la Bretagne), à 180 km du continent. En 1542, les Portugais l’appellent Formosa (« la Belle ») et c’est sous ce nom qu’elle a été connue en Occident jusqu’au XXe siècle. Sa population (23 millions en 2020) est essentiellement groupée sur l’étroite plaine littorale de la côte occidentale.
Les plus vieux restes humains retrouvés sur l'île remontent à 30 000 ans et sa culture la plus ancienne, dite culture de Changbin, remonte à l’Âge de pierre, il y a plus de 15000 ans. Les plus anciennes populations actuelles de l’île (suivant la formulation chinoise 原住民, les « habitants originels ») seraient quant à elles venues du Sud-Est de la Chine aux alentours de 4000 av. J.-C. Parlant des langues austronésiennes, elles constituent aujourd’hui 1,6 à 2% des Taïwanais.
Des archives de la Chine ancienne indiquent que les Hans (Chinois) auraient eu connaissance de l'existence de Taïwan dès l'époque des Trois Royaumes (IIIe siècle av. J.-C.).
Les premiers éléments d’une présence chinoise sont relevés dès le IXe siècle de notre ère et se confirment sous la dynastie Song (960-1279). Sous les Ming, entre 1405 et 1433, les expéditions de la « Flotte des Trésors » de l’amiral Zheng He traversent le détroit de Taïwan et il est vraisemblable que l’ile ait servi de base de ravitaillement en eau ou en nourriture fraîche. Des échanges avec la Chine sont d’ailleurs corroborés par les écrits d’un marin du Fujian, Chen Di en 1603. (Notes sur les barbares de l’est Dongfanji, 東番記).
Il est difficile, en l’absence d’autres sources, d’estimer la population exacte de l’île à cette époque, très probablement de l’ordre de quelques dizaines de milliers de personnes au maximum. Toutefois, tant l’apparition des navigateurs européens que les guerres en Chine vont brutalement rapprocher l’île du continent au début du XVIIe siècle.
Première période coloniale
En 1624, les Hollandais débarquent sur l’île et fondent Fort Zeelandia sur la baie de Tayouan, au Sud-Ouest. Elle correspond aujourd’hui au quartier contemporain Anping de Tainan, ce qui en fait de celle-ci la plus ancienne cité de Taïwan.
Déjà présents à Java, les Hollandais étaient en guerre permanente avec leurs rivaux portugais et espagnols. N’ayant pu prendre Macao aux Portugais, l’amiral hollandais Reyersz avait construit un fort dans l’île de P’eng-hou en 1622, à mi-chemin du Foukien et de Formose, déclenchant la fureur de l’administration chinoise des derniers Ming.
De longues négociations avaient finalement conduit les Chinois à les autoriser, en échange de l’abandon de ce fort, à s’installer sur l’île de Formose, alors encore à demi sauvage, avec pour contrepartie l’autorisation du commerce de la soie et l’obligation pour toute jonque à destination du Japon d’y relâcher.
Là-dessus, deux ans plus tard, le 10 mai 1626, une expédition espagnole venue des Philippines fonda la ville de San Salvador, qui devint plus tard le port de Keelung. Mais les Hollandais finirent par expulser les Espagnols de l’île le 24 août 1642.
Peu nombreux, accompagnés d’ingénieurs venus de Batavia (Java) pour mettre leurs possessions en valeur, mais aussi de prédicateurs protestants, les Hollandais encouragèrent dès cette époque une immigration chinoise en provenance du Fujian, en vue d’une colonisation complète de l’île. Il s’ensuivit un rapide changement de population par le métissage avec les Aborigènes, la migration chinoise de cette époque apparaissant essentiellement masculine. On estime à environ 50 000 personnes la population chinoise à la fin de la période d’occupation hollandaise, pour un nombre équivalent d’Aborigènes.
La christianisation, quant à elle, s’avéra un échec avec environ 5000 convertis protestants et guère plus de catholiques du côté espagnol, essentiellement dans les deux cas dans les communautés aborigènes.
Zheng Chenggong et le retour à l’Empire
Connu des Occidentaux sous le nom de Koxinga, le pirate Zheng Chenggong est encore à ce jour un héros commun à tous les Chinois pour avoir le premier chassé les Occidentaux d’un territoire chinois.
Malgré la légende, il ne saurait être considéré comme un simple pirate, mais comme l’Amiral des derniers Ming. Quoique ceux-ci aient été vaincus en 1644 par les Qing, nouvelle dynastie considérée comme étrangère car venue de Mandchourie, les princes du Sud leur étaient restés fidèles.
Général de leurs troupes, et du dernier d’entre eux, Zhu Youlang, Koxinga, acculé par les Quing, reprend Formose aux Hollandais dans le but d’en faire une base pour la reconquête du continent, dans une étonnante préfiguration de l’aventure de Tchang Kaï-chek en 1949 ! Il débarque sur l’île le 3 mai 1661 avec des troupes aguerries par les longues années de guerre continentale.
Fort du soutien des populations chinoises locales, il obtint la capitulation de Fort Zeelandia le 12 février 1662. Les Hollandais conservèrent les ports de Keelung et Tamsui, sans importance stratégique réelle, jusqu’en 1668, date à laquelle ils en furent chassés par le fils de Koxinga, Zheng Jing.
Ayant succédé à son père comme roi de Taïwan, Zheng Jing continua sa politique de défrichement des terres. Il renforça les défenses de l’île pour se prémunir d'une attaque des Qing et lança certaines attaques contre les côtes chinoises. Son fils Zheng Keshuang (12 ans) lui succéda en 1682.
En dépit de plusieurs révoltes aborigènes, les Zheng maintinrent l’île sous leur férule. L’immigration chinoise se poursuivit malgré l'interdiction faite par les Mandchous de traverser le détroit de sorte que la population Han en vint à dépasser clairement la population aborigène. Elle aboutit à faire de Formose le dernier bastion chinois de résistance à l’hégémonie mandchoue (Qing).
En juin 1683, le gouvernement de Pékin entreprend de réintégrer l’île à l’empire. Une importante expédition commandée par l'amiral Shi Lang obtient la soumission des derniers Zheng.
La population de l’île s’accroît dès lors rapidement. Près d’un million de Hans s’y installent durant le siècle suivant en profitant de la levée par le gouvernement Qing, en 1750, de l’interdiction de sortir du territoire. Cette levée consacre pleinement l’intégration de l’île à la Chine.
Formose compte près de 2 millions de Chinois vers 1810. C’est dans cette période que naissent et se développent les principales villes de l’île. La légende veut que la capitale actuelle, Taipeh, résulte de la fondation d’une ferme à Takala, centre actuel de la ville, par le paysan Chen Lai-chang, en 1709.
Éphémère République de Formose et colonisation nippone
En 1840, durant la première guerre de l'opium, les Britanniques occupent le port de Keelung. En 1871 un navire venu des Îles Ryūkyū s’échoue sur la côte Sud-Est de Formose et 54 membres de son équipage sont tués par les Aborigènes. Le gouvernement japonais en profite pour faire valoir ses droits sur les Ryūkyū et mener une expédition vers Formose en 1874. Il se replie toutefois lorsque les Qing envoient des troupes en renfort sur l’île.
Ces événements, suivis du bombardement par les Français du nord de l’île pendant la guerre franco-chinoise de 1884, poussent alors le gouvernement Qing à construire une série de défenses côtières mais aussi à donner à l’île un statut administratif à part entière. C’est ainsi que le 12 octobre 1885, Formose devient une province chinoise (avant cela, elle était une partie du Fujian) et Liu Mingchuan le premier gouverneur.
Toutefois, la guerre sino-japonaise de 1894, sanctionnée par la défaite de la flotte chinoise le 17 septembre 1894 à l’embouchure du fleuve Yalu et plusieurs défaites terrestres aboutit au traité de Shimonoseki le 17 avril 1895. Il cède aux Japonais « à perpétuité et en pleine souveraineté » l’île, rebaptisée de son nom japonais Taïwan.
Les représentants de la bourgeoisie chinoise locale jugent les termes du traité inacceptable. Ils convainquent le gouverneur de la province, Tang Ching-sung, de publier le 23 mai 1895 la « Déclaration d'autonomie de la République de Formose » (Taiwan Minzhuguo zizhu xuanyan – 臺灣民主國自主宣言), suivie par son intronisation et l’établissement formel de la République le 25 mai 1895. Autonomie, et non pas indépendance.
C'est bien le terme d'« autonomie » (zizhu – 自主) qui est préféré à celui « d'indépendance » (duli – 獨立), la République de Taïwan se proclamant en « État vassal de l'Empire Qing » (yongyuan fuying yu Daqingguo zhixia – 永遠服膺於大清國之下).
Cette disposition, sans rompre les liens avec le continent, permet à Taïwan d'une part de solliciter directement le soutien des puissances occidentales sans passer par Pékin, et d'autre part de mener la lutte anti-japonaise sous bannière distincte, donc sans impliquer la Chine.
En outre, la création d'une « République », la première d'Asie, est censée attirer la sympathie des démocraties occidentales, en jouant sur le registre de valeurs communes, qui ne sont d'ailleurs absolument pas appliquées par Tang Ching-sung.
Mais la déclaration d'autonomie est reçue à l’extérieur avec circonspection, voire énervement. Quand bien même Tang Ching-sung jouit de solides soutiens sur le continent, tel que celui de Chang Chih-tung, gouverneur général de Nankin et surintendant pour le commerce des ports du Sud chinois, la décision de Pékin est irrévocable.
Pour la cour de Pékin, il est hors de question d'irriter le Japon. D'autant plus que Tokyo a finalement consenti à ne plus revendiquer la péninsule du Liaodong, une concession qui réduit la marge de manœuvre, déjà faible, de l'empire mandchou.
Les capitales européennes ne sont pas dupes : dans la déclaration d'autonomie de la République de Formose, le retour à l'empire mandchou une fois les Japonais chassés de l’île, est mentionné.
La République de Formose ne peut donc compter que sur ses propres forces lorsque, le 29 mai 1895, les troupes japonaises débarquent. Cinq jours plus tard, le 3 juin 1895, les soldats nippons s'emparent du port de Keelung. Le transfert de souveraineté de la Chine au Japon sur Taïwan est officiellement proclamé le lendemain. Sitôt la nouvelle parvenue à Taipei, le président Tang Ching-sung s'enfuit à destination du continent.
Les pouvoirs suprêmes sont alors transférés à Liu Yung-fu, commandant en chef des forces de résistance du Sud taïwanais, basé à Tainan, ville qui devient capitale de la République de Formose après la chute de Taipei aux mains japonaises le 11 juin.
Bien que Tang Ching-sung continue de solliciter les puissances occidentales depuis le continent et que son successeur s'efforce d'organiser la résistance à Taïwan, l'organisation et la sophistication de l'armée japonaise rendent son avancée irrésistible.
Après avoir conquis le nord et le centre de l’île, les soldats de Tokyo arrivent à Tainan mi-octobre. Face à la défaite qui s'annonce, Liu Yung-fu s'enfuit à Xiamen, comme son prédécesseur.
Acéphale, la République de Formose s'effondre officiellement le lendemain, le 21 octobre 1895. Sa chute marque le commencement de 50 ans de colonisation nippone, malgré tous les efforts des Chinois des deux côtés du détroit pour garder l’île à la Chine.
La population de Taïwan va passer, sous la colonisation nippone, de 3,05 millions d’habitants au départ à près de 5,87 Millions en 1940, les Japonais instituant des registres de population visant tant au contrôle strict qu’à une progressive intégration de Taiwan à l’empire du Soleil Levant. Quoique non dénué de discriminations marquées envers la population chinoise ou aborigène, la résultante est que près de 70 % de la population en viennent à parler japonais. De même, plus de 200 000 soldats issus de Taïwan sont intégrés à l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale (et plus de 30 000 y trouvent la mort). L’objet final de la colonisation est clairement l’assimilation.
Suite à l'invasion japonaise, en 1931, le gouvernement nationaliste chinois a eu soin d'évacuer vers le sud les trésors de la Cité interdite de Pékin et toutes les oeuvres d'art que les envahisseurs étaient susceptibles d'accaparer. Au total près de 700 000 pièces représentatives de toutes les époques et de toutes les régions de la Chine.
Après maintes péripéties, les caisses contenant ces trésors ont suivi les troupes nationalistes jusqu'à Taïwan. Aujourd'hui, elles font la fierté du Musée national du Palais (Taïpeh). Ce musée, construit à flanc de montagne, rappelle par son style architectural la Cité interdite. Il présente aux visiteurs de façon alternative un total d'environ quinze mille pièces, le reste des collections étant à l'abri sous la montagne ! Il s'agit du plus complet conservatoire de la culture et des arts chinois.
Au gouvernement de Pékin qui n'a de cesse de réclamer le retour de ces oeuvres sur le continent, Taïpeh fait valoir que leur transfert à Taïwan les a sauvées d'une possible destruction lors de la Révolution culturelle (1966-1968).
Taïwan après la Seconde Guerre mondiale
Le 25 octobre 1945, soit près de deux mois après la capitulation du Japon, les troupes japonaises de Taïwan se rendent aux Américains, aboutissant de fait à la reprise de l’île par la Chine. Les troupes du Parti nationaliste chinois (Kuomintang) de Tchang Kaï-chek débarquent sans attendre à Taïwan.
L’île a été globalement épargnée par les destructions et les soldats chinois s'en étonnent. Ils décrivent un pays développé et presque intact. Rapidement toutefois, des pénuries alimentaires apparaissent et des épidémies de peste bubonique et de choléra se propagent.
Très vite, le malaise s'installe entre les nouveaux-venus et la population taïwanaise. Le 28 février 1947 éclatent des émeutes, sous le nom d'Incident « Deux-Vingt-Huit » (comme le 28 février). Il s’ensuit une violente répression qui provoque la mort d'environ 30 000 Taïwanais et la proclamation de la loi martiale. C’est le début de la « Terreur blanche », la police du Kuomintang n’ayant rien a envier en ce domaine aux dictatures qui viennent de s’effondrer.
Après sa défaite face au Parti communiste chinois de Mao Zedong, Tchang Kaï-chek se replie à Taïwan en décembre 1949, avec près de deux millions de continentaux. Il reprend la présidence à vie du gouvernement républicain de manière officielle en mars 1950, comme si celui-ci dirigeait encore l’ensemble de la Chine.
Après avoir maintenu une attitude globalement neutre entre Tchang Kaï-chek et Mao Zedong durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont reconnu en 1945 le gouvernement nationaliste comme le seul gouvernement légitime de la Chine. Le président Truman a toutefois prévenu le 5 janvier 1950 qu'ils ne s'impliqueraient pas dans un conflit éventuel entre Taïwan et la nouvelle République Populaire de Chine (RPC), proclamée le 1er octobre précédent.
Mais le déclenchement de la guerre de Corée bouleverse la position américaine, et le 27 juin 1950, Washington annonce l’envoi de la 7e flotte américaine dans le détroit, considérant une éventuelle occupation de Taïwan par la RPC comme une atteinte directe à la sécurité américaine. Celui-ci est complété le 2 décembre 1954, (au pire moment des affrontements entre le continent et l’île à propos des archipels sous contrôle nationaliste à quelques kilomètres du continent) par un traité de défense mutuelle entre la République de Chine et les USA, et alors là même que des stratèges américains recommandent l’utilisation de la bombe atomique contre la RPC.
Suite à l’arrivée des nationalistes, Taïwan, forte d’environ 9,5 millions d’habitants, tombe sous la dictature du Kuomintang, lequel n’a d’autre objectif que la reconquête de la Chine continentale, Taipei n’étant considérée que comme capitale administrative provisoire.
Toutefois, cette position apparaît de moins en moins tenable vis à vis du reste du monde, la RPC finissant par être reconnue par de grandes puissances occidentales, comme la France en 1964. En 1971, à la suite d'une demande formulée par 17 de ses membres, puis du rejet par la RPC d'une proposition des États-Unis de reconnaître les deux nations chinoises, l'ONU vote la résolution 2758, par laquelle la République de Chine perd son siège au profit de la République Populaire de Chine, qui devient le seul représentant de la Chine à l'ONU.
En 1978, Chiang Ching-kuo, fils de Tchang Kaï-chek mort trois ans plus tôt, devient le président de la République de Chine. Le régime, très autoritaire, s'assouplit peu à peu, la parole devient plus libre, pour aboutir en 1987 à la levée de la loi martiale.
En 1996 a lieu la première élection présidentielle au suffrage universel direct cependant qu’émerge un parti d’opposition, le Parti Démocrate Progressiste (DPP). Le président Lee Teng-hui, membre du Kuomintang, présente des excuses officielles pour la répression du « 2-28 » et inaugure un monument à la mémoire des victimes.
Taïwan poursuit depuis lors son chemin sur la voie de la démocratie, avec des accusations de corruption récurrentes visant les différents partis. Celles-ci aboutissent en 2008 à la condamnation à la prison à vie de Chen Shui-bian, chef du DPP et successeur de Lee Teng-hui à la présidence de la République.
L’équilibre reste néanmoins précaire entre un Kuomintang plutôt favorable à un lien étroit avec la Chine, et un Parti Démocrate Progressiste s’en affranchissant de plus en plus sans pour autant oser proclamer l’indépendance.
Un avenir en suspens
Taïwan est intimement chinoise par son peuplement, sa culture et son Histoire. Ses habitants n’en sont pas moins attachés à leur régime démocratique de type occidental. Ils n’ont aucune envie d’une réunification précipitée qui leur vaudrait le sort de leurs compatriotes de Hongkong.
Le soutien américain à la démocratie taïwanaise vise à contenir l’expansionnisme d’une Chine redevenue puissance mondiale, de la même façon que le soutien à la dictature de Tchang Kaï-chek visait à contenir l’expansionnisme soviétique en 1950…
La comparaison que nous portions en introduction avec l’Alsace-Lorraine apparaît pertinente jusque dans son temps historique : c’est en 1681 que Strasbourg fut rattachée à la France de Louis XIV, deux ans avant la reconquête de Formose par les Qing, et c’est en 1766 que la Lorraine rejoignit la France de Louis XV, 16 ans après l’abandon de toute restriction de l’immigration vers Formose de la Chine impériale. De même, province périphérique, Taïwan fut enlevée à la Chine dans ses moments de faiblesse : à celle des Qing en déliquescence au XIXe siècle, et ce malgré l’opposition de ses habitants, et au sortir d’une terrible guerre civile en 1949. Aussi, gardons-nous de sous-estimer la dimension symbolique de Taïwan et de son appartenance au monde chinois, pour le gouvernement de Pékin comme pour la plupart des Chinois.
La Chine
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 13 commentaires sur cet article
Christian (20-10-2022 03:30:03)
Xi Jinping menace de suivre les traces de Poutine. Après avoir obtenu (sans surprise) un troisième mandat de cinq ans, il vient de déclarer à propos de Taïwan : "Nous œuvrerons avec la plus gran... Lire la suite
Christian (27-08-2022 15:52:08)
Quelles que soient les raisons juridiques, historiques, culturelles ou ethniques invoquées, je crois que plus personne ne devrait admettre qu'un Etat quelconque s'arroge le droit de prendre possessio... Lire la suite
Chanel Armand (25-08-2022 14:23:24)
Merci de cet article. Cependant, je suis surpris de la discordance entre les faits historiques rapportés d'une part (l'île de Formose était initialement peuplée de population autochtone non chino... Lire la suite