La presse jeunesse, c’est 250 ans d’Histoire, un millier de publications, des centaines de héros récurrents et de vedettes charismatiques, des dizaines de millions de lecteurs. C’est la naissance du roman-feuilleton, de l’illustration populaire, du courrier des lecteurs, de la BD, des reportages terrain, des clubs d’échanges et de rencontres, de la propagande politique vers la jeunesse, du marketing éditorial et des encartages d’objets…
Cette presse jeunesse s’est progressivement affirmée comme une compagne de route de ses jeunes lectrices et lecteurs au travers d’une évolution dont chaque phase correspond à une transformation de sa clientèle au sein de la société de l’époque. Les journaux ne peuvent en effet s’abstraire du contexte de leur production et de leur commercialisation.
Mais aujourd’hui, en 2022, c’est tout un secteur de l’édition papier en crise qui tente de survivre financièrement en fidélisant son lectorat, de se renouveler dans ses contenus, son écriture et sa présentation et de sauvegarder les valeurs de socialisation auxquelles elle est attachée face à la puissance d’Internet et à l’emprise des réseaux sociaux.
Rappelez-vous : vous attendiez chaque semaine avec une impatience difficile à contenir votre journal favori : La Semaine de Suzette, Le Journal de Mickey, Pif Gadget ou peut-être Salut Les Copains…
Retrouvez l’écho de vos joies d’enfant dans le Panorama illustré des journaux de jeunesse rédigé par Jean-Paul Gourévitch (296 pages, éditions SPM, 2022). Vous y découvrirez l’histoire de cette presse attachante dont les premiers babils remontent à la fin du… XVIIIe siècle !
La naissance de la presse jeunesse (1770-1870)
Les spécialistes divergent sur la date de baptême de la presse jeunesse. S’agit-il du Magasin des Enfants de Madame Leprince de Beaumont (1757) qui n’est pas un périodique, du Journal d’Education (1777) créé par Charles Leroux, enseignant au collège Boncourt à Paris mais qui est davantage destiné aux parents, ou de l’Ami des Enfants (1782) de Berquin, qui en tant que périodique a dû s’arrêter l’année suivante ?
En revanche ils s’accordent sur trois points-clés :
- La presse pour la jeunesse accuse un retard considérable sur le reste de la presse. La Gazette de Théophraste Renaudot, parue dès 1631, fut suivie de nombre de publications périodiques, littéraires, scientifiques, évènementielles, commerciales, satiriques. Tel ne fut pas le cas de la presse pour la jeunesse alors que les controverses éducatives se multiplient dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
- La Révolution n’a pas su concrétiser son désir de créer une presse destinée aux « enfants de la Liberté ». Les rares journaux lancés ont disparu très rapidement, faute de public, de liberté d’expression ou de capitaux. L’Empire n’a pas fait mieux.
- C’est sous la Restauration que les premiers magazines éducatifs ont trouvé leur public : le Bon Génie, mensuel créé en 1824 par le seul Laurent-Pierre de Jussieu qui abandonne 5 ans plus tard, et surtout le Journal des Enfants, lancé en 1832 par Jules Janin. Entouré d’une équipe talentueuse (Alexandre Dumas, Louis Desnoyers, Marcelin Desbordes-Valmore que rejoindront Chateaubriand et Victor Hugo), il fera subsister le titre jusqu’en 1897.
Jules Janin invente le principe du roman-feuilleton avec suite au prochain numéro pour fidéliser sa jeune clientèle et introduit l’illustration dans la presse jeunesse. La mode est lancée. Les « personnes du sexe » auront-elles aussi leurs mensuels illustrés avec des patrons et des gravures de mode : le Journal des Jeunes Personnes (1833-1868), le Journal des Demoiselles (1833-1922), le Magasin des Demoiselles (1844-1881)…
Cette presse est achetée par les parents, essentiellement par abonnement et la lecture est familiale comme celle de toute la presse non politique de l’époque : l’Illustration, le Monde Pittoresque, le Monde illustré… Les tentatives pour créer une presse « différente » comme la Mère Gigogne (1850), un « almanach des petits enfants rédigé et illustré par des grands », échouent.
Le succès de cette presse attise les convoitises des deux grands éditeurs de l’époque. Louis Hachette et Pierre-Jules Hetzel qui cherchent un relais pour promouvoir leurs ouvrages jeunesse et élargir leur clientèle.
Avec la Semaine des Enfants (1857-1876) et la Poupée Modèle (1863-1924), Hachette pense avoir trouvé la bonne formule et n’hésite pas à proposer aux petites filles un marketing éditorial sophistiqué : « Désormais vous pourrez donc nous charger d’acheter pour vous tout ce que vous voudrez : livres d’agrément et de chant, méthode de piano…pianos même, costumes tout faits pour vous, vos grandes sœurs, vos mamans, vos petits frères… ».
De son côté Hetzel qui a formé un triumvirat avec le pédagogue Jean Macé et l’auteur « scientifique » Jules Verne auquel il a donné sa chance en publiant son premier roman Cinq semaines en ballon après l’avoir obligé à remanier son manuscrit, met sur le marché en 1864 le premier numéro du Magasin d’Education et de Récréation, un journal « sérieux et attrayant à la fois, qui plaise aux parents et qui profite aux enfants ».
La publication se poursuivra jusqu’en 1915. Ironie du sort. Hetzel absorbe La Semaine des Enfants en 1876. Mais Hachette a préparé sa riposte. Ce sera le lancement de l’austère Journal de la Jeunesse (1872-1914), du récréatif Mon Journal (1881-1925) et le rachat par ses successeurs de l’ensemble de la maison Hetzel au début de la guerre 14-18.
Le premier âge d’or de la presse jeunesse (1870-1918)
Les deux thématiques que Hetzel souhaitait accoler, le « pédagogique » et le « récréatif » se séparent à la fin du XIXe siècle pour segmenter des marchés différents qui deviennent concurrentiels au début du XXe siècle.
Éducative, la revue hebdomadaire Mame (1894-1909) et son supplément illustré, le journal catholique militant le Noël (1895-1913) ou le Saint-Nicolas, revue des éditions Delagrave (1880-1914) qui accueillera pourtant en 1908 la première BD avec bulles Sam et Sap, les aventures surprenantes d’un petit nègre et de son singe, texte de Georges Le Cordier, illustrations de Rose Candide, un pseudonyme dont l’identité est restée secrète.
Plus récréatif qu’éducatif le Petit Français illustré (1889-1905), hebdomadaire des éditions Armand Colin. Totalement récréatifs, les premiers « illustrés » pour la jeunesse, La Semaine de Suzette (1905-1960) pour les jeunes filles avec son héroïne-culte Bécassine et la constitution du trousseau de la poupée Bleuette, et l’Epatant (1908-1939 pour les garçons avec les célèbres Pieds Nickelés.
Ces évolutions correspondent à des profondes transformations de la société française. Le peuple enfantin est en voie d’émancipation. L’école primaire gratuite, laïque et obligatoire, le développement des sports et du secteur associatif ont fait des enfants des êtres moins soumis à leur famille, plus proches de leurs pairs, plus instruits et plus libres. Ceux qui ont leur chambre et surtout de l’argent de poche ne balanceront pas longtemps entre l’achat d’un illustré à 5 ou 10 centimes et celui d’un livre qu’ils peuvent espérer se faire offrir lors des étrennes ou de la distribution des prix.
La grande presse s’est également transformée tant en nombre de titres (600 quotidiens en France en 1900) qu’en tirage (1,2 million d’exemplaires en moyenne pour le Petit Parisien).
Plusieurs quotidiens, selon le modèle américain, ont produit des suppléments hebdomadaires ou spécifiques pour la jeunesse comme Le Petit Journal illustré de la Jeunesse (1904-1914), qui propose en « une » une histoire en images avec des bulles pour les personnages ou les animaux qui s’expriment.
La primauté de l’image, le développement de la couleur et de la photographie, l’apparition des premiers pop-up (myriorama, albums à surprises) séduisent une clientèle bien plus large que celle des abonnés aux journaux instructifs.
Aussi, tout en évoquant parfois le soutien des parents ou des prescripteurs, la presse jeunesse s’adresse directement à ses lecteurs comme en témoigne l’éditorial du premier numéro de la Jeunesse illustrée (1903-1936), hebdomadaire des éditions Fayard : « C’est pour vous, jeunes gens et jeunes filles, que nous avons créé ce journal d’un genre tout nouveau… Notre but sera toujours de vous procurer, toutes les semaines quelques heures d’agrément, de gaîté, de plaisir. » On le constatera plus dramatiquement quand les journaux de jeunesse enrégimenteront leurs héros et mobiliseront l’esprit de leur lectorat pendant la Grande Guerre 14-18.
La diversification de la presse jeunesse (1939-1945)
L’entre-deux-guerres est une période où l’enfant est devenu symbole de l’avenir. Le vêtement contribue à sa libération, le sport à son épanouissement, l’éducation à la prise en compte de ses aspirations. Cette période est sans conflits majeurs pour la France même si les menaces des régimes totalitaires pèsent sur le moral.
Le développement de l’hygiène et de la santé, des loisirs - radio, cinéma parlant puis en couleurs -, des bibliothèques, des conquêtes sociales (congés scolaires et congés payés), des voyages, des colonies de vacances, des mouvements de jeunesse, devrait favoriser le brassage des populations et stimuler la lecture. Pourtant nombre d’éducateurs se plaignent d’une « crise de la lecture » dont les « illustrés » seraient en partie responsables.
La fin de la grande guerre est marquée par l’apparition de nouveaux titres, Guignol (1919-1936), Lisette (1921-1973) ou Pierrot (1925-1957). Si la mémoire du conflit est encore dans les esprits, ces publications sont largement récréatives. La BD avec ses codes et ses bulles a détrôné les histoires en images sous l’impulsion d’Alain Saint-Ogan qui scénarise les aventures de Zig et Puce, de l’ours Prosper et du pingouin Alfred pour le Dimanche illustré.
En contrepoint, il existe une presse catholique engagée très vivace : les anciens Echo du Noël, (1906-1935) et le Sanctuaire (1911-1940), puis Bernadette (1923-1940) pour les filles et Bayard (1936-1940) pour les garçons lancés par la Maison de la Bonne Presse ; ou du côté des éditions Fleurus, Cœurs Vaillants (1929-1944) auquel collabore notamment Hergé, qui sera relayé par Âmes Vaillantes (1937-1963) pour les filles.
La presse de gauche possède aussi ses fleurons. Les Petits Bonhommes (1911-1914) sont relancés sous le titre Les Petits Bonhommes quand même par un groupe d’instituteurs. La presse laïque édite Copain-Cop puis le journal de Copain-Cop (1932-1939). Les communistes font paraître Mon Camarade (1933-1939) et le mouvement d’éducation populaire Freinet qui met l’enfant au cœur de l’apprentissage, produit des textes libres, de la correspondance scolaire et des revues comme La Gerbe.
Dans cette présentation, Benjamin (1929-1939 puis 1940-1944) mérite une place à part. Ce journal fondé par Jean Nohain dit Jaboune, se proclame « le premier grand hebdomadaire français pour la jeunesse » mêlant reportages, photographies, contes, dessins ainsi que des textes écrits par les lecteurs qui sont rémunérés quand ils paraissent.
Son positionnement dans la période 39-45 reste très ambigu. Après avoir proclamé en 1939 après la prise de Dantzig : « Nous n’avons pas peur de vous, M. le Chancelier », il s’arrête en 1939 puis reparait en zone sud en demandant à ses lecteurs d’envoyer un dessin au Maréchal pour fêter Noël. Plus d’un million d’envois lui parviendront.
Ce panorama très diversifié va être bouleversé le 21 octobre 1934 par la sortie du Journal de Mickey tiré à près de 500 000 exemplaires. Malgré la fronde menée par les catholiques et les communistes pour une fois alliés contre l’ennemi américain et le lancement de nouvelles publications qui font appel à des grands noms de la BD comme Robinson (1936-1944), Hurrah (1935-1942), Junior (1936-1947) et l’As (1937-1940), il restera en tête du hit-parade de la diffusion jusqu’à la seconde guerre mondiale.
La période de l’occupation est le tombeau des illusions. La plupart des publications sont interdites, se sabordent ou tentent de survivre en zone sud ou à l’étranger. Cœurs Vaillants et le nouveau Fanfan la Tulipe (1941-1942) qui ont bénéficié au début de l’occupation, de la bienveillance du Maréchal ne résisteront pas à la pression allemande qui ne laisse subsister que peu de titres dont le surprenant le Téméraire (1943-1944) qui véhicule discrètement une idéologie pronazie et antisémite.
Le second âge d’or de la presse jeunesse (1945-1981)
Cette période est marquée par l’explosion du nombre de publications (plus de 200 recensées hors petits formats, comics et fanzines) et la très rapide modernisation des contenus. Le jeune lecteur de 1946 qui se serait endormi sur ses illustrés pendant 35 ans ne reconnaîtrait plus le monde dans lequel il avait choisi de s’immerger.
Les majors ont tenu bon comme Spirou depuis 1938, Tintin (1948-1989), et Le journal de Mickey qui a repris sa parution en 1952 ainsi que quelques journaux moins prestigieux mais qui ont su maintenir leur clientèle comme Christiane (1946-1981), Francs-Jeux (1946-1979) Dominique (1951-1981) ou Junior (1953-1979). Mais les contenus, les formats et le rédactionnel et la mise en page ont subi une profonde transformation qui se fait en quatre étapes successives.
L’euphorie de la libération n’a pas duré. Les journaux militants n’ont pas survécu à la désaffection rapide de leur public ou ont dû changer de formule. Ainsi l’hebdomadaire communiste Le Jeune Patriote de 1944 devient Vaillant (1945-1969) avant de se transformer en Pif Gadget (1969-1982).
La presse grand public qui se situait dans la continuation de l’avant-guerre ne se porte guère mieux : Donald, Zig et Puce, Benjamin, Line ne durent que quelques années. Hurrah fusionne avec l’Intrépide. Tarzan et nombre de comics ou de petits formats disparaissent victimes de la loi moralisatrice de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
Mais les quelque trois millions d’enfants qui lisent chaque semaine un illustré continuent à s’enthousiasmer pour les héros, qu’ils viennent de l’Amérique (Brick Bradford francisé en Luc Bradefer, Flash Gordon francisé en Guy l’Eclair), de la BD Belge (Blake et Mortimer), de la tradition des westerns ou de l’univers Disney. Le renouveau des années 60 portera deux noms ; la vague yéyé et la libération graphique.
Le phénomène teenager qui touche la clientèle adolescente mais contamine également les plus jeunes, émerge dans les années 50 en Grande-Bretagne, se répand en France dans les années 60, favorisée par le contexte facilitateur des « trente glorieuses » qui augmente les temps de loisirs et l’argent de poche de la jeune génération.
La presse jeunesse, liée aux émissions de radio et de télévision suit le mouvement. Salut les Copains (1962-2006) dépasse le million de lecteurs. Mademoiselle Age Tendre (1964-1976), Podium (1971-1981) surfent sur la vague yé-yé. Les publications chrétiennes ne peuvent y rester étrangères.
Rallye-Jeunesse lancé en 1959 par la Bonne Presse se transforme en Club-Inter qui disparaîtra néanmoins en 1970 ; Bayard laisse sa place en 1961 à Record et le Parti communiste s’engage dans l’aventure de Nous les garçons et les filles (1963-1970) bien que les valeurs de ce lectorat - individualisme, recherche du plaisir et goût pour la musique américaine - soient aux antipodes de celles portées par la lutte des classes.
Après la mort de Claude François en 1978, les fans se font plus rares et les ventes se contractent.
Avant même que le ressac de la vague teenager se confirme, un autre courant enfièvre la marée des publications jeunesse. Stimulée par l’explosion graphique de l’illustration jeunesse avec les créations de Warja Lavater, Leo Lionni, Tomi Ungerer ou Frédéric Clément, la presse jeunesse a entrepris sa révolution dont Pif Gadget et Pilote peuvent être considérées comme les deux emblèmes.
L’hebdomadaire Pif Gadget dont le héros est le chien Pif créé par Cabrero Arnal dès 1948 pour l’Humanité, comporte non seulement un récit complet à la différence de ses confrères restés fidèles à la formule « à suivre », mais surtout un gadget encarté : pois sauteurs vivants, castagnettes, style à encre invisible… Une opération de marketing décalé qui plait à la jeunesse.
Grâce aussi à la qualité de ses récits et de ses BD signées Hugo Pratt (Corto Maltese), Gotlib (Gai Luron) ou du duo Lécureux-Chéret (Rahan), les aficionados ne se soucient guère de la ligne éditoriale « à gauche » de leur hebdo préféré.
C’est surtout dans Pilote que se marque la rupture. La première version de 1959 proposait des séries classiques : Tanguy et Laverdure (Charlier-Uderzo), Lieutenant Blueberry (Charlier -Giraud), ou Astérix le Gaulois (Uderzo-Goscinny) devenue BD culte à partir de 1966. Mais la fièvre contestataire qui secoue la jeunesse fait de Pilote « le journal qui s’amuse à réfléchir » et le laboratoire du 9e art.
Brétécher, Cabu, Druillet, Fred, Lauzier, Moebius, Reiser, Tardi et bien d’autres y collaborent avant qu’en 1974, suite au retrait de Goscinny, le journal devienne mensuel et flirte avec la dérision politique où il est concurrencé par l’Echo des Savanes, Fluide Glacial ou Charlie Hebdo et disparaisse en 1989 dans une belle indifférence.
Le retour des majors et le chaînage des publications (1981-2001)
Au moment de l’élection des François Mitterrand, le tiercé gagnant de la diffusion est constitué par le Journal de Mickey, Picsou magazine crée en 1972 et Pif Gadget. Mais un nouveau concept est apparu, la segmentation de la clientèle selon les âges et les intérêts des publics, depuis la petite enfance jusqu’aux grands adolescents et le chaînage des publications pour ne pas les abandonner à la concurrence.
Ainsi Bayard Presse a ajouté à Pomme d’Api crée en 1966 et qui tire en 1981 à 200 000 exemplaires, les Belles histoires de Pomme d’Api dès 1972 pour les 3 à 7 ans, J’aime Lire (1977) avec les héros de Bernadette Desprès, Tom-tom et Nana, et Astrapi (1978) pour les 7 à 10-11 ans, Okapi en 1971 pour les 10-15 ans et Phosphore en 1981 pour les lycéens et étudiants. Il élargit sa clientèle avec Je Bouquine (1984) pour les lecteurs d’histoires de 10 à 14 ans, Popi (1986) pour les 18 mois-3 ans, Youpi (1998) pour les passionnés de sciences de 5 à 8 ans et Images Doc (1999) pour les scolaires de 8 à 12 ans.
Entre temps cette maison de tradition catholique n’a pas hésité à contracter alliance avec sa concurrente laïque Milan qui possède une gamme de 23 publications aux clientèles également diversifiées pour atteindre la dimension internationale.
La concurrence est rude sur ce marché avec les autres majors, le groupe Fleurus qui possède notamment Triolo (1981), Hibou (1986), Papoum (1994), et les p’tites sorcières (1999), le groupe Faton qui s’est spécialisé dans les publications scientifiques et artistiques avec Arkeo Junior (1994), le petit Léonard (1997) et Cosinus (1999), et surtout Disney-Hachette avec sa puissance financière qui, tout en conservant ses têtes de gondole autour des héros emblématiques Mickey et Picsou, a renouvelé sa gamme avec Winnie pour les filles (1985), Bambi et P’tit Loup en 1989 pour les plus jeunes.
Face à eux, subsistent néanmoins des publications ciblées comme celles du groupe ludo-éducatif Play Bac sur l’actualité, ou du groupe Mondadori avec Sciences et Vie Junior (1989) et Science et Vie Découvertes (1998), ainsi que celles liées aux magazines télévisés comme Le village dans les nuages ou Dorothée magazine qui ne durent que le temps des émissions.
Plus des marginaux comme l’hebdomadaire Le Journal des Enfants créé en 1984 et qui va bientôt célébrer ses 40 ans d’existence ou La Hulotte « journal naturaliste à parution irrégulomadaire » fondée par un instituteur des Ardennes et qui en 2013 a fêté son centième numéro et ses 150 000 abonnés.
D’autres menaces se profilent déjà à l’orée du XXIe siècle, la boulimie du groupe Hachette, la déferlante manga et surtout la concurrence dévastatrice d’Internet.
La presse actuelle face à son avenir
Au début du XXIe siècle, la presse papier traditionnelle a su promouvoir de nouveaux héros comme Ducobu l’élève flemmard, le turbulent gamin Titeuf à la mèche blonde plantée sur le crâne ou Malika Secouss la beurette revendicative aux baskets rouges ; créer des expressions nouvelles comme « Tchô » qui a généré un magazine éponyme devenu Supertchô en 2018 ; faire émerger de nouveaux thèmes : l’apprentissage des langues étrangères, les sciences, l’écologie, et même les revendications féministes. Elle bénéficie d’un préjugé favorable chez les enseignants et les prescripteurs et est soutenue par des manifestations comme le « Salon du Livre et de la Presse Jeunesse » de Montreuil.
Pourtant, malgré les performances récentes du groupe Bayard Presse, premier éditeur de presse jeunesse en France, qui a vu en 2020-2021 son chiffre d’affaires tous supports confondus progresser de 45% par rapport à 2019-2020 pour atteindre près de 350 millions d’euros, et l’optimisme affiché par La Presse Jeunesse, pour une filiale du Syndicat des Éditeurs de La Presse Magazine, la situation est loin d’être satisfaisante.
La concentration dans l’édition s’est poursuivie. Le groupe Bayard a racheté Milan en 2004. Le groupe United Heritage Media d’Emmanuel Mounier a fait de même pour Fleurus Presse en 2015 et Disney Hachette en 2019. Le groupe américain Marvel Entertainements sous les licences Marvel et Panini avec ses jeux, ses séries télévisées, et ses produits dérivés, inonde le marché de ses productions avec de l’horreur, du sport, du western et des histoires dépourvues de toute visée éducative et de toute « singularité culturelle ».
Les mangas comme Dragon Ball ou One Piece, qui a écoulé 5,6 millions d’exemplaires en France, dont le principe de livraisons successives s’apparente à des magazines plus qu’à des ouvrages, représentent un chiffre d’affaires annuel d’environ 150 millions d’euros pour 15 millions d’ouvrages. Par comparaison les journaux jeunesse les plus compétitifs comme J’aime lire ou Sciences et Vie Junior plafonnent à 1,5 millions de ventes annuelles.
Si la presse enfantine jusqu’à 12 ans touche près de 8 millions de lecteurs qui y consacrent environ 4h 30 par semaine, le décrochage est très net chez les juniors avec un taux de lecture inférieur à 30%, alors que ces mêmes jeunes passent près de 15 heures par semaine devant les écrans et consultent en permanence les réseaux sociaux. L’engouement récent des plus jeunes pour le smartphone ne fait qu’amplifier l’écart.
Les fiançailles du papier et d’Internet ne sont pas à l’ordre du jour. En ce qui concerne le secteur jeunesse, les tentatives de rapprochement entre journaux et plates-formes numériques n’ont donné jusqu’ici aucun résultat décisif. Si le déclin de la presse jeunesse est moins prononcé que celui de l’ensemble de la presse papier, si des « niches » permettent à des publications reconnues de conserver leurs abonnés et à une presse alternative ou inventive (Dada, Georges, Graou, Biscoto …) de se faire une place, la pression croissante du numérique et le poids des réseaux sociaux doivent obliger la presse jeunesse à chercher de nouvelles formes de communication avec ses lecteurs.
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