Au cours de l'été 2014, les lecteurs d'Herodote.net et Notre Temps ont été invités à raconter un souvenir marquant de la libération de leur commune, 70 ans plus tôt. Ces témoignages complètent notre récit de la Libération de Paris (25 août 1944).
Voici l'ensemble des témoignages recueillis par Herodote.net. Au total près de 150 récits émouvants, drôles ou tragiques, toujours sincères et inattendus, qui inspireront peut-être plus tard des historiens ou des romanciers.
Trois témoignages ont été primés le 30 septembre 2014 par le ministre délégué aux Anciens Combattants, M. Kader Arif.
Il s'agit de ceux de Lucienne Delannoy (Saône-et-Loire), Gilbert Garibal (Boulogne-Billancourt) et Michel Pesneau (Manche). La lauréate se verra offrir une croisière en Méditerranée pour deux et les deux lauréats un voyage familial en Grande-Bretagne...
Témoignage de Michel Pesneau à Carentan
Deuxième lauréat ex-aequo de notre concours :
J'avais 11 ans et j'habitais Carentan. Dans la nuit du 5 au 6 juin nous sommes réveillés par le tir des canons de marine et vers 5 heures nous abandonnons notre maison - proche de la gare qui pourrait être une cible éventuelle - sous une pluie d'obus. La place où nous habitons est plongée dans un brouillard de fumée et de poussière. A plat-ventre dans le jardin nous attendons une accalmie pour aller nous réfugier dans une maison amie moins exposée. Très vite la présence de navires au large et celle de parachutistes que certains ont vus tomber dans la campagne persuadent mon père qu'il s'agit du débarquement.
Nous passons la nuit suivante chez l'amie qui nous héberge. Dans la nuit court mais violent bombardement : une bombe tombe sur la maison que nous avons quittée la veille. A la recherche d'un abri plus sérieux nous trouvons refuge dans une cave - nous y sommes environ 25 - où nous resterons jusqu'au 12 juin sans en sortir sauf, à tour de rôle, pour prendre nos repas dans la cuisine de notre hôte et parfois, lorsque se produit une accalmie dans les tirs de l'artillerie "anglaise" (pour nous, et jusqu'à ce qu'ils arrivent ce seront les Anglais) qui bombardent Carentan sans presque discontinuer. Le dimanche 11 en soirée la situation devient préoccupante : des nuages de fumée s'élèvent au-dessus de la ville. Ce sont des incendies allumés par des « plaquettes » au phosphore,qui tombent sans bruit,lancées par les "Anglais". Les hommes décident de monter la garde, les occupants d'une maison surveillant celle d'en face. Le danger des bombes incendiaires semblant définitivement écarté, la garde n'aura duré qu'une partie de la nuit.
Le lundi 12, vers 5 - 6 heures, on a l'impression qu'il se passe quelque chose. On voit des bas de jambes passer devant le soupirail de la cave.Quelqu'un s'avise que ces pas silencieux qui glissent sur le trottoir ne sont pas les bruits de bottes auxquels quatre ans d'occupation nous ont habitués ; ce sont eux ... "les Anglais". Quelqu'un qui connaît quelques mots d'anglais se précipite aux étages pour voir ce qui se passe. Il ouvre la fenêtre ; un soldat nerveux lui tire dessus. Il referme précipitamment la fenêtre et se met provisoirement à l'abri.
Libérés, nous resterons 5 semaines sous le feu de l'artillerie allemande refoulée seulement à 6 km de Carentan et continuerons à coucher à la cave. Pour être hors d'atteinte de l'artillerie allemande il faudra attendre le 14 juillet que Sainteny, à 9 km de Carentan, soit libérée.