Ce 9 mai 2011, une tête maorie du muséum d’Histoire naturelle de Rouen – issue du don d’un particulier en 1875 – est restituée à son peuple lors d’une cérémonie traditionnelle. Elle sera ensuite inhumée selon les rites coutumiers en Nouvelle-Zélande après un passage au musée national Te Papa Tongarewa de Wellington.
Suite à cette première, les autres têtes maories détenues par les musées français (une quinzaine, dont celles du musée du Quai Branly, à Paris) devraient à leur tour regagner leur pays d’origine. Cela mettra fin à un trafic vieux de plus de deux siècles...
Chez les Maoris, premiers habitants de Nouvelle-Zélande, tous les guerriers de haut rang et chefs de tribu étaient tatoués.
Les têtes des guerriers morts au combat étaient conservées dans un endroit où chacun les vénérait jusqu'au moment où l'on estimait que l'âme du défunt était partie. Elles pouvaient être alors inhumées.
À leur arrivée, au XVIIIe siècle, les Européens sont fascinés par ces têtes momifiées. Joseph Banks, naturaliste au sein de l'expédition du capitaine Cook, acquiert une première tête maorie le 20 janvier 1770. Il s'agit de celle d'un jeune homme de quatorze ou quinze ans, tué, semble-t-il, dans le but de récupérer sa tête tatouée.
Rapidement, les têtes maories sont volées ou négociées comme des objets de curiosité et certains Européens commencent à les collectionner tel le général Horatio Gordon Robley, qui en possédait trente-cinq. Médecins, collectionneurs, anthropologues, géologues, naturalistes, soldats, botanistes et archéologues en rapportent de leurs voyages en Nouvelle-Zélande.
Les hommes tatoués se trouvent dès lors en danger, constamment épiés et convoités. La demande devient telle que, alors que les tatouages du visage étaient traditionnellement réservés aux nobles et libres, de nombreux esclaves sont tatoués comme des chefs guerriers puis décapités une fois leurs cicatrices guéries, et leurs têtes séchées et vendues.
Au vu de ce trafic, les indigènes se résignent à ne plus préserver de têtes de leurs proches. Parallèlement à l'essoufflement de la pratique, le trafic devient un scandale public et, en 1831, enfin, le gouvernement britannique vote une loi interdisant le marché des têtes naturalisées.
S'agissant de la restitution de pièces détenues par des musées (qu'elles soient historiques, artistiques, ethnologiques ou archéologiques), il convient probablement d'opérer une distinction entre biens culturels (tableaux, sculptures, patrimoine écrit...) et restes humains (en l'occurrence, des têtes de guerriers momifiées et tatouées).
Dans les vifs débats relatifs au retour de certaines œuvres, volées, pillées ou acquises dans des conditions douteuses aux yeux d'un observateur contemporain, peu de personnes ne s'opposent en effet au fait de «remettre» des pièces provenant d'êtres humains. La directrice générale de l'UNESCO, Irina Bokova, a rappelé à cet égard que son organisation «a toujours défendu le respect total dû aux restes humains et encouragé leur restitution».
Le 19 octobre 2007, en réponse à la demande de la Nouvelle-Zélande, le conseil municipal de Rouen a autorisé la restitution des têtes maories détenues par son muséum d'Histoire naturelle.
Il s'est fondé pour cela sur l'article 16-1 du code civil, introduit par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, dite «loi bioéthique», qui prévoit l'indisponibilité du corps humain et rend impossible l'appartenance au domaine public des têtes maories : «Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial».
Mais le tribunal administratif de la ville a annulé le 27 décembre 2007 la délibération du conseil municipal, à la demande du ministère de la Culture.
Il a considéré que les têtes maories du muséum d'Histoire naturelle relevaient de la catégorie des biens culturels : ces têtes étaient donc «inaliénables», comme toute pièce appartenant à une collection relevant d'un établissement qui bénéficie de l'appellation «Musée de France». À ce titre, elles ne pouvaient faire l'objet que d'un déclassement (permettant leur sortie préalable du domaine public) selon la procédure prévue par la loi musée de 2002 mais jamais mise en œuvre jusqu'alors.
Un arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 24 juillet 2008 a confirmé la décision du tribunal administratif.
Au vu de la position des tribunaux dans cette affaire, le juriste Gabriel Ballif a pu ainsi affirmer que «l'indisponibilité du corps humain n'empêche pas que des restes humains des collections publiques puissent être objet de propriété et appartenir au domaine public» (Revue administrative, n° 380, 2011).
C'est finalement par une loi du 18 mai 2010 que le Parlement français a décidé du retour de ces restes humains dans leur pays d'origine. Elle prévoit en effet qu'à compter de cette date «les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections, pour être remises à la Nouvelle-Zélande».
Dans cette affaire, la France s'aligne sur l'Australie, la Grande-Bretagne ou encore les États-Unis d'Amérique, conformément aux restitutions déjà effectuées par ces mêmes pays, ainsi que par des musées allemands, néerlandais ou suisses notamment.
On estime ainsi que sur un total d'environ 500 têtes dispersées dans le monde à la suite d'un trafic s'étant déroulé depuis le XVIIIe siècle et l'expédition du capitaine Cook, plus de 300 ont déjà fait l'objet d'une restitution au peuple maori, qui compte environ 600.000 personnes sur une population totale de 4 millions d'habitants de la Nouvelle-Zélande.
Rappelons en outre que la France a rendu précédemment à l'Afrique du sud les restes de Saartjie Baartman (ou Sawtche), dite la «Vénus hottentote», grâce au vote d'une loi ad hoc votée en 2002, après une demande formulée par le président Nelson Mandela en... 1994 et refusée dans un premier temps sur le même fondement de l'inaliénabilité.
Après l'épisode des manuscrits coréens, d'aucuns s'alarment d'une nouvelle entorse au principe de l'inaliénabilité des collections publiques françaises, qui pourrait déboucher sur une dispersion de celles-ci pour des motifs plus ou moins avouables.
Selon Corinne Hershkovitch et Didier Rykner (La Tribune de l'Art), les dispositions de la loi sur les têtes maories «facilitent l'aliénabilité des collections des musées français, bien au-delà du cas spécifique des restes humains» (La restitution des œuvres d'art, Hazan, 2011).
Mais qu'y faire ? Le professeur de droit Jean-Marie Pontier estime que les refus de restitutions «ont de moins en moins de poids face aux revendications qui se multiplient, le débat n'étant plus que partiellement juridique et étant aussi politique et, de plus en plus, éthique» (AJDA, 19 juillet 2010).
Autrement dit, tout en préservant d'une manière générale le principe d'inaliénabilité des collections muséales, on n'échappera sans doute pas à la nécessité d'élaborer une doctrine plus étoffée qui prenne en considération les demandes de restitutions qui ne manqueront pas de se multiplier dans l'avenir.
En tout état de cause, il faudra sans doute alors distinguer 1) les têtes maories et autres restes humains, 2) les saisies se produisant lors de conflits armés (par exemple la spoliation des œuvres appartenant à des collectionneurs juifs pendant la Seconde guerre mondiale), 3) les biens culturels sortis illégalement d'un pays (trafics, vols ou fouilles clandestines).
Il faudra sans doute aussi exclure des restitutions les «restes humains» qui relèvent de civilisations disparues, telles les momies égyptiennes.
Ainsi, le Human Tissue Act britannique de 2004 ne s'applique qu'aux restes humains datant de moins de mille ans ; quant à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, elle prévoit le retour des restes humains aux peuples dont ils proviennent afin de leur donner une sépulture, non de les enfermer dans un musée national.
Publié ou mis à jour le : 2016-06-30 14:08:57
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