Les enquêtes de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (Seattle, IHME, 2020) et la révision des perspectives de la Division de la population des Nations Unies (2022) permettent de mesurer l’infléchissement récent des courbes de la démographie mondiale. Ces deux études aboutissent à des résultats différents, mais cependant convergents.
Le point décisif de cette convergence, confirmé par une étude de IIASA de Vienne (2022), c’est que la population mondiale devrait commencer à diminuer avant la fin de ce siècle. C’est un point nouveau dans les prévisions des Nations-Unies, dont il faut noter qu’elles ont réduit, depuis 2015, leur évaluation de la population mondiale en 2100 de 8 à 900 millions d’âmes (de 11,2 à 10,4 ou 10,3 milliards d’humains).
La baisse immédiatement après la hausse
Le désaccord ne porte plus que sur le moment, dans le cours du XXIe siècle, où la population mondiale cessera de croître et commencera de décliner. Le point mérite d’être souligné au passage : la « stabilisation », dont on parle souvent, de la population mondiale est un leurre.
La fin de la croissance de la population est la conséquence d’une fécondité déficitaire. Elle implique un vieillissement très prononcé dès les dernières décennies de croissance – comme en Occident ou en Chine aujourd’hui –, puis une baisse aussitôt après la fin de cette croissance. Il n’y a pas plus de plateau au sommet démographique qu’il n’y en a au sommet du Mont-Blanc.
Le pic de croissance
Donc, pour les Nations Unies, la population mondiale devrait continuer de croître de plus en plus faiblement jusqu’en 2085, jusqu’à 10,4 milliards d’humains, puis commencer à décroître – bien qu’aucun chiffre ne soit avancé, on peut penser qu’elle serait de l’ordre de 10,3 milliards d’âmes en 2100.
Pour l’IHME et l’IIASA, le pic de la croissance se situerait vers 2065, aux alentours de 9,7 milliards d’humains ; la baisse qui s’ensuivrait immédiatement porterait la population mondiale à 8,8 ou 9 milliards d’humains en 2100.
Si on compare ce qui peut être comparé dans ces études, c’est-à-dire les pics de population, on les trouve assez proches : 9,7 et 10,4 milliards, soit respectivement 21% et 30% de plus que la population mondiale d’aujourd’hui.
Pour 2100, la fourchette de la prévision s’élargit : 8,8 milliards contre 10,3 entre les deux évaluations extrêmes, soit entre 10 et 29% de plus que notre monde de 2022-2023.
Accroissement cependant très limité dans les deux cas pour une durée de près de 80 ans (2022-2100). Rappelons que la population a doublé (+ 100%) en 40 ans, entre 1960 et 2000, ou encore en 47 ans entre 1975 et 2022.
Nous sommes clairement au terme de l’immense croissance démographique mondiale engagée après 1750, et qui aura multiplié la population humaine par 12 à 15 en trois siècles. La croissance annuelle de la population mondiale a atteint un pic de 2,1 à 2,2% en 1970, elle est aujourd’hui de 0,9% et devrait glisser à 0,3 ou 0,4% en 2050 – moins que la croissance de la France d’aujourd’hui si on y compte l’immigration.
Une large majorité mondiale déjà déficitaire
C’est peut-être l’évolution silencieuse la plus importante des trente dernières années. En 1990, à peine 20% de la population mondiale était passé en dessous du taux de renouvellement des générations – les 2,1 ou 2,05 enfants par femme supposés marquer l’équilibre, deux parents donnant deux enfants.
Cette fécondité inférieure à l’équilibre affecte aujourd’hui 67 à 68% de la population du monde. Si on y ajoute les pays où la fécondité est comprise entre 2,1 et 2,5 enfants par femme, et qui devraient donc rejoindre le groupe déficitaire avant la fin de la décennie, on obtient environ 75% de la population mondiale.
Aux pays développés déjà déficitaires en 1990 (Europe, Amérique du nord, Japon…), s’ajoute désormais l’essentiel de l’Asie (Chine, Corées, Vietnam, mais aussi Inde, Bangladesh, Indonésie…), de l’Amérique latine (dont la fécondité moyenne serait de 1,86 enfants par femme, à peine supérieure à celle de la France) et de quelques terres d’Islam (Iran, Turquie, Azerbaïdjan, Tunisie…).
De manière significative, l’Europe a cessé d’être le continent de moindre fécondité au monde, au bénéfice – ou au détriment – de l’Asie orientale (Chine, Japon, Corées, Taiwan, Vietnam).
Le quart restant de l’humanité se divise en deux groupes :
• Entre 2,5 et 3,5 enfants par femme, 10 à 11% de la population mondiale rassemblent une majorité de pays musulmans (Pakistan, Égypte, Algérie, Irak, Syrie, Jordanie…) et quelques pays d’Asie et d’Amérique latine (Philippines, Haïti, Bolivie). Ce groupe a largement engagé sa transition démographique, qu’il devrait achever entre 2030 et 2040 en passant à son tour en dessous du seuil de renouvellement des générations.
• Entre 3,5 et 6,5 enfants par femme, 14 à 15% de la population mondiale, soit la presque totalité de l’Afrique subsaharienne. La transition démographique devrait s’y achever entre 2040 et 2060.
Où est le fond de la piscine ?
L’avenir laisse donc entrevoir une convergence des démographies mondiales avant la fin de ce siècle. Mais à quel niveau ? Jusqu’où la fécondité mondiale va-t-elle s’abaisser ? Clairement, en dessous des 2,1 enfants par femme du seuil de renouvellement des générations.
Dans la première décennie de ce siècle, les perspectives onusiennes pariaient pour 1,85 enfant par femme à l’échelle mondiale vers 2100 ; dans la deuxième décennie, elles s’abaissèrent à 1,75 enfants par femme.
L’enquête de l’IHME (2020) situe ce point de convergence universel à 1,65 enfants par femme. Mais même ce seuil, assez bas, suppose un redressement substantiel de la fécondité d’une part croissante des populations mondiales.
La Chine est tombée à 1,16 enfants par femme en 2021, l’Europe à 1,48, l’Amérique du nord ou le Brésil à 1,64, et rien n’indique que la chute y soit terminée. Il y a désormais presque consensus sur la fin de la croissance démographique. Les questions les plus ouvertes portent maintenant plutôt sur la profondeur de la chute de la fécondité, et par conséquent sur l’intensité du vieillissement et sur la baisse de la population humaine qu’il faut en attendre à terme.
Quelques perspectives pour l’immigration, pour la France ?
D’évidence, l’immigration n’est pas une solution de long terme à l’actuelle pénurie de main d’œuvre, laquelle résulte de la baisse ou la stagnation de la productivité des économies occidentales. Les pays déficitaires, d’accueil et d’immigration, pèsent déjà beaucoup plus lourd que les pays de départ, d’émigration.
À terme d’une à deux générations (entre 30 et 50 ans), l’immigration devrait se tarir, faute de réserves démographiques dans les pays de départ. Au moins progressivement. On peut malheureusement concevoir en effet que l’immigration se poursuive un temps dans des pays de fécondité à peine équilibrée ou franchement déficitaire, mais victimes de désordres ou d’incurie politique, comme aujourd’hui Porto-Rico, Cuba, le Venezuela, le Salvador… qui se vident du reste de leur jeunesse au profit des États-Unis.
La France en revanche fait face au foyer d’émigration le plus important et le plus vivace du monde, l’Afrique subsaharienne francophone. Il est probable qu’elle sera l’une des destinations favorites des émigrants de cette région dans le demi-siècle qui vient, même si les directions des migrations devraient se diversifier largement à mesure que la demande de migrants excèdera davantage l’offre.
En retour, la langue française tirera bénéfice de la part croissante de l’Afrique dans la population mondiale. Avec l’anglais, et dans une bien moindre mesure l’arabe et le portugais, le français est porté par la démographie. Une évaluation prudente le situe au troisième ou quatrième rang mondial à la fin du siècle, derrière l’anglais, le chinois et sans doute le hindi.
La nouveauté du vieillissement
Dans le monde, les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans représentent aujourd’hui à peine un tiers des moins de vingt ans. Ils seront plus nombreux qu’eux à la fin du siècle, et c’est la nouveauté démographique la plus troublante du monde qui s’annonce.
L’histoire humaine a connu de longues plages de stagnation démographique – le Ier millénaire de notre ère, avec l’expansion de la variole et de la peste – ou des reculs brutaux – les XIVe-XVe siècles, de nouveau balayés par la peste.
Mais il n’est pas d’exemple d’un renversement si profond et si durable de la pyramide des âges au profit des générations les plus âgées, que les progrès de notre médecine aident à survivre toujours plus longtemps. Le triomphe sur la mort crée l’un des problèmes les plus inexorables de demain.
Un changement de « régime d’historicité »
Ce « régime d’historicité », c’est la perception globale que nous avons du sens de notre histoire. Pendant 250 ans, soit une dizaine de générations, nous avons vécu dans un monde de croissance. Nous n’en interrogeons plus la réalité, même si nous nous inquiétons de ses conséquences.
L’angoisse écologiste d’aujourd’hui naît de ce sentiment du toujours plus et du déjà trop. Trop de gaz à effet de serre, trop de combustibles fossiles, trop d’industries polluantes, et surtout, et avant tout, trop d’êtres humains. Sur ce dernier point, qui commande tous les autres, le contresens est total. L’activité humaine commencera à décroître avant la fin de ce siècle, demain, ou après-demain au plus tard. C’est à ce vieillissement et à cette contraction, non moins redoutable que la surchauffe d’aujourd’hui, qu’il nous faut déjà nous préparer.
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