Nazisme

Mein Kampf, la « Bible » du IIIe Reich

Loin d’être un livre muri de longue date, Mein Kampf est le fruit ô combien vénéneux de circonstances exceptionnelles. Il naît dans la prison de Landsberg, à 65 kilomètres de Munich, en 1924. Adolf Hitler y est emprisonné à la suite de son putsch manqué de novembre 1923 à la brasserie Bürgerbräukeller de Munich.

Claude Quétel

Participants au putsch de la Brasserie détenus à la prison de Landsberg en 1924 : Adolf Hitler , Emil Maurice , Hermann Kriebel , Rudolf Hess , Friedrich Weber. Agrandissement : Vue ouest de la prison de Landsberg sur une carte postale (Une flèche jaune indique les fenêtres de la cellule de Hitler).

Un « paresseux chronique »

À cette date, près de dix ans avant son accession à la tête de l’Allemagne, Adolf Hitler était devenu le chef de l’un des groupuscules d’extrême-droite agitant alors le pays : le NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterparti). Ce paresseux chronique, pour lors âgé de 34 ans, avait mené une existence proche du vagabondage, se pénétrant de l’idéologie germanique Völkisch : un nationalisme radical se fondant sur le dogme d’une race supérieure et de son antithèse, celle du Juif.

Adolf Hitler, entre 1920 et 1924 (entre 31 et 35 ans). Agrandissement : Adolf Hitler dans la pose typique d'un orateur soulignat son discours de la main droite, Henri Hoffmann, 1927, Bundesarchiv.Pour sa défense, Hitler a préparé dans sa prison (où il est fort bien traité) un mémoire pompeusement intitulé : Quatre années de combat contre les mensonges, la sottise et la lâcheté. Au terme d’un procès inique qui ne le condamne qu’à cinq ans de détention, avec espoir de libération anticipée et refus du tribunal de le faire expulser à sa sortie (il est Autrichien), il entreprend alors de transformer son mémoire en un ouvrage d’envergure : Mein Kampf (« Mon Combat » en français).

On ne sait pas qui a eu l’idée de ce titre, de Hitler lui-même ou de sa petite cour de codétenus du putsch qui l’entoure et l’encourage à travailler. De même les historiens se chamaillent aujourd’hui encore de savoir si Hitler a laborieusement tapé son manuscrit à la machine ou s’il l’a dicté, notamment à Rudolf Hess, son fidèle de toujours.

Si l’on considère l’éternel homme de verbe, pérorant sans cesse et n’écrivant guère (pas plus qu’il ne travaille), l’hypothèse de la dictée l’emporte. Et quelle dictée ! Un flot de paroles à la limite de l’incohérence, des digressions, des redites qui longtemps vont masquer à l’Histoire un contenu très clair au contraire.

Première édition de Mein Kampf, juillet 1925, Berlin, musée historique allemand.Que dit Mein Kampf ? La première édition allemande date de 1925, avec un premier tome suivi d’un second l’année suivante. La première édition complète date de 1930 et ne compte pas moins de 782 pages en caractères serrés. L’ouvrage n’est guère lisible au point qu’il va devenir une blague très privée entre dignitaires nazis : à l’amende celui qui essaiera de faire croire qu’il a lu Mein Kampf !

Tout cependant, du nazisme et de l’hitlérisme, y est. La race et le sang d’abord, une doctrine pseudo-scientifique du « racialisme » (pour traduire à peu près le terme Völkisch ). Ces mots reviennent sans cesse : « La communauté, la pureté, la noblesse de sang ».

Une race supérieure, celle de l’Aryen, peuple mythique par excellence, dont Hitler ne dit pas grand chose et pour cause. Il a beaucoup à dire en revanche sur le Juif : « L’histoire établit avec une clarté effroyable que lorsque l’Aryen a mélangé son sang avec celui des peuples inférieurs, le résultat de ce métissage a été la ruine du peuple civilisateur ».

Couverture de Mein Kampf réalisée par Albert Reich. En collaboration avec Dietrich Eckart, Albert Reich a conçu les couvertures des premières éditions du livre.Car le voilà le peuple empoisonneur : le Juif dont la race n’est pas seulement inférieure mais l’anti race, la race corruptrice, la race ennemie. Le terme de Juif (et de Juiverie) est celui qui revient le plus souvent dans Mein Kampf : 466 fois.

On est frappé par le vocabulaire sans retenue : le Juif est tour à tour une araignée qui suce le sang du peuple, un rat, un bacille sensible de la pire espèce. Hitler ne s’adresse pas à l’intelligence mais aux instincts primaires, tout comme dans ses discours passés et à venir.

Dès lors, il ne s’agit plus de combattre les Juifs de façon livresque, comme dans la tradition Völkisch mais de les faire disparaître. L’antisémitisme de Hitler est un antisémitisme de combat. « Il est sûr que notre monde s’achemine vers une révolution radicale. Toute la question est de savoir si elle se fera pour le salut de l’humanité aryenne ou pour le profit de l’éternel Juif ».

Une lutte impitoyable commence au terme de laquelle le fort l’emportera sur le faible. Dans cette lutte cosmique, le Juif est l’ennemi racial absolu, l’ennemi de tous les temps qui avance masqué, complotant et agissant pour asservir l’humanité. « Avec les Juifs, il n’y a pas compromis possible, mais seulement l’implacable eux ou nous ! »

Hitler et Goebbels sur la tombe de Horst Wessel, membre de la Sturmabteilung (SA : section d’assaut) à Berlin, 2 janvier 1933. Agrandissement : Visite de Hitler et de Goebbels à l'UFA, société de production allemande devenue organisme d'État sous le régime nazi, en 1935, Bundesarchiv.

Exiger l'impossible

Un état racialiste reposant sur la communauté de sang, antilibéral, antiparlementaire, antimarxiste, antibourgeois, anti égalitaire, antipartis. Un chef visionnaire ne pratiquant pas la politique traditionnelle du possible mais exigeant au contraire l’impossible, sacrifiant s’il le faut le présent à la postérité. Un Reich idéaliste partant à la conquête du monde…

Encart publicitaire paru dans le journal nazi Völkischer Beobachter le 31 janvier 1933. Le texte est le suivant : Le livre du jour : Mein Kampf d'Adolf Hitler. Que va faire Hitler ? Pour le savoir, il suffit de lire son livre. Ainsi vous connaîtrez ses buts et sa volonté. Personne, ami ou adversaire, ne peut plus rester indifférent à ce livre. Agrandissement : SA lors du boycott des magasins juifs le 1er avril 1933 à Berlin.Dans Mein Kampf, l’utopie nazie affiche son totalitarisme, sa violence et son racialisme. Mein Kampf n’annonce pas précisément les crimes à venir du IIIe Reich. Tout n’y est pas écrit mais tout y est dit.

Du point de vue éditorial, le démarrage de Mein Kampf est difficile tout comme celui, politique, de Hitler. Le moins qu’on puisse dire est que l’ouvrage, outre qu’il est vendu cher, ne se lit pas comme un roman et d’ailleurs les critiques dans la presse ne manquent pas. Les observateurs de l’époque ne prennent pas Mein Kampf au sérieux et considèrent que si d’aventure son auteur parvenait au pouvoir, il ne manquerait pas de mettre de l’eau dans son vin.

Cependant, la vente de Mein Kampf croît lentement grâce à l’ardeur des militants. En 1930, une nouvelle édition à un prix abordable et le premier grand succès du parti nazi aux élections législatives font décoller les ventes, à grand renfort de publicité nazie. 287 000 exemplaires ont déjà été vendus lorsque Hitler devient chancelier le 30 janvier 1933. On ne saurait donc dire que Mein Kampf est passé inaperçu avant cette date fatidique.

Un mariage en Allemagne en 1936 : Le chancelier Hitler a décidé d'offrir à chaque ménage, à l'occasion de leur mariage, un exemplaire de son livre Mein Kampf. Agrandissement : Page de titre de Mein Kampf dans une édition publiée en 1940, exposée dans la salle des congrès de Nuremberg au musée commémoratif du Centre de documentation du terrain de rassemblement du parti nazi.La vente de l’ouvrage s’inscrit désormais dans le formidable appareil de propagande que met en place le parti nazi. Joseph Goebbels, ministre du Reich à l’Éducation du Peuple et à la Propagande, fait merveille en célébrant « le livre du peuple allemand » sur les affiches, à la radio, au cinéma. À partir de 1936, un exemplaire est offert aux jeunes mariés. Les employés des chemins de fer et d’autres grandes entreprises qui partent à la retraite en reçoivent un également.

Le nouveau ministre du Reich à la guerre (nouvel intitulé prometteur d’avenir de l’ex-ministère de la Défense du Reich) voudrait en imposer la lecture à chaque soldat mais la hiérarchie regimbe. Après quelques difficultés, le livre entre dans les écoles. L’organe officiel de l’Éducation nationale en fait « notre guide pédagogique infaillible ». Il y a même des adaptations illustrées pour les tout-petits (« Mère, raconte-nous Adolf Hitler »). L’université perd tout sens critique, Mein Kampf devenant la référence obligatoire à ses travaux « de recherche ».

1er mai 1935 au Lustgarten de Berlin : sur les barreaux de fer des fenêtres du palais de Berlin, les Jeunesses hitlériennes s'assoient pour apercevoir le Führer. Agrandissement : Rassemblement de la jeunesse hitlérienne à l'occasion de la Fête nationale du travail, Olympiastadion, Berlin, 1937, Bundesarchiv.La jeunesse allemande y puise sa formation idéologique. Au cours des veillées de la Hitlerjugend et de son équivalent féminin, la « Ligue des jeunes filles allemandes », on lit en commun des extraits du livre du Führer. Des séminaires consacrés à son exégèse sont réservés aux plus méritants – ceux qui vont devenir les cadres de l’état et de l’Armée.

Des pèlerinages de la Hitlerjugend sont organisés à la prison de Landsberg, avec visite de la cellule du Führer. Sur une table, la machine à écrire sur laquelle Mein Kampf a vu le jour. Au terme de leur circuit, les jeunes garçons, impeccablement sanglés dans leur uniforme, prêtent un serment de fidélité à Hitler, la main sur une exemplaire de Mein Kampf.

L’ouvrage, devient, au sens propre, « la Bible du peuple allemand ». D’ailleurs le fort cartonnage bleu nuit de l’édition populaire n’est pas sans rappeler celui du livre religieux. Mais il ne s’agit pas seulement d’apparence.

Portrait d'Alfred Rosenberg en uniforme, entre 1941 et 1945. Agrandissement : Couverture de Mein Kampf, 9e édition (avec l'aigle et la croix gammée), Munich 1932.Alfred Rosenberg, « délégué du Führer pour l’ensemble de l’éducation intellectuelle et philosophique du Parti national socialiste », va rédiger pendant la guerre le programme en trente points de ce qui devra être, après la victoire finale, l’Église nationale du Reich. La Bible sera alors physiquement remplacée par Mein Kampf, « le plus sacré de tous les livres pour les Allemands et donc pour Dieu et, à gauche de l’autel, une épée » (point n°19).

La carrière éditorialiste de Mein Kampf est en proportion d’une telle mobilisation : plus de 12 millions d’exemplaires jusqu’en 1945… Les ventes n’ont pas chuté au cours de la guerre, loin de là. Quant à se demander si ce flot d’exemplaires a eu autant de lecteurs, la réponse est évidemment non. Eichmann lui-même déclarera lors de son procès à Jérusalem n’avoir jamais lu Mein Kampf.

La vraie question n’est pas là mais de se demander si ses acheteurs adhéraient à son idéologie. De toute façon, point besoin d’avoir lu le livre de Hitler pour savoir ce qui s’y trouvait. La propagande, omniprésente, s’en chargeait.

Hitler à Paris le 23 juin 1940, Bundesarchiv.

La France, l'ennemi à abattre

Jusqu’en 1933, la France pourtant très précisément désignée dans Mein Kampf comme le premier adversaire à abattre avant que soit entreprise à l’Est la conquête de l’espace vital, ne prête guère attention à l’ouvrage. De toute façon, la question de la traduction se pose car Hitler tient à en expurger les passages menaçant la France. Il s’agit encore de montrer patte blanche en attendant l’heure des coups de force.

Mein Kampf. L'ennemi mortel, l'ennemi impitoyable du peuple allemand, 1937, Paris, BnF, Gallica.C’est alors qu’un petit éditeur français, Fernand Sorlot, qui a fondé en 1931 les Nouvelles Editions Latines, entreprend la traduction intégrale sans copyright. Ce qui est pointé dans l’« Avertissement de l’Éditeur », ce n’est ni la haine des Juifs, ni le totalitarisme, mais les menaces contre la France. Tirée à 8 000 exemplaires, la traduction paraît en février 1934, assortie d'une injonction du maréchal Lyautey : « Tout Français doit lire ce livre. » Elle est aussitôt attaquée en justice par l’éditeur allemand auprès du tribunal de commerce de la Seine, en invoquant la protection du droit d’auteur. 

La Société des gens de lettres soutient la plainte en se refusant tout comme va le faire le tribunal, à retenir l’argument de Sorlot qui invoque « l’intérêt public ». Et le tribunal de conclure que « la nécessité ne crée pas le droit ». Les Nouvelles Editions Latines sont condamnées à l’interdiction de vente et de toute nouvelle impression.

De toute façon, nombreux sont ceux en France, hommes politiques en tête, qui s’appliquent à relativiser les menaces de Mein Kampf. Ils mesurent Hitler à l’aune de la politique française de la IIIe République où le pouvoir n’est nulle part. Rares, très rares, sont ceux qui y voient clair comme Marcel Cachin, du Parti communiste français qui, dans son éditorial de L’Humanité du 20 novembre 1934, ironise sur le « pacifiste Hitler ».

Mein Kampf — Mon Combat, Nouvelles Éditions latines, Paris, 1934.De son côté, André Suarès, essayiste et pamphlétaire, fait paraître dans la NRF en décembre de la même année un article intitulé Mein Kampf. Il faut, dit-il, lire jusqu’au bout cet « orage de stupidité (…) Drue et pleine, la haine est une folie. Le fou pousse toujours les mêmes cris ; mais à Berlin, il n’a pas la camisole de force ; il n’est pas muré dans une cellule blindée de matelas. Sa cellule est tout un peuple ». Suarès va se voir taxé du même coup de « bellicisme » alors que le pacifisme de l’Entre-deux-guerres est plus que jamais à l’ordre du jour.

Les analyses rassurantes se multiplient jusqu’à la trahison pure et simple. Au printemps 1938, à l’heure de l’Anschluss, les Allemands montent une opération d’édition truquée de Mein Kampf avec les éditions Fayard (proche alors de l’extrême-droite). Sous le titre adouci de « Ma doctrine », tout concourt à masquer la pensée hitlérienne par le jeu de citations tempérées, voire remplacées par des déclarations ultérieures, vraies ou supposées, de Hitler devenu chancelier. L’édition n’en a pas moins invoqué dans son avertissement « une impartialité absolue ».

Les éditions abrégées de Mein Kampf sont de plus en plus nombreuses à l’approche de la guerre. On pourrait croire que le temps n’est plus à travestir l’ouvrage mais si, quand même. Ce n’est que tout à la fin que les œillères tombent et que les brochures qui paraissent se décident enfin à mettre en évidence le lien entre le chef du IIIe Reich et l’auteur de Mein Kampf.

La mia battaglia, édition italienne de Mein Kampf, 1940.Jusqu’à la guerre, quatorze autres pays publient la traduction expurgée de Mein Kampf. L’édition italienne, La mia battaglia, avec sa couverture flambante de drapeaux rouges à croix gammées, connaît un succès immédiat et va compter douze éditions jusqu’en 1940. Pour manifester son attachement à l’Italie fasciste, Hitler a exceptionnellement accepté de rédiger une préface. On y lit que « comprendre profondément le fascisme et le national-socialisme, c’est œuvrer pour la paix du monde et le bien-être des peuples ».

En Grande-Bretagne, l’édition de Mein Kampf est accueillie avec la plus grande circonspection. La presse pointe que la censure en gomme les aspects les plus menaçants. En 1933, une campagne de presse du Times en fait « le livre noir de l’humanité ». Quant à Churchill, pour lors sur le banc de touche du gouvernement, il n’a pas attendu la parution dans son pays de My Struggle pour s’en inquiéter.

Les historiens ont longtemps sous-estimé Mein Kampf qui pourtant fut mis sur la sellette lors du grand procès des dignitaires nazis à Nuremberg. Les Alliés entendaient exorciser la nature particulière de la guerre qui venait de s’achever avec ses cinquante millions de morts, dont cinq à six millions de Juifs.

« Mein Kampf n’était pas un simple exercice littéraire à traiter avec indifférence »

Le substitut du procureur britannique, Frederick Elwyn-Jones, 37 ans, avocat et député travailliste, prit la parole le 7 janvier 1946, après la lecture des chefs d’accusation : « Ce livre, Mein Kampf, peut être considéré comme le schéma directeur de l’agression nazie (…) Les accusés ont eu pour but délibéré de faire en sorte que les idées, doctrines et politiques de Mein Kampf deviennent la profession de foi active et le guide d’action de la nation allemande ».
Le substitut entreprit alors d’énumérer minutieusement ce qu’il nomma « les commandements de Mein Kampf » à l’aide de citations du livre. Il conclut : « Les événements ont prouvé, par le sang et le malheur de millions d’hommes, de femmes et d’enfants que Mein Kampf n’était pas un simple exercice littéraire à traiter avec indifférence, comme malheureusement le firent avant la guerre ceux qui étaient en péril (…) La thèse de l’accusation est que les complices nazis qui sont jugés ici ont délibérément précipité notre civilisation dans l’abîme de la guerre en acceptant et en propageant la philosophie de la loi de la jungle que prône Mein Kampf ».

Commenter Mein Kampf, une gageure ?

Bien entendu, le livre maudit se trouve au premier rang de la dénazification culturelle de l’Allemagne. Tout est fait pour qu’il tombe dans un oubli mérité mais il n’en est rien. Il poursuit son étonnante carrière éditoriale à travers le monde. En France, l’édition des Nouvelles éditions latines continue à se vendre discrètement et en quantités non négligeables.

Au terme d’un procès qui a opposé Sorlot fils à la LICRA en 1978, huit feuillets d’un avertissement légal d’une lecture longue et laborieuse précèdent la nouvelle édition. Il s’agit essentiellement de mettre en garde le lecteur contre le retour du racisme et l’antisémitisme. Est-ce à dire qu’aujourd’hui encore la lecture de Mein Kampf peut être dangereuse ? La question est de taille. Peut-on devenir nazi à sa simple lecture, pour peu qu’on ait trouvé la constance d’aller jusqu’au bout ?

Si nazis il doit y avoir, ce seront plutôt ceux qui l’étaient déjà et qui achètent le livre comme un emblème, un objet de ralliement. Ils ne sont certainement pas la majorité, du moins en France et dans les autres pays occidentaux. Si l’on compte pour peu, numériquement, la frange académique, il reste la part, la plus nombreuse, des curieux et de ceux qui cèdent à l’attrait du fruit défendu. À ceux-là, le livre ne manquera pas de tomber rapidement des mains.

Construction publicitaire pour Mein Kampf, Tettnang, Montfort-Musée, Allemagne.Ailleurs dans le monde, la vente de Mein Kampf bondit dans certains pays à des sommets mais procède de mécanismes tout autres. C’est un best-seller dans les pays arabes et en Turquie, où antisémitisme et antisionisme sont synonymes. Plus curieusement, Mein Kampf se vend très bien en Inde où le nationalisme et l’intégrisme hindou veulent voir dans Hitler celui qui rendit à l’Allemagne son intégrité ethnique.

L’hindouisme extrémiste entend redécouvrir sa race supérieure aryenne à laquelle il oppose la race inférieure non plus des Juifs mais des musulmans (!). L’ultranationalisme trouve dans Mein Kampf, en Inde mais également ailleurs, son totem, et dans cette voie, les élucubrations de Hitler ont de l’avenir.

Pour revenir à l’Europe, Mein Kampf aura connu ce qui pourrait apparaître mais apparaître seulement comme son dernier avatar. De façon tout à fait ubuesque, les droits de Mein Kampf avaient survécu à la guerre et avaient été gérés par le Land de Bavière. On reste éberlués de découvrir que ce livre honni portait encore des droits d’auteur !

Cependant, Mein Kampf tomba dans le domaine public le 1er janvier 2016. Une très imposante édition universitaire allemande suivit aussitôt, avec un texte hérissé de 3500 notes pour un total de 2000 pages en deux volumes. Le prix était en proportion : 59 euros. Il ne s’en vendit pas moins 85 000 exemplaires dès la première année.

Une édition française chez Fayard, Historiciser le mal – une édition critique de Mein Kampf, pesant trois kilos et au prix consécutif de 100 euros, emboîta le pas en 2021, en dépit d’une polémique lancée en 2015 par Jean-Luc Mélenchon qui s’opposait au projet : « Rééditer ce livre, c’est le rendre accessible à n’importe qui. Qui a besoin de le lire ? ». C’était oublier que n’importe qui peut lire gratuitement l’ouvrage d’un simple clic sur Internet.

Que de remue-ménage et que de publicité, finalement ! Rafael Seligmann, Allemand et Juif né en 1947, dont la famille fut décimée dans les camps de la mort, fondateur du Journal Jewish Voice from Germany, ironisait sur le principe d’un appareil scientifique corsetant une traduction de Mein Kampf : « Je n’ai pas besoin qu’un historien m’explique quoi penser. Et puis, quand Hitler dit que les Juifs sont inférieurs et qu’on devrait les éliminer, quel commentaire faudra-t-il adjoindre ? Que c’est faux ? ».

Publié ou mis à jour le : 2022-11-21 15:10:34

Voir les 5 commentaires sur cet article

Yorgos (22-03-2024 11:17:19)

Je possède une (ré-)édition de cet ouvrage, acheté lorsque j'étais étudiant (il y a donc fort longtemps) et dont curieusement je n'ai jamais trouvé de référence dans les différents articles... Lire la suite

Louis1944 (09-03-2024 04:02:34)

J'ai lu Mein Kamps non expurgé sur internet. Le mot France y figure plus de 80 fois. Au sujet de la catastrophe de l'an 40, ne faut-il pas y voir à l’œuvre la "bêtise légendaire" de la classe ... Lire la suite

Gilles Neveux (28-11-2022 07:06:36)

J'ai lu Mein Kampf et j'y vois trois parties. Une consacrée à comment prendre le pouvoir qui me semble plutôt clair et dont l'application reste d'actualité. Elle est toujours mise en œuvre par ... Lire la suite

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