Vient de paraître Histoires de la Révolution et de l'Empire (Tempus/Pellerin, 2011, 744 pages, 12 euros). Son auteur Patrice Gueniffey est depuis lors reconnu comme un des meilleurs spécialistes de la Révolution et de l'Empire. Il a publié plus récemment un essai original sur Napoléon et de Gaulle...
Disciple de François Furet, directeur de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) et spécialiste de la Révolution française, Patrice Gueniffey revisite celle-ci avec l’indulgence que l’on prête aux souvenirs qui s’éloignent.
Histoires de la Révolution et de l’Empire est un épais recueil de 18 textes, préfaces et conférences de l’auteur. Il porte sur les événements, les acteurs et aussi les historiens et commentateurs de cette époque charnière. L’ensemble est écrit avec une belle unité de style et se lit (et relit) avec délice.
En introduction, l’auteur exprime l’idée que la Révolution française est tombée de son piédestal et entrée dans la « mémoire morte » de l’Histoire. Avant la chute du mur de Berlin, « la division du monde en deux blocs, et la menace que l’existence d’un bloc communiste puissant faisait peser sur le reste du monde, avaient assuré la subordination durable des intérêts économiques à la volonté politique ».
Désormais, ainsi que nous le constatons dans le journal du jour, la politique est subordonnée à l’économie et vidée de toute espérance en un avenir meilleur (une idée que partage aussi Marcel Gauchet).
Patrice Gueniffey constate et déplore la disparition en Europe, en un temps extrêmement court (trois décennies), du triptyque traditionnel de l’action politique : le citoyen, la souveraineté populaire et la nation. Ainsi sommes-nous entrés dans un régime post-démocratique qui ne dit pas son nom.
La prédiction de Tocqueville serait-elle en voie de réalisation : « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils remplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres… » (De la démocratie en Amérique) ?
Pas si sûr selon Patrice Gueniffey, car « l’aspiration à vivre sous la protection étouffante mais bienveillante du ‘’monstre doux ‘’ décrit par Tocqueville sera forcément déçue : tandis que l’absence de toute alternative crédible à la démocratie libérale – l’absence d’ennemi – dispense les gouvernements qui succèdent un partout aux vieilles démocraties de la nécessité de travailler au ‘’bonheur’’ des populations – la classe moyenne peut le vérifier tous les jours ou presque –, la situation déplorable des finances publiques ne le leur permet plus ».
Impitoyable, l’historien s’interroge sur le devenir de la science historique « dans des sociétés qui ne croient plus à l’histoire ou, plus précisément, qui, ne croyant plus avoir de prise sur l’avenir, se détournent du passé. Nous sommes, fait sans précédent, les premiers êtres humains à ne plus éprouver le besoin de nous situer dans l’espace et le temps en rattachant notre existence à quelque chose de plus vaste et de plus ancien que nous ».
Heureusement, Patrice Gueniffey continue quant à lui d’éprouver le besoin de se tourner vers la Révolution dont il est l’un des meilleurs connaisseurs contemporains. Il nous livre ainsi de magnifiques portraits, à commencer par celui de La Fayette, un velléitaire qui n’est pas sans rappeler le général Boulanger.
J’ai pour ma part plus encore apprécié celui de Robespierre, tout en finesse et précision. Comment expliquer son ascension jusqu’au sommet du pouvoir ? C’est « qu’il s’adressait moins à ses collègues qu’à l’opinion, public des tribunes et des clubs ». Et toujours, jusque dans les derniers mois, il sut « se trouver au centre de l’échiquier politique, à égale distance des plus modérés et des plus radicaux, afin de se donner la liberté de dénoncer au moment de son choix tantôt ceux qui menaçaient de faire rétrograder la Révolution, tantôt ceux qui voulaient la voir marcher plus vite ».
De Joseph de Maistre et José Cabanis à Chaptal et Jacques Bainville, les autres portraits sont tout aussi éloquents mais disons un mot pour finir de l’un des textes les plus argumentés : la guerre continentale.
Chiffres et faits à l’appui, Patrice Gueniffey a le bon goût de rappeler que ces conflits, qui s’étendirent de 1792 à 1815 et causèrent quatre à cinq millions de morts, furent la reprise d’une longue série de guerres qui ensanglantèrent l’Europe pendant un siècle, du milieu du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle et causèrent quant à elles un total d’environ huit millions de morts.
À l’encontre de ceux qui voient dans les guerres de la Révolution et de l’Empire l’événement qui a ruiné l’équilibre européen, l’historien rappelle que la ruine de celui-ci avait déjà été engagée par les souverains d’Ancien Régime. « Le dépeçage de la république de Venise en 1797 n’avait-il pas été précédé en effet par les partages successifs de la Pologne, en 1772, 1792 et 1795 ? ».
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