Le dimanche 10 mars 1793, à Paris, l'assemblée de la Convention recourt à la levée en masse autoritaire de 300 000 hommes pour faire face au retour en force des armées européennes coalisées contre la France révolutionnaire. Il s'ensuit dès le lendemain des soulèvements dans beaucoup de campagnes, où les paysans, jusque-là indifférents à l'agitation parisienne, ne supportent pas qu'on leur demande de verser leur sang pour une cause qu'ils exècrent.
Dans l'ouest de la France, ces soulèvements débouchent sur un conflit d'une particulière violence, avec un total d'environ deux cent mille tués et disparus en deux ans de guerres. Le conflit fait plus de cent mille victimes dans le seul département de la Vendée qui comptait 800 000 habitants en 1792 (note). Il meurtrit aussi les régions voisines, Bretagne, Maine, Basse-Normandie, Anjou, où les insurgés prennent le nom de « Chouans ». À Nantes, sur ordre du représentant en mission Carrier, deux mille malheureux sont noyés dans des gabarres coulées au milieu de la Loire, qualifiée pour le coup de « baignoire nationale » !
Par leur férocité, les « guerres de Vendée » n'auront guère à envier aux guerres étrangères de la Révolution...
Dans le bocage du Bas-Poitou (le département de la Vendée), les paysans pratiquent leur religion avec piété et sérieux, comme le leur ont appris les disciples du père Louis-Marie Grignion de Monfort, décédé en 1716, qui ont revivifié les pratiques religieuses dans ces régions alors qu'elles régressaient dans le reste de la France.
Le jour même de la réquisition, le 10 mars 1793, ces paysans, échaudés par l'exécution du roi Louis XVI et les mesures antireligieuses des révolutionnaires parisiens, assaillent les autorités municipales.
Spontanée, la rébellion couvre les Mauges, le Choletais, le bocage vendéen, le marais de Challans et le pays de Retz (toute une région du sud de la Loire qui prendra bientôt le nom de Vendée militaire). 23 insurgés sont arrêtés par les gardes nationaux à Saint-Philbert, dans le pays de Retz, en Loire-Inférieure (aujourd'hui Loire-Atlantique).
Le lendemain, la population se rassemble et décide de marcher sur Machecoul, principale bourgade de l'endroit, où se tiennent la garde nationale et la commission de recrutement. À l'entrée du bourg, la foule armée de fourches fait face aux gendarmes et aux gardes nationaux. Ceux-ci, bien qu'au nombre de plusieurs centaines, prennent peur et refluent dans les rues. La foule les poursuit. Plusieurs gardes nationaux sont massacrés ainsi que quelques bourgeois connus pour leurs sympathies républicaines et le curé assermenté (il a approuvé la Constitution civile du clergé).
Le 12 mars, les autorités nantaises exigent la reddition des coupables. Les insurgés se raidissent. Ils constituent un Comité royal et proclament : « Le peuple du Pays de Retz... déclare... qu'il ne reconnaît et ne reconnaîtra jamais que le Roy de France pour son seul et légitime souverain... qu'il ne reconnaît plus la prétendue Convention nationale, ni les départements, ni les districts... »
C'est le début des guerres de Vendée. Les insurgés sont des paysans, c'est-à-dire des gens du pays. La moitié sont des artisans, les autres des laboureurs ou des gens de la terre. Ils choisissent leurs chefs dans leurs rangs. Ainsi Jacques Cathelineau, colporteur voiturier au Pin-en-Mauges, Stofflet, garde-chasse des Colbert à Maulévrier.
Mais les paysans et leurs chefs manquent d'expérience militaire. Ils vont quérir en complément des chefs plus expérimentés : d'Elbée, lieutenant de cavalerie, Charette, ancien officier de marine, Bonchamps, d'Autichamp, Lescure, Sapinaud, Talmond... Ces aristocrates se montrent au départ assez réticents à prendre la tête d'une armée de paysans mais ils ne tardent pas à faire la preuve de leur sincérité militante.
Le plus hardi de ces nobles est le jeune Henri du Vergier, comte de la Roche jaquelein (20 ans). Ce sous-lieutenant de cavalerie, issu d'une famille de haute noblesse, avertit ceux qui viennent le solliciter : « Allons chercher l'ennemi : si je recule, tuez-moi ; si j'avance, suivez-moi ; si je meurs, vengez-moi ».
Armés de faux et de fourches, résolus et enthousiastes, les insurgés chassent les « Bleus » (les soldats de la République étaient ainsi nommés en raison de leur uniforme) et rétablissent le culte catholique dans leurs villages.
Massacres pour massacres
Le 19 mars 1793, une colonne républicaine de 3000 hommes conduite par le général Marcé s'engage dans un défilé, au Pont-Charrault, près de Saint-Vincent. Attaqués depuis les hauteurs, les soldats se débandent et s'enfuient contre toute attente. Le même jour, la Convention prend un décret punissant de mort les personnes arborant la cocarde blanche du roi. Qu'à cela ne tienne, les Vendéens ont désormais le champ libre.
Le 23 mars, une bande de paysans tentent d'investir Pornic. Ils sont repoussés par les républicains qui font environ 300 prisonniers. Ces derniers sont exécutés sans façon.
Le 27 mars, les Vendéens repartent à l'attaque de Pornic et l'emportent sous la conduite de Charette. Lorsque celui-ci revient à Machecoul avec 30 prisonniers, ces derniers passent devant un tribunal « royaliste » et sont condamnés à mort, ainsi que plusieurs dizaines de républicains locaux. Liés deux à deux par une corde, ils sont agenouillés près d'une fosse et fusillés ou tués à coup de piques. On parle à cette occasion des « chapelets de Machecoul » ! Particulièrement odieux, ces « massacres de Machecoul », qui font au moins 200 victimes, vont avoir un profond retentissement dans le pays et à la Convention.
Le 22 avril, après la fuite de Charette et des insurgés, la ville est reconquise par les républicains, sous la conduite du général Beysser. Mais, entre-temps, la guerre civile s'est étendue à toute la région.
La guerre civile s'étend
Dans les villes de la région, à Beaupréau, à Vihiers, à Cholet le 17 mars, Chemillé le 11 avril, Bressuire le 12 mai, Thouars le 5, Fontenay le 25, Saumur le 9 juin, les insurgés trouvent les fusils et les canons qui leur manquent.
Prenant de l'assurance, ils constituent une « armée catholique et royale ». Cette armée est formée d'environ 40 000 hommes indisciplinés et sans expérience militaire à l'exception d'une dizaine de milliers d'anciens soldats. La plupart ne se privent pas de rentrer chez eux quand cela leur chante ou sitôt que le danger est passé. Cette armée va néanmoins aller de succès en succès jusqu'à conquérir Angers le 18 juin. Face à elle, les 40 000 à 70 000 Bleus n'ont dans l'ensemble guère plus d'expérience militaire. Ce sont pour la plupart des volontaires issus des différentes régions du pays.
Cathelineau, le général en chef vendéen, échoue devant Nantes le 29 juin. Blessé, il est transporté à Saint-Florent et y meurt le 14 juillet 1793. D'Elbée le remplace comme généralissime.
Le 1er août, un décret de la Convention ordonne la destruction et l'incendie de la Vendée en état d'insurrection. La mise en oeuvre de ce plan est confiée au général François-Joseph Westermann, nommé commandant en chef de l'armée des côtes de la Rochelle.
Article premier :
le ministre de la guerre donnera sur-le-champ les ordres nécessaire pour que la garnison de Mayence soit transportée en poste dans la Vendée ; Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce, pour incendier les bois, les taillis et les genêts... Les femmes, les enfants et les vieillards, seront conduits dans l'intérieur ; il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l'humanité... Les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la république.
(Extrait du décret de la convention nationale du 1er août 1793, A.D.V., 52J4).
Le 14 août, l'« armée catholique et royale » défait les républicains dans la plaine de Luçon. En deux jours, plus de cent villages de l'Ouest se rebellent. Dès la fin du mois, 20 000 insurgés se rendent maîtres de la région et en excluent ou massacrent les républicains. Ils menacent de marcher sur Paris.
Prenant la mesure du péril, la Convention envoie en Vendée 100 000 hommes, dont les invincibles « Mayençais », des soldats d'élite qui ont capitulé avec honneur à Mayence, sur le Rhin. Ils sont placés sous les ordres de Jean-Baptiste Kléber et Nicolas Haxo, deux généraux estimables qui rechignent aux massacres inutiles, à la différence de Westermann, justement surnommé le « boucher de la Vendée ».
Mais du 19 au 22 septembre, les royalistes remportent encore cinq victoires en cinq jours, à Torfou, le Pont-Barré, Montaigu, Clisson et Saint-Fulgent. Ils mettent les républicains en déroute. La Convention, qui doit dans le même temps faire face à une offensive des Autrichiens sur la frontière du nord, promulgue le 1er octobre 1793 une loi dite « loi d'extermination » qui réunit l'armée des côtes de Brest et celle des côtes de la Rochelle dans une seule armée dite « armée de l'Ouest », et nomme à sa tête le général Jean Léchelle.
La loi est présentée aux députés par Bertrand Barrère, au nom du Comité de Salut public, le gouvernement dirigé par Robespierre. L'objectif affiché dans son rapport est sans concession : « Citoyens, l'inexplicable Vendée existe encore, et les efforts des républicains ont été jusqu'à présent insuffisants contre les brigandages et les complots de ces royalistes (...). La Convention doit donner à toute l'armée révolutionnaire de l'Ouest un rendez-vous général, d'ici au 20 octobre, à Mortagne et à Cholet. Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leurs propres foyers... »
Dans le camp adverse, les chefs vendéens commencent à se disputer et c'est ainsi que, le 17 octobre 1793, ils éprouvent à Cholet leur premier revers grave face à l'armée de l'Ouest. Léchelle traverse là-dessus la Loire et tente d'arrêter les Vendéens de la virée de Galerne. Mais il est battu, mis en accusation par ses chefs et incarcéré à Nantes où il se suicide.
Le 7 novembre 1793, par un trait d'humour singulier, les députés rebaptisent le département de la Vendée « Vengé » ! Le 23 décembre 1793, Westermann remporte une bataille décisive à Savenay sur les survivants de la folle « virée de Galerne » qui les a menés jusqu'à Laval et Granville. Il écrit à la Convention un fameux message qui illustre son état d'esprit, quoique son authenticité soit mise en doute : « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et dans les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m'aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes, qui, au moins pour celles-là n'enfanteront plus de Brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J'ai tout exterminé. ». Le général ne tirera guère profit de ses crimes. Rappelé à Paris, il est guillotiné le 5 avril 1794 sur ordre de Robespierre, avec les dantonistes.
Le pire reste à venir quand, le 19 janvier 1794, la Convention donne carte blanche au général Louis-Marie Turreau pour appliquer sa politique d’extermination. Elle prend la forme de plusieurs « colonnes infernales » qui vont ravager méthodiquement le pays vendéen avec un résultat contre-productif : les paysans, n'ayant rien à espérer, rejoignent les rangs de la rébellion. C'est ainsi que le 28 février 1794, quand les Bleus entrent dans le village de Lucs-sous-Boulogne, ils s'indignent de n'y voir aucun homme valide et, de rage, vont exterminer tous ceux qui sont restés : femmes, enfants, vieillards, curé. Au total 564 personnes.
Avec la fin de la menace extérieure et la chute de Robespierre en juillet 1794, le gouvernement révolutionnaire se fait plus conciliant. Lazare Hoche (25 ans) prend le commandement de l'armée de l'Ouest. Le général proscrit sévèrement les pillages et les vengeances.
Enfin, les chefs vendéens, à commencer par François Charette de la Contrie, se résignent à un accord de paix conclu au manoir de La Jaunaye, près de Nantes, le 17 février 1795. Mais le texte est seulement signé par les représentants de la République, dont Albert Ruelle. Il n'empêche que Hoche ordonne à ses troupes d'observer strictement les stipulations de la Jaunaye concernant la liberté religieuse, ce qui lui vaudra d'être surnommé le « pacificateur de la Vendée ».
Les paysans, constatant que le culte catholique n'est plus menacé, n'ont en général plus envie de se battre... Mais Charette projette pour des raisons mal élucidées de rallumer les hostilités et dénonce l'accord de La Jaunaye. Le 25 juin 1795, il conclut à Belleville une alliance avec des émigrés royalistes en vue d'un débarquement en Vendée. Les Anglais, engagés dans une guerre inexpiable avec le gouvernement de Paris, condescendent à lui apporter leur soutien. La tentative de débarquement, sur la presqu'île de Quiberon, se solde par un cruel échec. Charette se retrouve isolé dans le bocage avec une poignée de partisans.
Un peu plus tard, un autre chef vendéen, Stofflet, rentre en guerre en janvier 1796 sur ordre des princes émigrés. Mais il est capturé et fusillé à Angers le 25 février 1796. Quant à Charette, traqué comme une bête, il est pris le 23 mars à la Chaboterie de Saint-Sulpice-le-Verdon et fusillé le 29 mars 1796.
Les combats sont finis mais le souvenir des atrocités va alimenter les rancoeurs et les conspirations chez de nombreux Vendéens et Chouans. Le plus célèbre de ces derniers, Georges Cadoudal, entrera bien plus tard dans un ultime complot royaliste.
La guerre de Vendée a donné lieu à de très nombreux ouvrages. Je recommande le petit livre illustré et très accessible des éditions Découverte Gallimard : Blancs et Bleus dans la Vendée déchirée (Jean-Clément Martin, 1986).
Les guerres de Vendée sont-elles assimilables à un génocide ? Le débat a été ouvert à la fin du XXe siècle, le siècle des génocides.
Il serait osé d'assimiler les guerres de Vendée à l' extermination des juifs par Hitler ou au massacre des Arméniens par le sultan. Mais on peut établir une analogie entre la férocité des guerres vendéennes et celle qui opposa aux États-Unis les Sudistes aux Nordistes. La haine exterminatrice de Turreau et de ses colonnes infernales trouve son pendant dans la marche vers la mer du général Sherman. L'un et l'autre font la démonstration que les guerres les plus cruelles sont les guerres civiles.
On peut établir une autre analogie entre les guerres de Vendée et celle qui met aux prises le peuple tchétchène et le gouvernement russe de Boris Eltsine et de son successeur Vladimir Poutine. En Tchétchénie comme en Vendée, on observe une étroite imbrication des enjeux politiques, religieux et idéologiques. Dans un cas comme dans l'autre, la férocité est assez bien partagée entre les deux camps.
On retrouve surtout dans les deux conflits de Vendée et de Tchétchénie une égale volonté du pouvoir central d'éradiquer la rébellion par la destruction systématique des villes, des villages et de leurs habitants. Par-delà ces similitudes, la principale différence réside dans le déclenchement du conflit. En Vendée, ce sont les paysans qui ont ouvert les hostilités contre le pouvoir central. En Tchétchénie, la guerre a été le fruit d'un calcul politique du gouvernement russe.
Aussi cruelle que soit la guerre de Tchétchénie, il ne vient à l'idée de personne de la qualifier de génocide. Alors, les guerres de Vendée, un génocide ?
Vos réactions à cet article
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Gilbert 85 (28-01-2023 20:25:17)
La guerre de Vendée fut une guerre de religion (catholiques / athées ) , une guerre civile (français / français) , et une guerre politique ( royalistes /républicains ) . Le parallèle avec la "c... Lire la suite
Louis (01-07-2012 18:26:38)
Sur le sujet, les meilleurs travaux sont indéniablement ceux de Monsieur Reynald Seycher.
A lire et relire absolument!
Louis