La prospérité du vice

Une introduction inquiète à l'économie

Daniel Cohen, professeur à l'ENS, est un économiste proche du parti socialiste et de Dominique Strauss-Kahn. Il a participé avec celui-ci et Laurent Fabius à l'acclimation en France du néolibéralisme, au milieu des années 1980...

Il publie un essai brillant sur l'économie dans l'Histoire universelle sous le titre curieux : La prospérité du vice, une introduction inquiète à l'économie (Albin Michel, Le livre de poche, 6,95 euros, 2009).

La prospérité du vice

L'économiste nous offre un survol de l'histoire universelle depuis la préhistoire en alignant des paradoxes plus savoureux les uns que les autres. Ainsi affirme-t-il que les vices peuvent contribuer à la prospérité commune (d'où le titre de l'ouvrage).

Dans l'ancienne société tahitienne, par exemple, on se prémunissait contre le surpeuplement et la misère par l'infanticide. De façon moins brutale, c'est par leur mauvaise hygiène que les Européens du XVIIIe siècle auraient limité leur croissance démographique et préservé leur bien-être, à la différence des Chinois et des Japonais, que l'obsession de la propreté a conduit à la surpopulation, donc à la misère !

Remontant le temps, il nous assure, à la lumière de quelques études américaines, que les esclaves romains ne vivaient guère plus mal que les paysans de Louis XIV. Pourquoi, dans ces conditions, la révolution industrielle s'est-elle réalisée en Occident plutôt qu'en Chine ou en Inde ? Peut-être du fait de la division politique de l'Europe.

Là aussi, le paradoxe est savoureux : quand un pays européen s'est essouflé dans une entreprise de progrès, un autre a pris le relais. Ainsi le Portugal a-t-il lancé les grandes explorations avant d'être relayé par la Hollande, l'Angleterre... De même, cette dernière a inauguré la première révolution industrielle au XVIIIe siècle avant d'être à son tour relayée par l'Allemagne et les États-Unis.

Rien de tel en Chine où la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme a stérilisé les efforts des uns et des autres, par exemple les grandes navigations de Zheng He.

Un esprit malveillant (ce que n'est pas Daniel Cohen) pourrait en conclure que l'Union européenne risque de briser l'élan créatif des Européens en corsetant les initiatives locales ou nationales dans des réglementations tatillonnes ou dogmatiques, de la même façon que la cour impériale de Pékin a bridé la créativité chinoise depuis le XVe siècle.

Autre paradoxe qui vaut le détour : après un exposé des cycles économiques mis en évidence par l'économiste Kondratiev, Daniel Cohen note, à l'encontre de la vulgate bien-pensante, que la croissance économique et la libéralisation des échanges ne sont en rien des facteurs de paix. Bien au contraire, en allégeant les contraintes budgétaires qui pèsent sur les États et en diversifiant leurs sources d'approvionnement, elles facilitent la mise en oeuvre de leurs ambitions : guerre ou autre (conquête de l'espace, explorations maritimes...).

L'économiste est reconnaissant à Keynes de sa contribution à la prospérité des Trente Glorieuses. Il montre combien est essentiel le rôle de l'État, par exemple dans le domaine de la santé où il freine les dépenses plutôt qu'il ne les encourage (les résultats déplorables du système de santé américain, à la fois coûteux et inefficace, sont la démonstration a contrario de ce constat).

Mais, compte tenu de ses options néolibérales, l'auteur s'abstient dans cet essai de mettre en cause ou simplement d'évoquer les excès actuels du « libre-échange ».

Il fait silence aussi sur l'éducation comme facteur de développement en Asie du sud et en Extrême-Orient, ne préférant retenir que la libéralisation des échanges entreprise par les dirigeants des années 1990 (Rao et Singh en Inde, Den Xiaoping en Chine).

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2021-02-01 14:38:28

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