L’heure est une notion à la fois ancienne et récente. Subdivision du jour depuis l’Antiquité, elle s’est peu à peu imposée comme l’unité de référence du temps, remplacée par la seconde en 1967. Pourtant, en raison d’un changement contraint de fuseau horaire puis de l’adoption de l’heure d’été, les Français n’ont jamais vécu autant décalés vis-à-vis du soleil qu’aujourd’hui…
L’invention de l’heure
C’est des Babyloniens que vient l’idée de diviser la journée, c’est-à-dire la période allant du lever du soleil à son coucher, en douze heures. La pratique est reprise ensuite par les Grecs puis les Romains.
À l’origine, l’heure est simplement le douzième d’une journée, quelle que soit la saison. Sa durée varie donc largement au cours d’une année et de la latitude. Elle est plus courte en hiver qu’en été.
Malgré leur imprécision, ces heures dites temporaires restent adaptées à l’activité humaine et permettent surtout de rythmer les heures de travail. Elles sont d’ailleurs numérotées. C’est ainsi que la sixième heure (en latin « sexta ») marquant la mi-journée donnera le mot « sieste » !
La nuit est elle aussi divisée en douze même si à Rome on préfère simplement la fractionner en quatre. Ce sont également les Romains qui auraient choisi de fixer le début de la journée à minuit, et non au lever ou au coucher du soleil, coutume qui traversera les siècles.
Pour connaître l’heure, les hommes de l’Antiquité ont recours aux cadrans solaires, inventés en Grèce au Ve siècle av. J.-C. La mesure du temps se fait grâce aux horloges hydrauliques qui ont l’avantage de fonctionner la nuit mais dont l’entretien est des plus fastidieux.
Au Moyen Âge, l'Église crée les heures canoniales qui divisent la journée en huit. À chaque heure correspond sa prière, annoncée par la sonnerie des cloches qui vont rythmer durant des siècles la vie des villes et des campagnes : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies.
Autre nouveauté : grâce au nocturlabe, un instrument dérivé du cadran solaire et conçu aux alentours de l’An Mil, on peut désormais connaître l’heure la nuit à partir du positionnement des étoiles.
Les horloges mécaniques
La révolution horaire survient au XIVe siècle avec l’apparition, en Italie, des premières horloges mécaniques à poids. En 1336, Milan se dote d’une horloge sonnant les heures du jour selon un nombre de coups correspondant.
En seulement quelques décennies, les horloges mécaniques se diffusent dans toute l’Europe. Les innovations en matière d’horlogerie vont dès lors se faire à vitesse grand V : cadran de 24 heures puis de 12 heures apparaissent de même que les aiguilles marquant les heures.
La Renaissance n’a pas encore commencé que déjà clochers et beffrois s’équipent de resplendissantes horloges. Les progrès techniques profitent à la miniaturisation. Dès la fin du XVe siècle arrivent les premières horloges portatives, ancêtres des montres. Elles n’en restent pas moins onéreuses et inaccessibles au peuple qui continue à utiliser le cadran solaire.
Au XVe siècle apparaît l’anneau de paysan, un cadran personnel portatif en forme d’anneau pouvant se régler à la date du jour et donnant l’heure solaire avec une précision d’un quart d’heure.
La précision des horloges permet de diviser l’heure en sous-parties. Au XVIe siècle apparaissent ainsi les minutes puis les secondes.
Avec l'invention à la fin du XVIIe siècle de l’horloge à pendule par le hollandais Christian Huygens, l’exactitude des appareils s’améliore largement.
En 1735, l’Anglais John Harrison met au point le chronomètre de marine capable de garder l’heure exacte à une seconde près en 100 jours. L’objet va révolutionner la navigation.
L’horloge mécanique marque une rupture radicale dans la conception de l’heure : sa durée ne dépend plus des cycles du soleil mais demeure constante toute l’année. C’est une heure moyenne qui correspond à la douzième partie d’une journée d’équinoxe. L’heure moderne de 60 minutes est née.
Les heures temporaires héritées de l’Antiquité sont donc progressivement remplacées par les heures équinoxiales, indiquées par les horloges mécaniques.
En 1786, Philippe d’Orléans fait installer dans ses jardins du Palais-Royal un petit canon en bronze chargé de tonner tous les jours à midi pour permettre aux riverains de régler montres et horloges. Son fonctionnement est des plus ingénieux : une loupe orientée sur l’axe du soleil à son zénith enflamme la mèche pour la mise à feu du canon. Sa détonation restera longtemps la référence de l’heure de Paris. Seule contrainte : le temps doit être ensoleillé. Autrement dit : pas de soleil, pas d’heure !
Les trains imposent l’heure unique
Au XIXe siècle, si la durée d’une heure est désormais la même de partout, chaque localité a sa propre heure, calculée à partir des observations du soleil faites sur place. Lorsqu’il est midi à Strasbourg, il n’est que 11h12 à Brest, la Terre tournant sur son axe d’est en ouest à la vitesse de 1600 km/h.
Dans le monde préindustriel, largement sédentaire où l’on se déplace à cheval, cela ne prête guère à conséquence. Les trajets effectués sur de longues distances sont trop lents pour nécessiter une synchronisation des heures. Mais au milieu du XIXe siècle l’émergence du chemin de fer va brusquement changer la donne.
Les différences d’heure locale s’avèrent en effet un problème pour les horaires de trains. Pour ne pas avoir à changer d’heure dans chaque gare, les compagnies de chemins de fer britanniques décident en 1840 de régler toutes leurs horloges sur l’heure de Londres. L’horaire des chemins de fer servira de référence aux Anglais qui en moins de vingt ans abandonnent l’heure solaire locale.
En France, la transition sera plus laborieuse… S’inspirant des Britanniques, les compagnies de chemin de fer imposent l’heure de Paris. Chaque gare se dote alors de deux horloges : une indiquant l’heure locale, l’autre celle de la capitale. Parfois, le cadran comporte deux aiguilles des minutes, une dorée symbolisant l’heure solaire et une noire pour l’heure parisienne.
Pour compliquer le tout, les compagnies de chemins de fer décident de retarder tous les trains de cinq minutes sur l’horaire officiel pour éviter d’éventuelles réclamations des voyageurs ! Cet horaire informel sera surnommé « l’heure de Rouen ».
Il faut attendre 1891 pour qu’une loi fasse de l’heure de Paris la seule heure légale du pays.
Naissance des fuseaux horaires
À la fin du XIXe siècle, l’heure solaire a disparu à peu près partout au profit de l’heure légale. Mais la synchronisation de l’heure se heurte encore à deux problèmes :
- Les heures restent différentes d’un pays à l’autre, freinant les échanges inter-frontaliers.
- Certains pays sont trop vastes pour adopter une heure unique : États-Unis, Russie, Canada, Australie…
Les compagnies de chemin de fer américaines et canadiennes finissent par créer en 1883 cinq zones horaires entre le Pacifique et l’Atlantique.
Parallèlement, le géographe canadien Sandford Fleming propose de diviser le globe en 24 fuseaux horaires de 15 degrés de longitude. De cette manière, au sein d’un même fuseau, la différence entre l’heure solaire et l’heure officielle n’excédera pas 30 minutes.
En octobre 1884, une conférence internationale rassemblant 25 pays se tient à Washington pour organiser le partage du globe en 24 fuseaux horaires. La question qui divise les participants porte sur le choix du méridien de référence (méridien international zéro).
Deux méridiens sont en concurrence : celui de Greenwich (du nom de l’observatoire de Greenwich, dans la banlieue de Londres, fondé au XVIIe siècle) et celui de Paris. C’est finalement le premier qui est choisi, au grand dam des Français. En contrepartie, Londres s’engage à adopter le système métrique.
Chaque pays doit donc adopter l’heure du ou des fuseaux dans le(s)quel(s) il est situé. Intégrée au fuseau du Royaume-Uni, la France est contrainte d’aligner toutes ses horloges sur celles de Londres. Mais, mauvais joueurs, les Français attendront 1911 pour abandonner définitivement l’heure de Paris.
Pas question pour autant de reconnaître Greenwich, fierté nationale oblige : la loi précise que l'heure légale en France sera désormais « l'heure de l’observatoire de Paris, retardée de 9 minutes 21 secondes ». Les plus chauvins prendront un malin plaisir à parler du méridien d'Argentan (Orne) ou de La Flèche (Sarthe), tous deux situés à la même longitude que l’observatoire londonien !
De l’heure anglaise à l’heure allemande
Pendant près de 30 ans, Paris et Londres vont être à la même heure, c’est-à-dire GTM (Greenwich Mean Time ou « Temps Moyen de Greenwich »). Les choses changent brutalement en juin 1940 avec l’invasion allemande. L’une des premières décision de l’occupant est d’aligner l’heure de Paris sur celle de Berlin, c'est-à-dire GTM+1. Dans un premier temps, la zone libre conserve l’heure française, si bien qu’à Vichy il est une heure plus tard qu’à Paris !
Ce décalage horaire entre les deux zones n’est pas sans poser des problèmes logistiques : les trains provenant de la zone libre circulent avec une heure de retard dans la zone occupée, tandis que ceux venant de la zone occupée sont contraints d’attendre une heure à la ligne de démarcation.
Pour mettre fin à cette absurdité, le gouvernement de Vichy accepte d’aligner son heure sur celle de l’occupant en février 1941. Toute la France se retrouve donc « à l'heure allemande », selon l’expression popularisée par le roman de Jean-Louis Bory, Mon village à l'heure allemande.
À la Libération, pour des raisons demeurées obscures, le retour de la France dans le fuseau horaire de Greenwich est annulé, la reconstruction du pays étant prioritaire. Depuis cette date, et construction européenne aidant, l’Hexagone vit à l’heure de l’Europe centrale, soit une avance d’une heure sur le soleil.
La France n’est pas le seul pays à être dans le mauvais fuseau horaire. Depuis 1942, l’Espagne se trouve elle aussi à l’heure de Berlin, décision prise par Franco pour des raisons évidemment politiques.
En Chine, la situation est plus sidérante encore, le pays ayant choisi d’adopter une heure unique pour tout son territoire. Les habitants des provinces de l’ouest (Tibétains et Ouïghours) sont donc soumis à l’heure de Pékin, 2500 kilomètres à l’est !
La France, recordman de fuseaux horaires Ses nombreux territoires outre-mer font de la France le pays couvrant le plus grand nombre de fuseaux horaires au monde. Treize en tout ! Lorsqu’il est 12h00 à Paris il est : - 02h00 à Tahiti |
L’heure d’été
Durant la Première Guerre mondiale, pour réaliser des économies d’énergie, l’Allemagne invente le passage à l’heure d’été.
Durant six mois, le temps est alors avancé d’une heure pour gagner une heure de lumière en soirée. La mesure est rapidement adoptée par l’Angleterre et la France puis par un grand nombre de pays.
Abandonnée après la Seconde Guerre mondiale, l’heure d’été est finalement rétablie en France en 1976 à la suite du premier choc pétrolier, afin de réduire la facture énergétique. La mesure est censée être provisoire. Elle subsiste pourtant un demi-siècle plus tard. Entre-temps, l’heure d’été sera étendue à l’ensemble des pays de l’Union Européenne, gagnant même un mois depuis 1995.
En conséquence, les Français vivent désormais sept mois sur douze à l’heure d’Odessa, soit avec deux heures d’avance sur le soleil. Ce décalage n’est pas sans poser certains problèmes, en particulier sur le sommeil, le coucher de soleil tardif ayant tendance à retarder l’endormissement. Raison pour laquelle Français et Espagnols se lèvent en moyenne plus tard que leurs voisins. Pour Madrid, ce décalage horaire pénaliserait même l’Espagne en termes de croissance et de productivité.
Le choix d’abandonner l’heure d’été et/ou de revenir dans le fuseau horaire de Greenwich sera peut-être en France comme en Espagne l’enjeu politique (et même géopolitique depuis le Brexit) inattendu des prochaines années.
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