Peintre discret de la riche Hollande du XVIIe siècle, Vermeer aurait été étonné de découvrir l’engouement que ses toiles suscitent aujourd’hui. Pour comprendre d’où lui vient cette gloire, partons à sa rencontre à Delft et surtout, laissons parler ses œuvres...
La drôle de famille du Renard
Nous sommes le 31 octobre 1632 et les membres de la petite famille Vos (« le Renard ») s'empressent vers la Nieuwe Kerke, la Nouvelle Église de Delft, symbole du calvinisme. Ils y sont attendus par le pasteur pour célébrer le baptême de leur garçon, un enfant peu pressé puisqu'il est né 12 ans après sa sœur Gertruy. Mais ses parents, Reynier et Digna, l'accueillent chaleureusement et lui donnent le prénom de son grand-père paternel, Johannes (...).
C'est dans un milieu à la fois très vivant et artistique que le petit Johannes grandit. Mais nous n'en saurons pas plus : la formation du futur virtuose reste un mystère complet. A-t-il découvert sa vocation à la suite d'une rencontre ? Quel atelier a-t-il fréquenté ? Le fils du Renard se fait déjà discret.
1653 est décidément une belle année pour les Vermeer. Johannes a réussi à convaincre Catharina Bolnes de le prendre pour époux, malgré les doutes de sa future belle-mère, fière de ses vieilles origines bourgeoises et catholiques.
Le jeune couple, qui allait donner vie à quinze enfants, s'installe rapidement chez Maria, dans un quartier de Delft où les jésuites sont fort influents.
C'est donc vers la peinture religieuse que va d'abord se tourner Vermeer, officiellement enregistré comme artiste indépendant dans la guilde de Saint-Luc en décembre de cette même année.
À 22 ans, il est d'ailleurs fort jeune pour avoir déjà droit à un tel honneur, ce qui prouve sans contexte un talent précoce et reconnu. Il a certainement profité de l'ambiance stimulante qui règne alors à Delft, quatrième ville de Hollande déjà célèbre pour ses manufactures de faïences.
En attendant la gloire, Vermeer s'installe avec chevalets et pinceaux au premier étage de la maison de sa belle-mère. Il est temps de trouver un style.
De la débauche à la sérénité
Le troisième tableau de Vermeer est un coup de maître : fini, les scènes mythologiques et religieuses des premières œuvres, place aux scènes de genre ! Et il ne va pas chercher l'inspiration très loin, puisqu'on sait que sa belle-mère avait orné ses murs de quelques toiles bien choisies, dont une représentation d'une courtisane par Dirck van Baburen.
Elle devient sous le pinceau de Vermeer une Entremetteuse (1656), s'inscrivant dans cette mode des scènes de genre qui ont fait le succès d'un Jan Steen : tavernes ou maisons closes deviennent les décors de réunions grivoises censées faire passer un message moralisateur au spectateur.
Mais Vermeer va s'éloigner rapidement de ces représentations pleines de vie pour adopter le style plus sobre de Gerard Ter Borch, un de ses amis présent à son mariage.
Les personnages, banals, sont isolés dans des intérieurs à la fois cossus et quasiment vides où l'artiste les piège dans des moments intimes qui nous resteront mystérieux : à quoi pense ce géographe qui vient de relever la tête de ses travaux ? que contient cette lettre qui semble émouvoir cette jeune femme ?
Pour répondre, on peut se faire enquêteur et rechercher les indices : une mer tourmentée représentée sur un tableau, dans le fond de la toile, et la passion se fait houleuse ; une perle qui apparaît sous un turban, et la jeune fille en devient toute innocente. Il suffit d'une porcelaine chinoise posée sur une table pour évoquer la puissance maritime du pays, et quelques bobines de fil appellent à la patience et la modestie (...).
Les objets du peintre
Une rapide comparaison des toiles permet de comprendre que meubles et accessoires étaient ceux qui entouraient Vermeer dans son cadre de vie.
On a par exemple trouvé mention dans l'inventaire effectué après son décès de la cruche en vermeil présente dans La Femme à l'aiguière (1658) et du crucifix d'ivoire disposé dans L'Allégorie de la Foi (1670-1674).
Arrêtons-nous également sur les cartes géographiques qui remplissent les arrière-plans de cinq de ses œuvres : elles étaient alors à la mode dans la bourgeoisie qui y voyait avec fierté le symbole de la toute jeune nation hollandaise et de ses succès commerciaux.
Elles contenaient donc un message, comme celle de L'Art de la peinture qui représente les 17 provinces des Pays-Bas telles qu'elles existaient en 1636 et qui ne sont plus que souvenir 30 ans plus tard, au moment de la réalisation de l'œuvre.
Faut-il pour autant y voir une critique de la division de ce pays ? Une sixième carte aurait dû apparaître, comme le révèlent les radiographies effectuées sur La Laitière (1658-1660) mais l'artiste a préféré la faire disparaître, ne laissant malicieusement sur le mur que quelques traces de clous...
Très appréciés, les tapis d'Orient étaient eux aussi considérés comme signes de richesse, preuves des nombreux échanges effectués avec les pays les plus exotiques.
Chez Vermeer chaque détail compte : les fruits abandonnés dans une assiette (La Jeune fille au verre de vin, 1659), le balai posé dans un coin (La Lettre d'amour, 1669) tout comme les bijoux en perles ne sont pas là uniquement pour attirer l'œil mais aussi pour souligner le danger guettant la femme qui délaisse ses occupations pour rêver à l'amour (...).
Une oeuvre, une époque
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Voir les 4 commentaires sur cet article
lesuisse (02-04-2020 11:04:55)
l'exposé concernant VERMEER est absolument merveilleux, lecture très agréable et vivante, accompagnée de reproductions nombreuses et judicieusement choisies. Les articles publiés dans Herodote.... Lire la suite
Be (16-04-2017 19:24:04)
Article passionnant avec les reproductions.la bibliographie est un peu courte il y a eu des essais récents sur Vermeer Yan Blanc cité de les émissions remarquables de france culture consacrées Ã... Lire la suite
michel (22-03-2017 18:56:46)
Magnifique article dont les tableaux illustrés sont une merveille de sélection , surtout pour celui qui n'aura pas la chance ,comme moi, de pouvoir visiter l'exposition . Un grand Merci à l'auteu... Lire la suite