Vos souvenirs personnels de la Libération

Herodote.net et

Au cours de l'été 2014, les lecteurs d'Herodote.net et Notre Temps ont été invités à raconter un souvenir marquant de la libération de leur commune, 70 ans plus tôt. Ces témoignages complètent notre récit de la Libération de Paris (25 août 1944).

Voici l'ensemble des témoignages recueillis par Herodote.net. Au total près de 150 récits émouvants, drôles ou tragiques, toujours sincères et inattendus, qui inspireront peut-être plus tard des historiens ou des romanciers.

Trois témoignages ont été primés le 30 septembre 2014 par le ministre délégué aux Anciens Combattants, M. Kader Arif.

30 septembre 2014 : de gauche à droite, MM. Delannoy, Garibal, Larané, M. le ministre Kader Arif, Mme Renucci, directrice de Notre Temps, M. Pesneau (photo : Camille Larané, pour Herodote.net)

Il s'agit de ceux de Lucienne Delannoy (Saône-et-Loire), Gilbert Garibal (Boulogne-Billancourt) et Michel Pesneau (Manche). La lauréate se verra offrir une croisière en Méditerranée pour deux et les deux lauréats un voyage familial en Grande-Bretagne...


 

Témoignage de Laurane Raimondo à Lyon

Ma grand-mère était ce genre de femme qui d'un regard, vous faisait comprendre qu'elle avait vécu, combattu, et que la mort ne l'inquiétait pas. Je ne me trompait que sur le dernier point, la mort l'inquiétait. Née en 1925, la guerre à laquelle elle avait échappé la rattrapait dans ses années d'adolescence. Petite et curieuse, je lui posait souvent des questions qu'un adulte ne se serait pas permis par pudeur, politesse ou égard. Longtemps elle me répondait vaguement, se détachant de l'époque comme si elle parlait de la vie d'une autre femme, lointaine, presque inconnue. Ma grand-mère s'est mariée très jeune, "pour fuir" disait-elle, fuir son entourage? Son quotidien? Nous ne le saurons jamais. De ses quatre enfants, aucun ne se risquera à lui parler des années bosch" comme elle les appelait. Moi j'insistait, puis un jour elle s'est assise à côté de moi, a poussé un long soupir et a commencé un récit marqué d'oublis, de "trous de mémoire" volontaires ou non. Chrétienne et peu inquiétée, elle se souvenait surtout des tickets de rationnement et du quotidien familial tournant autour d'une activité principale: se nourrir. Ce début de récit me rappelait un film que j'appréciais, Papy fait de la résistance, je lui demandais donc si elle avait participé à la résistance et l'entendis me répondre par un "non" marqué d'un souffle de regret. Rapidement nous en revenions au rationnement, "nous avions tous faim, c'était dur pour nous mais surtout pour les autres", dur pour les autres plus que pour eux car ils avaient la chance d'avoir de la famille dans les environs de Lyon qui tenait une ferme. "Mais c'était terriblement dangereux, nous avions déjà vu des voisins se faire emmener pour quelques produits du marché noir et ils ne sont jamais revenus. Une fois, mon père est parti à bicyclette chercher de la nourriture et des soldats se sont trouvés sur la route de son retour alors il s'est jeté dans le fossé, a abandonné la bicyclette et a couru avec son sac dans les champs". Les "boschs" la terrorisaient, "comme tout le monde" disait-elle, "mais pas autant que lorsque nous avons su où partaient les prisonniers, nos voisins juifs ou qui avaient juste une grand-mère juive, c'était affreux, encore plus affreux que la guerre elle-même puisque nous savions tout désormais". L'ignorance a protégé en partie ceux qui n'étaient pas inquiétés, mais la révélation de l'existence des camps a été plus horrible que tout ce qui était imaginable, pour ceux qui ont eu la force d'y croire


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