Au cours de l'été 2014, les lecteurs d'Herodote.net et Notre Temps ont été invités à raconter un souvenir marquant de la libération de leur commune, 70 ans plus tôt. Ces témoignages complètent notre récit de la Libération de Paris (25 août 1944).
Voici l'ensemble des témoignages recueillis par Herodote.net. Au total près de 150 récits émouvants, drôles ou tragiques, toujours sincères et inattendus, qui inspireront peut-être plus tard des historiens ou des romanciers.
Trois témoignages ont été primés le 30 septembre 2014 par le ministre délégué aux Anciens Combattants, M. Kader Arif.
Il s'agit de ceux de Lucienne Delannoy (Saône-et-Loire), Gilbert Garibal (Boulogne-Billancourt) et Michel Pesneau (Manche). La lauréate se verra offrir une croisière en Méditerranée pour deux et les deux lauréats un voyage familial en Grande-Bretagne...
Témoignage de Laure DELEAU à Châlon sur Saône
Nous habitions à Châlon sur Saône, ville où les américains arrivèrent pour nous libérer un après midi d'août 1944, sur leurs chars chenilles "Leclerc" réputés pour leur force de frappe. De grands gaillards, costauds, étaient dans et autour des blindés, de beaux Noirs : des Sénégalais. Petite fille, j'étais heureuse et je voulais, comme beaucoup d'autres enfants, les embrasser. Ma mère me prit dans ses bras et me tendit en direction d'un soldat. J'aterris sur le haut d'un canon ; là un grand sénégalais tout joyeux, souriant de ses belles dents éclatantes de blancheur, reçu mes baisers. il me donna du chewing gum et des chocolats. J'étais "aux anges". C'est alors qu'une dame lança dans ma direction : "arrête de les embrasser, quand tu seras grande tu auras un enfant tout noir lorsque tu tomberas enceinte !" Longtemps j'ai cru que les bébés arrivaient après avoir embrassé un garçon (J'avais 7 ans 1/2 à l'époque). Que les grandes personnes sont bêtes de raconter de telles sornettes aux enfants ! C'était un bonheur indescriptible : les gens criaient, dansaient, frappaient la cadence avec leurs chaussures à semelles de bois, applaudissaient les libérateurs. Toute cette foule en liesse ainsi que Maman et moi entourait et suivait les soldats et leur matériel militaire. Qu'ils devaient avoir chaud avec leurs uniformes et leurs casques qui descendaient jusqu'aux oreilles ! Une myriade de drapeaux bleu, blanc, rouge flottaient partout aux fenêtres. Papa n'avait pas été le dernier à en mettre à tout l'étage (Nous habitions au 1er au dessus du commissaire de police qui avait dit à mon frère lorsqu'en 1940 il avait envoyé des pommes de terre sur un officier allemand se promenant au bras d'une jeune française "la prochaine fois, je te donnerai un kilo de tomates"... mais ceci est une autre histoire !). Le soleil était de la partie (Je rappelle que nous étions au mois d'août). J'étais comme tout le monde en "petite tenue", Maman et moi avions des robes légères et des socquettes blanches aux pieds. Puis les cloches se mirent à sonner à toute volée, sans discontinuité, ponctuées par les chants de la foule : la Marseillaise, le Chant du Départ, le Chant des partisans, et même l'Internationnale. Toute la ville était dans les rues, à pied, à bicyclette, en voiture klaxonnant "à qui mieux mieux" ; c'était un joyeux tintamarre qui se termina aux premières lueurs du jour le lendemain matin.
Voilà ce que fut pour moi La Libération, à jamais présente dans ma mémoire.