Cet exceptionnel hors-série nous est proposé par Le Monde diplomatique.
Autour de Serge Halimi et Philippe Rekacewicz, cartographe, la rédaction a brodé un Atlas pour nous aider à mieux comprendre le monde dont nous sortons et dépasser les idées reçues. Excellent rapport qualité-prix (8,50 euros)...
Cette Histoire critique du XXe siècle traite du monde, de la Première Guerre mondiale à nos jours, à travers 44 éclairages d'une double page chacun, dans un grand format richement illustré par des centaines de cartes et de graphiques.
On peut picorer au choix l'un ou l'autre des articles ou lire le tout d'une traite.
Les auteurs ont privilégié les événements et les évolutions habituellement occultés par les manuels scolaires et les médias, en matière militaire, politique, sociale, démographique, artistique...
Ainsi illustrent-ils la dislocation des empires et la fin du communisme mais aussi l'évolution du sentiment religieux, les droits accordés aux femmes, la mue des multinationales etc.
Délectation assurée pour tous les amateurs d'Histoire soucieux de dépasser les lieux communs et les idées reçues de l'information dominante.
Parmi ces lieux communs figure le mythe de l'Amérique qui a sauvé le monde du nazisme, mythe véhiculé par le cinéma hollywoodien et complaisamment entériné par les penseurs européens.
Ainsi voit-on dans le débarquement de Normandie l'opération-clé de la reconquête alors même qu'il ne s'agissait que d'une opération de soutien au principal effort, supporté par les Soviétiques. Serge Halimi rappelle qu'en 1944, 165 divisions allemandes étaient engagées à l'est et 76 seulement à l'ouest. Quand est survenu le débarquement, les Soviétiques avaient déjà infligé à l'ennemi les défaites décisives de Stalingrad et Koursk et franchi la frontière allemande.
N'insistons pas sur les pertes humaines. Avec 200.000 soldats tués au front, en Europe et dans le Pacifique, les États-Unis n'ont pas eu trop à pâtir de la guerre en comparaison des belligérants européens.
La déformation de la mémoire historique prend aussi des formes insidieuses, que l'on croirait réservées aux régimes totalitaires. Serge Halimi rappelle dans la présentation de l'Atlas que les autorités éducatives du Texas auraient, en mars 2010, décidé que l'étude des programmes sociaux américains des années 1960 (Kennedy, Johnson) devrait désormais en «analyser tous les effets pervers».
L'Atlas commence fort avec la planisphère des belligérants de la Grande Guerre et le portrait au vitriol du maréchal Joseph Joffre, dont les contemporains et l'Histoire n'ont voulu retenir que le rôle décisif dans la contre-offensive victorieuse de la Marne, en septembre 1914, face à la percée allemande.
Initiateur d'un plan offensif qui a complètement failli au mois d'août 1914, le généralissime a reporté la responsabilité de la débandade sur ses subordonnés et les soldats eux-mêmes. Une centaine de généraux ont été mutés à l'arrière, en particulier à Limoges, d'où le verbe «limoger» inventé pour l'occasion. Comme Joffre lui-même, beaucoup de ces généraux avaient dû leur grade à leur anticléricalisme et à leur appartenance à la franc-maçonnerie. Plus gravement, Joffre avait fait fusiller des centaines de soldats suspectés d'avoir déserté ou tenté de le faire.
Concernant les suites de la Grande Guerre, l'Atlas montre comment le renversement de trois empires muticulturels (l'Autriche-Hongrie, la Turquie ottomane et la Russie, en plus de l'empire allemand) a débouché sur des crises interminables, dans les Balkans, au Moyen-Orient et dans le Caucase. Quelques cartes judicieuses montrent aussi les bouleversements révolutionnaires en Allemagne et dans l'Europe des années 1920.
Avec le souci de sortir des sentiers battus, l'Atlas montre les effets divers du krach de 1929 sur les pays occidentaux. Certains, plus nombreux qu'on ne croit, n'en ont pratiquement pas souffert. D'autres, comme la France du Front populaire et les États-Unis du New Deal, en ont tiré argument pour renforcer la démocratie sociale, d'autres, enfin, pour le malheur commun, se sont livrés à des aventuriers sans foi ni loi.
L'Histoire critique du XXe siècle aborde toutes les activités humaines. Ainsi les auteurs ont-ils mis en graphique les mouvements artistiques de l'entre-deux-guerres (foyers principaux et secondaires). Ils ont illustré l'expansion des transports et des télécommunications ainsi que le développement des villes, phénomène majeur des 150 dernières années.
Les citadins représentaient au début du XIXe siècle un dixième de la population mondiale ; ils en regrouperont les quatre cinquièmes d'ici quelques décennies. En 2025, le monde comptera 27 mégapoles de plus de dix millions d'habitants (Paris étant l'une des plus modestes d'entre elles). 21 d'entre elles appartiendront à l'ancien tiers-monde.
Cette poussée urbaine accompagne l'explosion démographique, laquelle est sur sa fin. Nous étions un milliard au milieu du XIXe siècle ; nous serons neuf milliards au milieu du XXIe siècle. Ensuite, la population mondiale ne devrait plus croître mais seulement gagner en cheveux blancs.
Très complet, le hors-série du Monde diplomatique oublie toutefois une donnée de taille du XXe siècle et du siècle présent : les migrations. Il eut été bon de montrer l'expansion européenne vers le Nouveau Monde avant la Grande Guerre, ainsi que la constitution d'une Chine d'outre-mer au cours des deux derniers siècles, enfin les vagues d'immigration qui touchent l'Europe et l'Amérique du nord depuis les années 1970, en provenance de tous les autres continents.
On eut souhaité aussi un traitement plus complet des changements dans le monde industriel, à partir des années 1980 : délocalisations, financiarisation, émergence des groupes asiatiques... Nonobstant ces oublis, l'Atlas critique du XXe siècle constitue une inépuisable source de réflexions pour alimenter nos conversations de table, de comptoir ou de bureau.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible